Ngouda Fall Kane remet ses habits d’Ige

Ancien Inspecteur général d’État (Ige) et ex-président de la Cellule nationale de traitement des informations financières, Ngouda Fall Kane remet ses habits de “fouineur”. Dans cet entretien accordé à Tribune, il revient de long en large sur le contenu des derniers rapports de l’Inspection générale d’État (Ige), ses vraies missions et orientations. Non sans rappeler nombre de fautes commises, les affaires Khalifa Sall et Aliou Sall qu’il a lui-même vérifiées à Guédiawaye.   

 

Entretien réalisé par Abdoulaye MBOW 

 

Votre appréciation sur le contenu des rapports de l’Inspection générale d’État (Ige)… 

 

Comme j’ai eu à le dire lors du plateau de “l’Essentiel”, il faut savoir distinguer les rapports particuliers qui sont régulièrement transmis au président de la République avec des recommandations. Ces rapports sont issus des contrôles et autres enquêtes faites par les Inspecteurs généraux d’État. À la suite de la transmission faite, via le vérificateur général, le président de la République approuve les rapports autant dans leur contenu que dans leurs recommandations qui deviennent des directives présidentielles. Ils sont ensuite transmis au Bureau de suivi et de coordination, qui était à l’époque rattaché à la Primature et actuellement au Secrétariat général de la Présidence et dirigé par un Inspecteur général d’État. Il est chargé de faire le dispatching de ces rapports particuliers. Donc, il y a un rapport géré par l’Ige, un autre transmis à la Cour des comptes s’il est constaté des fautes de gestion. Il y a aussi un rapport envoyé au ministère de la Justice s’il y a des faits susceptibles d’être transmis à la Justice pour “demande d’information judiciaire” ou de “poursuites judiciaires”. Il ne faut pas oublier qu’il y a également un rapport remis à l’organe ou le ministère contrôlé pour une mise en œuvre. Au bout d’un certain temps, l’Ige est en mesure de se rendre à nouveau sur le terrain pour constater l’état d’avancement des directives présidentielles. 

 

Qu’est-ce que vous voulez démontrer exactement ?   

 

Ce qui veut dire que des informations sont régulièrement transmises au président de la République via le Bureau de suivi et de coordination. C’est pourquoi je disais qu’une commission de suivi des directives n’est pas nécessaire. En plus de ces rapports particuliers remis au président – il en est le seul destinataire – il y a les rapports annuels consacrés par l’article 9 de la loi de 2011 qui fait obligation à l’Ige de faire un rapport d’activité sur l’état de la gouvernance publique qu’elle transmet au plus tard le 31 mars de l’année suivante. Ces rapports sont élaborés suivant une démarche typologique. On dégage les faits saillants qui apparaissent. Autrement dit, donner l’opportunité au président de pouvoir prendre des décisions. À ce niveau, on n’a pas besoin de nommer les gens, de les désigner. C’est le même genre de rapport qu’élabore la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif). Donc, on n’a pas besoin de citer les personnes nommément. On se limite au processus et aux faits, même si les structures sont signalées.   

 

Mais, il est dit et soutenu que l’Ige a violé la loi en étant restée cinq ans sans publier un seul rapport…  

 

À ce niveau, je suis parfaitement d’accord, d’autant que l’Ige a une mission normative parce qu’elle est appelée à apprécier les projets de textes qui sont soumis au président de la République. Mais, elle est appelée également à apprécier sur le terrain l’application des dispositions qui découlent de la loi et des règlements. Donc, l’Ige aurait dû éviter cela. Je crois qu’à l’avenir, ils ne vont le refaire. Mais, cela peut ne pas être le seul élément de réponse. Dans tous les cas, c’est un retard regrettable. L’important est de retenir que les rapports particuliers sont régulièrement transmis au président de la République.   

 

Le Vérificateur général devait-il faire du forcing pour déposer les rapports parce qu’étant au terme de son mandat ?   

 

Il faut verser dans l’objectivité. Donc, je ne peux pas abonder dans ce sens. En tout cas, il y a eu un retard et il l’a comblé. Il faut certes déplorer les retards comme j’ai eu à le dire, mais affirmer cela, n’est pas tout à fait vrai. Ce qui est sûr, l’institution doit présenter à temps ses rapports à la date de chaque 31 mars. Même la Cour des comptes a accusé des retards.  

 

Des rapports publiés sans l’ombre du Prodac, des bourses familiales, le Pudc, etc. Ce qui a poussé des voix à défendre que l’Ige cherche à défendre des proches du président. Est-ce vrai ?  

 

Encore une fois, je rappelle qu’il s’agit de rapports d’activités. On prend les faits saillants qui présentent un intérêt pédagogique à la prise de décision. L’Ige ne peut présenter que les activités des organes vérifiés. Si elle n’a pas vérifié le Prodac et autres, comment voulez-vous qu’elle puisse donner des éléments ? Il y a des évènements dont on parle sur la place publique tels que Pétrotim. De ce point de vue, quel intérêt d’en parler dans un rapport ? Je ne le vois pas.   

 

Véritablement, pensez-vous que l’Ige joue pleinement son rôle dans la gouvernance financière et la reddition des comptes ?   

