Du statut du chef de l’opposition au débat autour de l’Histoire générale du Sénégal, en passant par les réajustements dans la communication du régime en place, Pape Mahawa Diouf se prononce sur diverses questions d’actualité. Il met ainsi en avant l’intérêt d’aboutir à des consensus forts aussi bien au plan politique que sociétal. Entretien.
Comment appréciez-vous la volonté affichée du Président Macky Sall de remanier sa stratégie de communication ?
Il est de coutume de rendre plus performants tous les systèmes et tous les cadres d’action, y compris le cadre d’action communicationnel pour le rendre plus efficace et faire en sorte que les objectifs visés soient atteints avec un ciblage plus large et de façon beaucoup plus efficace. Il s’agit de donner des orientations, d’impulser, de remobiliser l’essentiel des acteurs de matière concertée pour dégager une perspective. C’est une bonne chose.
Ce n’est pas la première fois que le président de la République se plaint par rapport à l’aspect communicationnel…
Ce n’est pas une complainte. On a fait des réajustements assez régulièrement qui ont montré leur efficacité. La preuve, du point de vue de la communication, toutes les grandes campagnes électorales ont vu la majorité présidentielle faire très bonne figure. Qu’il s’agisse des Locales, des Présidentielles, des Législatives, chaque fois la majorité a remporté haut la main le combat de la communication. Je crois que de ce point de vue on n’est pas à la traîne, mais il y a toujours des ajustements qu’il faut faire, ici et là, pour rendre encore les choses plus efficaces. À chaque fois notre leader prend les choses en main et les réoriente au besoin, de sorte qu’on soit toujours efficaces. Là aussi c’était le cas.
Comme on dit, «à bon vin point d’enseigne». La volonté de refléter une image reluisante n’est-elle pas antinomique avec les problèmes socioéconomiques auxquels font face les populations ?
J’entends bien ce que vous dites, mais la réalité est tout autre. C’est bien parce qu’il y a des réalisations qu’il faut faire en sorte qu’elles soient visibles. Il faut aussi expliquer, détailler la vision, la prospective, l’orientation et le cap qui est donné par le leader, par la politique conduite par un gouvernement de sa majorité. On a besoin d’organiser non seulement la prise de parole publique, mais aussi les éléments de langage adéquats. Il s’agit, pour chaque cible, de donner le message approprié. Sous le leadership du Président Macky Sall nous l’avons fait par le passé, et nous serons tout à fait en mesure de le refaire avec tous les acteurs qui doivent être impliqués dans ce processus.
Le Président Macky Sall entretient le flou autour du calendrier républicain en disant ne pas savoir quand se tiendront les prochaines élections locales et législatives. Qu’est-ce qui sous-tend cette déclaration ?
Je pense qu’à partir du moment où les acteurs se parlent dans le cadre du dialogue national et du dialogue politique, avec toutes les composantes, l’opposition qui est totalement représentée sans exception, mais aussi, les non-alignés et la société civile, il faut faire confiance à ces acteurs-là. Il faut notamment s’entendre sur l’essentiel, y compris sur le calendrier républicain. Je crois que c’était l’esprit de la déclaration qui a été faite à New York. Il ne faut pas chercher plus que ça.
Ce dialogue intègre le statut du chef de l’opposition qui revient sur la table depuis quelques années. L’on parle même d’un appât à deux milliards qui pourrait contribuer à diviser pour mieux régner. Qu’en dites-vous ?
