A trois semaines de la présidentielle, le Nigeria est confronté à de graves pénuries de billets de banque et d’essence qui pourraient menacer le scrutin et alimentent les rumeurs d’un complot visant à “saboter” l’élection alors que les politiques se renvoient la balle.
Du sud au nord, le pays le plus peuplé d’Afrique (quelque 215 millions d’habitants) est comme paralysé. Devant les distributeurs en manque de billets et les stations essence dépourvues de carburant, les files d’attente s’allongent, plongeant la population dans la détresse.
Difficile d’imaginer dans ce contexte comment le Nigeria tiendra ses élections présidentielle et législatives le 25 février: plus de 93 millions de Nigérians sont appelés aux urnes dans 176.846 bureaux de vote à travers le pays (près de deux fois la France).
Le président Muhammadu Buhari, après deux mandats et huit ans au pouvoir, ne se représente pas comme le veut la Constitution.
Fait inédit au Nigeria, qui a renoué avec la démocratie en 1999, les résultats s’annoncent serrés entre les trois principaux candidats: Bola Tinubu, du parti au pouvoir APC, Atiku Abubakar, du principal parti d’opposition PDP, et l’outsider Peter Obi, du parti travailliste.
Casse-tête
En temps normal, c’est déjà un véritable casse-tête logistique d’organiser des élections au Nigeria pour la Commission électorale (Inec), qui par le passé a déjà été contrainte de reporter plusieurs scrutins.
Mais depuis près d’un an, le Nigeria fait face à une importante pénurie de carburant, qui empoisonne la vie de ses habitants, et qui ces trois dernières semaines s’est considérablement aggravée.
Ainsi jeudi, l’Inec a exprimé son inquiétude face au manque de carburant, affirmant qu’il pourrait affecter la logistique du scrutin, alors que plus de 100.000 voitures et 4.000 bateaux seront mobilisés.
“La vérité, c’est que notre organisation pourrait être négativement affectée par l’indisponibilité de produits (pétroliers)”, a déclaré la Commission, en discussions avec la compagnie nationale pétrolière pour trouver une solution.
Si le Nigeria est l’un des principaux producteurs de pétrole d’Afrique, il se trouve souvent confronté à des pénuries de carburant car il importe la majeure partie de son essence et de son diesel en raison de la défaillance de ses raffineries.
Outre la tenue de l’élection, la pénurie d’essence ne fait qu’alimenter un peu plus la grogne sociale dans ce pays extrêmement dynamique mais où l’extrême pauvreté ne cesse de gagner du terrain, et miné par une insécurité grandissante, entre attaques jihadistes ou criminelles dans le nord et agitations séparatistes dans le sud-est.
Et comme si cela ne suffisait pas, depuis plusieurs semaines le pays fait face également à une pénurie de billets de banque.
En octobre, la Banque centrale avait annoncé, sans prévenir, changer les billets de banque (notamment leur couleur), et décidé que les anciens billets ne seraient plus valables le 31 janvier, soit 25 jours avant l’élection présidentielle.
A quelques jours de la date fatidique, très peu de banques distribuaient les nouveaux billets, et laissaient une majorité de Nigérians, qui dépendent de l’économie informelle, sans liquide, et donc sans argent.
Des émeutes ont ainsi éclaté cette semaine à Kano, plus grande ville du nord du pays.
Face à la pression populaire, les autorités ont repoussé la date au 10 février.
Mais l’annonce n’a eu que peu d’effets, et les Nigérians peinaient toujours à se procurer les nouveaux billets vendredi.
– Un calendrier critiqué –
Le calendrier de cette décision, qui vise à limiter l’argent liquide en circulation pour renforcer l’efficacité des politiques monétaires, interroge.
“La mise en place de politiques impopulaires par le pouvoir en place à la veille d’une élection ne suggère-t-elle pas un acte délibéré visant à avantager l’opposition?”, se demande le journaliste Bolaji Adebiyi dans un éditorial publié vendredi dans le quotidien This Day.
Pour le candidat du parti au pouvoir, Bola Tinubu, ancien gouverneur de Lagos qui s’est vanté de son rôle dans l’élection de M. Buhari, ses détracteurs ont délibérément provoqué des pénuries pour “saboter” son élection.
L’un de ses proches, le puissant gouverneur de l’Etat de Kaduna, Nasir El-Rufai, a affirmé cette semaine que “des éléments au sein de la présidence veulent que le parti au pouvoir perde les élections”.
Des accusations balayées par le gouvernement, le ministre de l’Information Lai Mohammed affirmant ne pas être au courant de quiconque à la présidence travaillerait contre l’élection de M. Tinubu.
Après une rencontre avec des gouverneurs APC, le président Buhari a assuré vendredi qu’il prendrait d’ici sept jours une décision sur l’échange de devises afin d’atténuer les pénuries, selon un communiqué présidentiel.
Pour Atiku Abubakar, le candidat du principal parti d’opposition, son rival Bola Tinubu tente seulement de faire diversion et essaye de se distancer du bilan de M. Buhari, jugé catastrophique par l’opinion publique.