Pannes des appareils médicaux : Le cancer de la maintenance

Deals dans l’achat d’appareil, faible maîtrise des machines, absence de budget de maintenance. Le problème de la courte durée de vie des équipements médicaux ne constitue aucunement un mystère. Il ne reste que la volonté politique pour éviter de jeter des milliards à l’eau.
 
Lors de son adresse à la Nation sur la levée de l’état d’urgence, le 29 juin dernier, le Président de la République, Macky Sall a annoncé, sur la période 2020-2024, une ambitieuse stratégie de modernisation du secteur de la santé. Ce, à travers le Plan d’investissement « pour un système de santé et d’action sociale résilient et pérenne, dont une composante dédiée à la télésanté ».
 
Le syndicaliste Mballo Dia Thiam acquiesce. « Nous y avons travaillé. Le programme est estimé à 1 200 milliards de FCFA. Nous pensons que si ces ressources sont allouées aux secteurs qui en ont besoin car il s’agit de mettre à niveau les infrastructures, les équipements et les ressources humaines (en nombre et en qualité), ce plan permettra au système d’être encore plus résilient s’il est bien mené à terme », a fait savoir d’emblée le président de l’Alliance des syndicats autonomes de la Santé (Asas) And Gueusseum.
 
« On ne se lève pas un bon jour parce qu’on a des milliards de FCFA pour vouloir dérouler un programme »
 
Un avis qui n’est pas partagé par le Secrétaire général du Syndicat démocratique des travailleurs de la santé et du secteur social (Sdt3s), Cheikh Seck. Selon lui, un programme d’équipements doit être planifié. « On ne se lève pas un bon jour, parce qu’on a des milliards de FCFA, pour vouloir dérouler un programme », objecte-t-il.
 
Cheikh Seck assure que l’achat du matériel doit être en adéquation avec les besoins du service. « Un impératif ! » à ses yeux. Et pourtant, pour le moment, c’est tout le contraire. « Ce qui se passe, c’est un chef de service qui voyage ou qui part à un forum où les gens font des foires. Il va en profiter pour acheter un appareil pour dire qu’il est le premier à l’avoir dans ce pays alors qu’il faut que les équipements soient un réel besoin du service », a-t-il regretté.
En effet, ils sont nombreux ces appareils médicaux qui sont aux arrêts au bout de quelques années de fonctionnement comme les scanners et l’IRM. Seulement, pour Mballo Dia Thiam, c’est dans l’ordre normal des choses. « Tous les appareils sont susceptibles de tomber en panne », dira-t-il. L’homme de l’art d’essayer de trouver, toutefois, les racines du mal. « Est-ce que c’est lié à une maintenance préventive ou curative à savoir les réparations ? », cogite-t-il.
 
A l’en croire, beaucoup de facteurs sont à prendre en compte. Il liste la fragilité de certaines machines, le problème de comportements des agents et la forte demande des populations. « Un appareil qui doit travailler pendant 2 ou 3 heures par jour, il est actif pendant presque une journée, cela pose problème », a-t-il signalé.
 
Déficit de budgets de maintenance
 
Egalement, il a posé le déficit de budgets de maintenance dans certaines structures hospitalières. De ce point de vue, avance-t-il, les amortissements ne sont pas faits. Le responsable de l’Asas d’informer qu’un appareil qui doit durer 2 ou 3 ans, à la fin de la dernière année, on doit se préparer à commander un autre. « Mais ici, on voit que l’outil peut durer 10 ans dans une structure hospitalière ».
 
Secrétaire général du Syndicat autonome des médecins, pharmaciens et chirurgiens-dentistes du Sénégal (Sames), Docteur Amadou Yéry Camara, se désole lui aussi de la situation. Il fait noter que des appareils de laboratoires qui tombent en panne alors qu’ils coûtent des centaines de millions ou des milliards de FCFA sont à déplorer.
 
Il s’y ajoute « le grand » problème de maintenance préventive avec l’arrivée du digital. « Donc, il faut qu’on fasse de sorte que notre école de maintenance qui est à Diourbel soit rénovée. Que les pensionnaires bénéficient d’une formation de pointe et que les fournisseurs donnent des appareils avec une garantie et un service après-vente assuré avec une certaine expérience », recommande-t-il.
 
A l’en croire, il faudrait que les contrats d’achats soient bien établis avec des fournisseurs sérieux qui donnent des appareils de qualité. « Moi je connais des structures privées qui commettent des experts de la maintenance de la société mère pour qu’ils viennent annuellement leur faire la maintenance. Le budget de la maintenance doit être compris dans les budgets prévisionnels de fonctionnement des appareils des services. Il doit être respecté. Qu’il ne soit pas un poste négligé et qu’on n’attende pas d’avoir des pannes pour essayer de réparer », a-t-il fait remarquer.
 
De plus, Dr Camara d’indiquer que les marchés doivent être attribués avec le maximum de transparence et qu’on ait de grandes entreprises qui fournissent un service après-vente avec des pièces de rechange disponibles.
 