Je pense qu’il faut être relativement prudent. On a parlé de ceci et de cela…, ce qui est sûr, c’est que, de notre point de vue, le statut de chef de l’opposition ne peut pas être une position qu’on s’arracherait comme un trésor de guerre. Il ne s’agit pas de cela. Il s’agit d’une position institutionnelle qui offre effectivement des droits, mais aussi des devoirs, et ça participe, en tout cas dans l’esprit de la Constitution, de consacrer la position de l’opposition en une forme d’opposition institutionnelle consacrée. L’opposition est déjà reconnue par la Constitution, l’institutionnaliser participe de pacifier le débat public. Un statut, cela permet de laisser jouer un rôle institutionnel au chef de l’opposition dans tous les rendez-vous solennels de l’État. Si c’est ça l’esprit, c’est très bien, c’est très positif. Maintenant, ça ne doit pas non plus être une position qu’on voit comme un trésor de guerre, ce serait dommage. Ça c’est notre point de vue personnel, mais je pense qu’il faut laisser les acteurs, là aussi, poursuivre les échanges parce qu’il y a le texte, il y a la matérialisation du texte qui est souvent le résultat d’échanges multiples, concertés et contradictoires qui finit par donner un consensus. Il faut laisser les débats suivre leur cours jusqu’à ce qu’on ait un bon équilibre. La Constitution votée en 2016 reconnaît le statut de l’opposition, donc il faut le consacrer et le mettre en œuvre. Ça ne devrait pas être source de division si la volonté des uns et des autres reste toujours et encore de servir. Il n’y a pas de raison de s’inquiéter outre mesure pour ça.
On a quand même l’impression que le dialogue tire en longueur et tourne en rond. Y-a-t-il un échéancier clair pour aboutir aux conclusions ?
On ne peut pas dire que ça tire en longueur ou que ça tourne en rond. Les gens échangent, ils s’entendent sur des positions. Il y a des positions autour desquelles les échanges se poursuivent. Il faut que ça prenne le temps que ça doit prendre. Le dialogue dans l’esprit démocratique sénégalais, notre tradition démocratique, n’a pas de prix. En tout cas, de notre point de vue, il n’y a pas de risque à laisser du temps au processus jusqu’au moment où tout le monde va s’entendre sur l’essentiel. Il faut quand même que les Sénégalais aillent vers de grands consensus. Nous avons de grandes questions qui interpellent le Sénégal, sur lesquelles il faut que l’on ait des réponses concertées. Vous avez évidemment la question des hydrocarbures qui vont arriver, le mode de gestion qui doit être apaisé et pas clivant, il y a également la question du climat qui est important, on a parlé du programme de l’agence de reforestation qui doit recruter 50.000 jeunes. La question de l’environnement est posée et sur laquelle le ministre de l’Urbanisme et du cadre de vie fait un excellent travail que nous félicitons et encourageons. C’est des questions consensuelles qui engagent tout le monde. Il y a également la zone de libre-échange africaine… Nous devons avoir de grands consensus sur tous ces genres de sujets là. Sur l’Éducation nationale, sur l’essentiel des curricula et également sur l’orientation de l’Enseignement supérieur vers les métiers de l’avenir on doit entendre l’opposition, on doit entendre toutes les voix qui doivent se prononcer sur toutes ces questions-là, de sorte que l’avenir soit bâti sur la base de consensus forts. Voilà l’esprit dans lequel nous devons orienter le dialogue, et voilà pourquoi il est important que ce dialogue-là se fasse dans des conditions de responsabilité et d’apaisement, et non pas de petites polémiques quotidiennes sur des détournements supposés ici et là, fondées sur rien de sérieux. C’est dommage, et on pense que le Sénégal mérite un meilleur débat public, un débat public de meilleure qualité.
Comment envisagez-vous l’après Macky Sall au niveau de Benno bokk yakaar ?
Il a lui-même évacué cette question qui n’est pas d’actualité. Ce que nous savons c’est que nous avons un président de la République qui, sous son leadership, a bâti la plus large coalition de l’histoire du pays. Il a gagné comme président sortant avec un score jamais égalé quasiment dans un système démocratique ouvert. En termes de bilan, il a battu tous les records. En termes d’équité sociale, sur le plan des infrastructures, de l’électrification rurale, en termes de routes d’autoroutes, on a fait autant sous le magistère du Président Macky Sall que depuis l’indépendance à 2012. Du point de vue de la crédibilité de notre pays en termes d’investissements c’est énorme. Les Jeux olympiques de la jeunesse seront organisés pour la première fois dans notre pays en 2022 ; ce qui prouve que, tout comme l’organisation du Forum international de l’eau, que le Sénégal est crédible. Véritablement, nous avons un régime qui fait des résultats, qui a une perspective et qui eut une promesse d’engagement de près de 7500 milliards récemment. Donc, il nous faut développer une capacité d’absorption de ces investissements-là qui sont produits au Sénégal. Si nous réussissons à faire cette transformation de manière intensive et rapide sous le leadership du Président Macky Sall, de sa majorité et de son gouvernement, nous n’avons aucun doute que la question qui se posera sera de savoir, si on veut ou pas continuer ces politiques publiques à l’endroit du plus grand nombre. Pour l’instant, c’est ces politiques publiques qui priment, et rien d’autre n’est important pour le président de la République. Il faut maintenir le cap et toute la majorité est attelée à travailler à consolider ce cap qui a été dessiné jusqu’à présent.
