Le procès de votre père Lamine Diack et de vous-même s’est tenu à Paris, sans votre présence ni celle de votre avocat bloqué à Dakar… Comment avez-vous vécu ce procès ?
Avec beaucoup d’intérêt, parce que l’enquête avait assez duré. Plus de cinq ans ! Un acharnement médiatique monstre s’est abattu sur mon père, moi, ma famille et les autres prévenus. Donc, c’était le moment d’évacuer une bonne fois pour toute cette affaire. On n’était très pressé. Ce que j’ai eu à déplorer… J’ai tout fait pour que mes avocats, Me Moussa Sarr qui travaille avec Me Aly Fall, soient présents. Maintenant, on nous a surpris, car on nous a notifié la tenue du procès 15 jours avant, et le juge d’Instruction refusait de me donner l’ordonnance de renvoi en disant que j’avais refusé de déférer à la convocation.
Le procès s’est tenu après que la France ait terminé le confinement. Ne pensez-vous pas qu’il y avait un besoin réel pour la Justice française de tenir le procès sans vos avocats qui connaissent très bien le dossier tels que Me Moussa Sarr ?
Je ne serai pas surpris de cette volonté dans la mesure où ils ne voulaient même pas me donner le dossier pénal ; parce que tout simplement, accuser quelqu’un qui est venu se constituer le 13 janvier, donc, lors du procès, Mes Moussa Sarr et Aly Fall étaient bien présents avec Me Antoine Bauquier, qui se sont constitués officiellement. Ils ont prétexté de la réception tardive des documents de la commission rogatoire internationale pour renvoyer le procès pour six mois, c’est-à-dire, ils vont lire les éléments de Pape Massata Diack, le temps de voir que toutes les parties se consultent. Je suis surpris qu’il n’ait pas voulu me donner le dossier pénal. Nous l’avons déploré. C’est la première instance et cela s’est fait au détriment de nos droits. C’est tout ce que l’on note… Mais nous avions tout fait pour nous défendre, nous étions présents sur place pour écouter les plaidoiries des procureurs, des parties civiles… Je pense que nous avons apporté la réponse qui sied pour le moment, en attendant le verdict du tribunal correctionnel.
Qu’est-ce que vous avez ressenti lorsque vous avez entendu votre père Lamine Diack dire qu’il n’est pas venu au Sénégal depuis cinq ans parce que bloqué involontairement à Paris ?
Cela montre le manque d’impartialité de la Justice française. Vous vous rappelez bien que le 14 janvier 2016, au moment où la Commission indépendante de l’Agence mondiale anti-dopage a organisé sa conférence à Munich ? La Procureure nationale financière, Madame Éliane Molette, s’est présentée à Munich pour faire une conférence de presse. Le symbole de la Justice, c’est la balance, c’est être à équidistance avec les parties, de ceux qui accusent. Elle s’est permise même de faire des déclarations en disant que les 23 athlètes détenus avaient payé sur des comptes offshore m’appartenant et que si je viens en France je serai arrêté. Je pense qu’il y a un acharnement sur Lamine Diack avec cette volonté de lui couper tous les ponts avec des gens qui puissent l’informer sur cette affaire dont moi, son directeur de Cabinet, ses ex-collaborateurs à l’Iaaf, les membres du conseil, ses ex-avocats. Cela montre qu’ils voulaient le mettre dans une condition d’isolement pour pouvoir s’acharner contre lui et sans pour autant en avoir les preuves, parce que le rapport qui a été déposé au niveau du Parquet national financier était non contradictoire. Lamine Diack n’a pas été auditionné par une commission indépendante de l’Ama. Ils sont venus à Monaco à deux reprises au cours des mois de janvier et juin 2015. Ils se sont précipités dès le 4 août de déposer le dossier. Je vois dans l’ordonnance du procès au tribunal correctionnel ceux qui ont fait le rapport, leurs noms disparaissent, à savoir Richard William Pound et Craig Reedie, qui sont les investigateurs de tout ceci. C’est vraiment déplorable pour quelqu’un qui a fait 39 ans à l’Iaaf d’être traîné dans la boue comme ça, surtout par la Justice d’un pays dont il a été un citoyen pendant 27 ans.
Au Sénégal comme un peu partout en Afrique, beaucoup de voix se sont élevées pour dire qu’en réalité, si Lamine Diack traverse une période aussi dure, aussi périlleuse, c’est parce qu’il est noir. Et la jurisprudence de Blatter et Michel Platini dans tout cela ?
Mais ceux qui ont dénoncé cette affaire au niveau du Parquet financier sont réputés être des racistes, notamment William Richard Ban. Lamine Diack et Kéba Mbaye l’ont empêché d’être président du Comité international olympique (Cio). Ils ont travaillé ouvertement contre M. Creedy pour favoriser la candidature de Sébastian Coe qui est un anglais, qui a été vice-président de Lamine Diack pendant 8 ans et qui prétend aujourd’hui ne pas être au courant de tout ce qui s’est passé alors qu’il y a fait 12 ans. Donc, je ne douterai pas qu’il existe des connotations racistes dans leur enquête, parce que dans un élément du rapport de l’Ama, j’avais vu qu’ils nous accusaient de détenir une société à Singapour qui s’appelle Black Tidings et qui veut dire en langue hindoue «laver de l’argent noir». On en a tout vu dans cette enquête. C’est surprenant que dans les dossiers de l’enquête pénale française que leurs noms disparaissent. Je pense qu’il y a une volonté affichée de dissimuler le rôle qu’ils ont joué, mais je le dis haut et fort que Richard William Pound et Reedie qui sont à la base de tout ceci, ne doivent pas être des gens qui aiment les noirs.