 

Dans toutes les missions effectuées, c’est ce que l’Ige fait dans les rapports particuliers dont le contenu n’est pas accessible au public. Quand l’Ige vérifie, tout ce qui est constaté en matière de fautes de gestion, manquements d’application, tout est mis dans le rapport particulier. Beaucoup de mesures administratives, de corrections…, proviennent de ces rapports. Il y a aussi des mesures de discipline financière qui sont prises par la Chambre de discipline de la Cour des comptes. Donc, l’Ige est un élément clé, incontournable dans la lutte pour l’instauration de la bonne gouvernance dans le pays. Personne ne peut le nier. C’est indiscutable ! Il faut tout simplement accélérer le processus de transmission des dossiers à bonne date.  

 

Certains acteurs de la société civile plaident pour la délocalisation de l’Ige de la présidence. Bonne proposition ? 

 

J’ai défendu cette idée il y a un bon moment. En 2018, je parlais déjà de la délocalisation de l’Ige. En tout cas, c’est un organe de contrôle interne. Il faut, à mon avis, lui donner plus d’indépendance dans le sens souhaité par la résolution des Nations-Unies. Donc, il faut aujourd’hui marcher dans ce sens, même s’il faut dire que les Ige travaillent sans aucune contrainte. J’ai vérifié la Ville de Guédiawaye sans aucune contrainte. 

 

Avez-vous trouvé des cafards ?  

 

Je n’ai trouvé aucun cafard ! Je dois même dire que c’est l’une des villes les mieux gérées. J’ai trouvé des cafards pour les années antérieures mais pas sous le magistère d’Aliou Sall. Peut-être qu’il venait d’arriver. En tout cas, je dois dire que c’était en 2018. D’ailleurs, c’est le dernier rapport auquel j’ai participé en tant qu’Ige. Nous disons tout ce que nous constatons. Personne ne peut appeler.  

 

La ville de Dakar c’est vous aussi ?  

 

Non ! La ville de Dakar ce n’est pas moi. Ce qui est sûr, les Ige n’ont mis que ce qu’ils ont vu. Il faut que les gens soient prudents. Ce n’est pas Khalifa Sall qui a été vérifié, mais la ville de Dakar. Les Ige ont énormément apprécié l’organisation administrative. Maintenant, une Caisse d’avance est une procédure exceptionnelle de la dépense publique. Elle est gérée sous la responsabilité du Receveur municipal. Sur le plan de la légalité des dépenses de cette caisse, le gérant est responsable. L’Ige n’a pas demandé que l’on fasse une information judiciaire contre Khalifa Sall. Elle a demandé l’ouverture d’une information judiciaire dans le cadre de la gestion de cette caisse. Cette caisse ne peut être des fonds politiques. Ce n’est pas vrai. Une caisse doit être justifiée. C’est ce que disent la loi et le règlement. Personne ne peut le nier. Elle répond à des règles de fonctionnement. S’il y a des fautes, il appartient à la justice de faire son travail.   

 

Est-ce qu’on ne demande pas aux Ige d’aller fouiller de potentiels adversaires ?  

 

Non ! Pas du tout ! Le dire c’est insulter l’Ige qui est un corps d’élite. Elle a eu en son sein de grandes personnalités de l’État, de grands serviteurs de l’État. Des gens qui ont tout fait pour l’État du Sénégal. D’anciens directeurs généraux des impôts, des douanes qui ont une parfaite connaissance dans le fonctionnement de l’Administration centrale que décentralisée. Donc, le dire est faux. Même le Vérificateur général ne peut modifier les recommandations faites par les Ige qui sont sous la responsabilité exclusive du président de la République. J’ai fait beaucoup de vérifications. Personne ne peut me demander une telle chose.   

 

Dans tous les cas, que pensez-vous de la gouvernance financière au Sénégal ?  

 

Il y a des problèmes. Il y a beaucoup de manquements. Donc, tout ce qui a été constaté, surtout en termes de détournements de deniers publics, doivent être judiciarisés. Il faut adopter une telle démarche. Il faut une réelle célérité dans le traitement judiciaire de plusieurs dossiers.   

 

Donc, il y a des efforts à faire ?  

 

Effectivement, il y a énormément d’efforts à faire. Au nom de la reddition des comptes, il faut que des efforts soient faits. Mais aussi, dans le sens de la réforme de l’administration partant du choix des hommes, la structure et les procédures. Il nous faut savoir que l’administration devient des administrations quand on la pénètre. Et, chaque administration a sa particularité. Dans tous les textes, le code d’éthique, de déontologie existe. Mais, il faut les appliquer à tous les niveaux et à toutes les échelles. Mais, cela ne suffit pas. Il faut insister sur le choix des hommes et l’optimisation des procédures. Seulement, je dois juste dire que cela a commencé. Il y a des réformes profondes au niveau des impôts avec la dématérialisation des déclarations fiscales et le paiement des taxes. Au niveau des douanes, c’est pareil en termes d’efforts, dans le cadre de la dématérialisation des processus de dédouanement. C’est le cas au niveau de la direction de la Comptabilité publique. 

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