Récemment la question du voile à Jeanne d’Arc a suscité une vive polémique circonscrite sur le fil, et cette polémique risque de se rééditer à la rentrée des classes 2020. Comment appréciez-vous cette situation ?
Le Sénégal a une longue tradition démocratique marquée par le dialogue. Le dialogue démocratique, mais aussi le dialogue inter-religieux qui fait que l’une des marques identitaires de notre nation reste le fait que nous sommes une République laïque, mais le fondement de cette laïcité reste le dialogue entre les religions et les confessions. Il faut privilégier les solutions qui sont issues des échanges intercommunautaires. Les gens ont toujours discuté dans ce pays pour trouver des solutions. Jamais l’épreuve de force n’a réglé les problèmes, en particulier sur les questions confessionnelles. Ni même la loi, ni même le texte. C’est la discussion, les échanges autour de la table qui ont donné le modèle démocratique sénégalais qui fait que nous sommes un modèle démocratique dans lequel les minorités religieuses et confessionnelles ont totalement leur place dans l’espace public. Cela fait aussi qu’on ne peut pas faire subir à une quelconque personne, quelle que soit sa confession ou sa religion, une quelconque discrimination. C’est toute cette tradition qui fait que nous sommes ce que nous sommes aujourd’hui : l’esprit sénégalais, l’esprit incarné du Sénégal. Nos différences ne s’expriment pas sur un port de hijab ou non ou sur un port de croix. Nous avons dépassé ce questionnement. Tous les acteurs, de notre point de vue, devraient garder à l’esprit cet héritage que nous avons reçu de nos pères fondateurs et que nous devons préserver. Il faut dépasser rapidement ce genre de questionnements qui ne sont pas l’héritage démocratique sénégalais. Et quand je dis l’héritage démocratique sénégalais, je pense à la nation. Je ne pense pas simplement à la République. Je pense aux confréries et aux communautés religieuses qui nous ont légué cette nation sous cette forme-là avec non pas des communautés fermées, mais des communautés qui se parlent.
Quid des histoires autour de l’Histoire générale du Sénégal ?
Nous saluons le travail de la commission en charge de ce projet et l’effort scientifique pour faire ce travail. Mais il faut toujours être prudent sur les enjeux de concurrence mémorielle qui ne doivent pas prendre le dessus sur la mise en écrit de l’histoire qui concerne. La construction d’une mémoire nationale touche à des fibres particulièrement sensibles, et c’est pour cela qu’il ne faut pas le prendre, de notre point de vue, de façon relativement légère. Il faut impliquer tous les acteurs, discuter avec tout le monde, donner place à tout le monde, pas forcément pour que tout un chacun vienne raconter son histoire à lui, mais pour que le sentiment d’être concerné soit réel dans le processus. Parce que si les gens ne sont pas impliqués, ils peuvent avoir le sentiment d’avoir été exclus. Il faut saluer l’initiative de la rédaction de cette Histoire générale, saluer les efforts du professeur Iba Der Thiam – nous avons écouté ses explications, mais il ne faut jamais oublier que la concurrence mémorielle ne doit jamais prendre le dessus sur l’histoire. L’histoire peut être le résultat d’une démarche scientifique, alors que la concurrence mémorielle peut parfois avoir des fondements très subjectifs.