Voilà près de cinquante ans que sa musique fait le tour du monde. Sa voix à part et son style, qu’on a trop rapidement résumé par le concept « afro feeling », car ils mêlent les sonorités sénégalaises du Mbalax, aux rythmes du blues, du jazz, du reggae et de la salsa, font d’Omar Pène*, et de son mythique groupe le Super Diamono, l’un des plus grands artistes du continent africain. Reconnaissable par son allure svelte et son rire communicateur, le chanteur de 65 ans a mis à profit la longue période de cette pandémie de Covid-19 pour, au-delà de l’urgence sanitaire qui étreint l’Afrique, s’attaquer à une autre urgence planétaire : la nécessité d’intégrer les enjeux du changement climatique. Résultat : un album acoustique inédit intitulé tout simplement Climat.
Pour la réalisation de cet opus, il s’est entouré de musiciens talentueux de la nouvelle génération. Ainsi du guitariste franco-sénégalais Hervé Samb mais aussi du rappeur poète Faada Freddy qu’on ne présente plus. D’ores et déjà, l’album a été plébiscité par le public de fans qui traverse les générations. C’est qu’Omar Pène en bon conteur a, comme à l’accoutumée, ancré ses textes dans les préoccupations de notre époque dans un style accessible à tout mélomane comprenant ou pas le wolof, la langue la plus courante partagée par les Sénégalais, à côté d’autres langues nationales comme le pular, le bambara, le diola, le sérère, etc. Les thèmes abordés dans Climat : le terrorisme, le changement climatique, l’Afrique autour de son unité, son émergence, ses défis.
Depuis toujours, le leader du Super Diamono, groupe musical où sont passés un moment Ismaël Lô et un certain adolescent qui deviendra grand, Youssou N’Dour, doit son immense succès populaire à la dimension sociétale de ses textes ainsi qu’à la note d’espoir qu’il n’arrête pas de cultiver sur le sillon du panafricanisme et de la défense de la liberté. Est-ce cela qui a fait que Mohamed Mbougar Sarr, Prix Goncourt 2021, a trouvé la bonne inspiration en écrivant La Plus Secrète Mémoire des hommes ? En tout cas, pour nous rafraîchir la mémoire et nous plonger dans les méandres de la musique africaine populaire, Omar Pène s’est confié au Point Afrique. L’occasion de revivre dans un parcours artistique emblématique de l’effervescence musicale du continent dans sa mue entamée au début des années 1970.
Le Point Afrique : Quel est votre sentiment quand Mohamed Mbougar Sarr, le Prix Goncourt 2021, dit que vous l’avez inspiré pour écrire ses livres ?
Omar Pène :Il y a un fort sentiment de respect qui nous lie. Il m’a confié avoir écrit son nouveau roman, La Plus Secrète Mémoire des hommes, qui a reçu le Goncourt en écoutant le Super Diamono et mes albums. Je suis fier d’avoir participé à son évolution. Il a même emprunté une phrase d’une de mes chansons, « Moudjé », qui veut dire « Où est-ce qu’on va finir ». J’en suis plus que fier. Il y a vraiment des choses incroyables qui se passent parfois dans la vie. Ainsi d’apparaître dans le livre le plus recherché du moment dans le monde entier, celui du prix Goncourt. Je dois dire que Mbougar est un garçon très intelligent, qui a la tête sur les épaules. Son avenir est parti pour être radieux.
Comment vous portez-vous après quasiment huit ans d’absence sur scène ?
Il a fallu récupérer mon énergie, refaire la voix après la période de maladie. Pour cela, j’ai travaillé avec un coach. Cela a pris du temps et s’est fait petit à petit d’autant qu’avec la pandémie de Covid-19, nous sommes restés presque deux ans sans activité aucune à cause des restrictions. J’ai ensuite repris le chemin de la scène au Sénégal, puis en France pour mes premiers concerts après cette période. Cela fait très longtemps que je ne me suis pas produit à Paris et les spectateurs ont l’air super heureux de retrouver Omar Pène et le Super Diamono.
Comment vous est venue l’idée de faire cet album autour de cette thématique du climat ?