« Il y a beaucoup de deals dans l’achat de ses équipements médicaux »
 
Mais attention, prévient, Cheikh Seck de l’hôpital Idrissa Pouye de Grand-Yoff. Selon lui, certains fournisseurs sont beaucoup plus des commerçants que des techniciens. « Et parfois, quand l’appareil tombe en panne, ils te disent qu’il faut aller en France ou aux Etats-Unis et finalement on dépense encore de l’argent. Ils n’ont pas les pièces de rechange à portée de main. C’est la raison pour laquelle, il faut, dans les cahiers des charges, en ce qui concerne la procédure de passation des marchés, des conditions de telle sorte que celui vend de la pacotille, qu’il puisse rembourser en cas de problèmes », propose-t-il.
Tout en renseignant que la plupart du temps, « il n’y a pas de suivi et il y a beaucoup de deals dans l’achat de ces équipements qui ne sont pas du tout bon ». Il balance : « Dans les régions, on a acheté des ambulances qui n’ont pas duré 6 mois. Lorsqu’elles sont tombées en panne, on ne pouvait pas les réparer. Qui a acheté ces ambulances et à quel prix ? Est ce qu’il y a un cadre de contrôle qui peut éviter ce genre de situation ? ».
 
Pour le Sg du Sames, il faudrait que toute la filière de la maintenance soit modernisée et fournie. « Les écoles polytechniques doivent s’orienter résolument vers la maintenance pour qu’on ait des ingénieurs biomédicaux, des techniciens supérieurs de maintenance », suggère-t-il. Mais, il faut surtout que l’Etat les motive pour qu’ils restent dans le public, sinon ils vont dans le privé.
 
Recrutement de techniciens supérieurs en maintenance et ingénieurs biomédicaux 
 
Or, en guise d’exemple, sans les physiciens-médicaux, il n’y a pas de radiothérapie. Pourtant, ils sont là depuis 2008, mais ce corps n’est pas reconnu dans la Fonction publique. Et le Sénégal n’en dispose que 4. « Actuellement, il n’y pas de statut pour les physiciens-médicaux, ils ne sont même pas considérés comme des techniciens. Alors que parmi eux, il y a des docteurs et d’autres qui ont des niveaux de master, c’est-à-dire Bac+5 plus une spécialisation de deux ans dans une école de formation. Ce manque de considération fait qu’il y a un sous-effectif », souffle une source médicale.
 
Le Sg du Sdt3s d’expliquer : « Je suis dans le domaine de la physiothérapie. Dans le cadre de la formation, c’est l’utilisation d’appareils électroniques. Lors des cours d’électrothérapie, on nous apprend les types de courant qui existent. Ce sont des courants endomogéniques, donc il y a des courants continus et des courants stimulateurs et ce sont les paramètres qu’on applique ».
 
Il poursuit : « Maintenant, il peut arriver que de nouveaux appareils sortent, mais ces éléments ne changent pas en ce qui concerne les appareils. Par exemple, à la radiothérapie, c’est le scanner, l’IRM. Je suppose qu’un technicien ou un médecin radiologue doit être capable d’utiliser un scanner ou l’IRM, car même le technicien supérieur en imagerie médicale, dans le cursus de sa formation, on le forme à faire ces manipulations ».
 
Cheikh Seck d’accuser : « C’est parce que les appareils qu’ils achètent sont de la pacotille, ce n’est pas un problème de formation. Je ne vois pas un domaine où les gens n’ont pas été formés dans l’utilisation des appareils médicaux ».
 
Commencer par les hommes avant les appareils
 
Le syndicaliste de soutenir, par ailleurs, qu’il y a des scanners où on a des tubes qui parfois ont une durée de vie de 18 mois. « Quand le tube doit arriver à expiration, 5 mois à l’avance, il doit y avoir une commande pour un nouvel appareil. Si la date d’expiration est dépassée, ça peut endommager l’appareil. Au lieu de perdre 20 millions de FCFA uniquement pour le tube, vous perdrez un appareil qui coûte 200 millions de FCFA », déclare-t-il.
 
Cependant, il reconnaît aussi qu’il y a un problème d’encadrement des étudiants dans les établissements sanitaires. « Vous amenez un étudiant qui n’est pas encore sorti de l’école, vous le laissez avec l’appareil sans l’encadrer. Il peut faire de fausses manipulations et le bloquer. Les étudiants ne sont plus encadrés, on les laisse seuls à prendre des initiatives ».
Le syndicaliste de proposer ainsi l’investissement sur les hommes avant de penser aux équipements. Il soutient que la formation des agents de santé est primordiale pour pouvoir gérer ces outils médicaux.
 
C’est dire que lorsqu’il y a de nouveaux appareils qui arrivent, l’Etat devrait« capaciter » les gens qui ont déjà suivi des formations à la base dans ce sens afin qu’ils puissent les utiliser convenablement. Pour cela, il faut que la maintenance soit au cœur de chaque structure hospitalière. Il ne reste qu’à espérer que le programme d’équipement des structures sanitaires annoncé par Macky Sall va intégrer cette donne.

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