Je crois que nous vivons des moments extrêmement difficiles. Le réchauffement climatique fait l’actualité aujourd’hui et nous, en tant qu’Africains, nous sommes tout aussi concernés que le reste du monde. Le réchauffement climatique est en train de tout chambouler. Nous devons nous réveiller à son propos. On n’entend pas beaucoup les Africains parler de cette thématique alors que les effets se font déjà voir. Au Sénégal par exemple, ils sont déjà visibles dans la région de Saint-Louis, notamment dans le village de pêcheurs de Guet Ndar. Là-bas, la mer est en train d’engloutir bien des habitations. Nous devons prendre conscience aujourd’hui que c’est une réalité, c’est une évidence bien que les climatosceptiques tentent de nous faire croire le contraire. Certes, ce sont les gros pollueurs qui sont responsables des effets de ce changement climatique, mais tout le monde en est victime. Personne n’est épargné et, sincèrement, l’Afrique n’a pas besoin de ça. Aussi, en tant que leader d’opinion et citoyen du monde, j’ai associé ma voix à celles qui se sont déjà levées pour alerter sur ce sujet.
Ce n’est pas la première fois que vous évoquez ce sujet du climat. D’où vous vient cette conscience écologique ?
Je vis avec cette réalité depuis toujours. Je suis un panafricaniste très engagé et un afro-optimiste. Aujourd’hui, au Sénégal, on parle d’émergence. Permettez-moi de vous dire que j’y crois, car l’Afrique n’est pas que pauvreté, un mot trop souvent associé à notre continent. Les Africains doivent y croire comme les Chinois l’ont fait. Pour cela, ils ont travaillé à changer la donne de la réalité et de l’image de leur pays. Les Africains doivent faire de même pour léguer aux générations futures une autre Afrique.
On voit de plus en plus de jeunes Africains qui se lèvent pour réclamer des actions fortes dans ce domaine. Qu’en pensez-vous ?
Je partage cette énergie avec ces jeunes qui ont conscience que c’est de leur avenir qu’il s’agit et cet avenir leur appartient. La question de savoir qu’est-ce qu’on va leur léguer est essentielle pour prévenir de ne pas leur léguer une Afrique dans laquelle ils vont souffrir. Quoi qu’il en soit, il est temps qu’ils se lèvent. J’ai vu à la COP26 comment les jeunes sont intervenus. C’est important pour eux et pour nous. Et les décideurs doivent tout faire pour trouver des réponses aux questions très pertinentes posées par ces jeunes.
Quelles leçons pensez-vous que l’Afrique peut tirer de la pandémie que nous vivons actuellement ?
La pandémie n’est pas née chez nous, mais nous sommes obligés de vivre avec. Autour de la question de la vaccination, il y a tellement de conciliabules qu’on s’y perd. Pourtant, ma conviction est qu’il nous faut un consensus dans l’approche pour nous en sortir ensemble. Nous devons faire confiance à nos professionnels qui savent de quoi ils parlent et nous méfier de la désinformation organisée par certains.
Vous êtes un panafricaniste. L’Union africaine est l’organisme d’intégration majeur du continent. Que lui demandez-vous et qu’en attendez-vous ?
C’est de mieux participer à ce que les Africains croient en eux-mêmes. On ne peut pas continuer à vivre sur le continent le plus riche de la planète et être dans les conditions que nous connaissons pour la majeure partie des Africains. Il faut trouver des solutions pour sortir de cet engrenage. Pour cela, les Africains doivent s’y mettre à fond. Personne ne le fera à leur place.
Pour cela, il faudrait une plus grande solidarité. Que les Africains pensent africain, car jamais l’Afrique ne pourra se développer comme les États-Unis ou l’Europe. Nous pouvons construire un développement à l’africaine, un développement endogène qui permette aux jeunes Africains de rester chez eux. Il ne faut pas qu’ils croient que la fortune ou le succès se trouvent seulement ailleurs. Nous pouvons réussir chez nous, mais il faut y croire. Pour ce faire, nous devons tracer une pensée africaine. De grands leaders africains ont montré la voie par le passé même s’ils ont rapidement disparu du fait qu’on leur a coupé l’herbe sous les pieds.
Je crois que l’Union africaine et d’autres institutions peuvent le faire dans la solidarité et en parlant d’une seule et même voix. Il y a pourtant des Africains qui ont de très bonnes idées et qui sont animés de très bonnes intentions. Les Africains doivent cependant comprendre que c’est à eux qu’il appartient de développer le continent dans la logique d’une Afrique unie autour de ses intérêts propres, pas ceux des autres.