On sait quel est le verdict que réclame le tribunal contre votre père, Lamine Diack et vous-même. Cela vous fait quoi ?
Je suis tout à fait confiant, parce que les juges du tribunal correctionnel sont des juges du siège. Ils ne se laissent pas influencer par n’importe quoi. Le procureur lui-même a émis des doutes dans sa plaidoirie de quatre tours d’horloge. Ils parlent des virements des athlètes russes sur mes comptes. Où sont les preuves du virement ? Pendant les six heures du procès, aucune preuve de virement n’a été trouvée dans mon compte et celui de mon père, Lamine Diack. Ils sont allés en Russie pour enquêter. Ils n’ont même pas interrogé les athlètes qu’ils accusent de nous avoir versé de l’argent (Rires). Cela montre que cette affaire ressemble à une mascarade judiciaire. Ils ont enquêté et ont dit que les athlètes (6 ou 7) nous ont versé 3.450.000 000 euros. Mais à qui ? La corruption, c’est entre deux personnes : le corrupteur et le corrompu. Ils n’ont vu absolument rien alors que la défense d’un des prévenus l’a soulevé en leur disant qu’ils sont allés en Russie sans interroger les athlètes. Je pense que c’est assez léger pour une institution aussi précieuse que la Justice française. Mais ce qu’on voit dans les dernières révélations de l’affaire François Fillon et d’autres affaires que le Pnf a des méthodes d’enquêtes qui laissent à désirer.
Réitérez-vous vos propos disant que vous êtes blanc comme neige dans cette affaire ?
Je le réitère de la manière la plus sereine. D’ailleurs, c’est depuis le début. J’ai dit dans une interview au journal l’Équipe, le 27 février 2016, que cette histoire qui a été montée par Richard William Pound et Craig Reedie, est le plus gros mensonge de l’histoire du sport mondial. Je maintiens ma position là-dessus. Ils ont embarqué Sebastian Coe dans cette affaire qui y a trouvé son compte qui est d’effacer tout ce que Lamine Diack a fait au niveau de l’Iaaf pendant 16 ans et dire qu’il était le sauveur, le chevalier blanc qui allait sauver l’athlétisme mondial. Cela a arrangé l’Ama qui est au courant de cette histoire de dopage russe depuis 2010 et qui n’avait rien fait. Et Creedy était membre avant d’être président de 2013 jusqu’en 2019. Ils n’ont absolument rien fait et cherchent un bouc-émissaire. C’est clair. Maintenant, je conteste les accusations qu’ils ont faites. Mon rôle au niveau de l’Iaaf était d’apporter des contrats de sponsoring. J’ai un contrat important en Russie depuis 2007. À l’époque, il n’y avait aucun problème de dopage et absolument rien. Ce contrat a été renouvelé jusqu’en 2015. Donc, mes relations avec la Russie tout le monde le sait. Je me suis retrouvé à protéger le championnat du monde parce que c’est dans un pays où j’ai un très gros client, une banque d’État, la deuxième du pays qu’est Btb. Mais, aussi, on avait un championnat du monde en 2013. Lamine Diack a demandé à ce qu’on espace des sanctions et qu’il y ait une gestion raisonnée, qu’on ne fasse pas du sensationnel parce que c’est une nouvelle technique de détection du dopage qui est le passeport biologique qui demandait beaucoup d’expertise, pour ne pas qu’on fasse d’erreur sur le profil des athlètes. Il a espacé sur une période de dix-huit mois pour ne pas affecter l’organisation des Jeux Olympiques de Londres en 2012 et un championnat du monde en 2013. Tous les athlètes russes ont été condamnés. Aucun cas de discrimination de dopage ne pourrait être imputé à Lamine Diack et ce n’est même pas mon domaine. Je maintiens ma position là-dessus. Mon innocence est avérée. Mes avocats l’ont bien défendu au procès et le tribunal correctionnel prendra la décision qui sied.
Certains disent que Lamine Diack a commis l’erreur lorsqu’il a eu à soutenir qu’il avait besoin de tant de millions d’euros pour venir au Sénégal et faire face au régime du Président Abdoulaye Wade. N’est-elle pas l’occasion qui a permis à la Justice française de dérouler ?
Je sais que le juge est spécialiste des scandales politico-financiers et des enquêtes très médiatisées. J’ai rejeté la déclaration de Lamine Diack, le 22 décembre 2015. J’avais dit que rien ne me lie avec ces histoires de financement politique. Mon père en a parlé, je ne sais pas si c’est sous le poids de l’âge ou peut-être le fait qu’il soit interrogé à 22 heures 15 minutes pour un monsieur de son âge, à 82 ans, après 36 heures de garde-à-vue. Je dis que la relation entre la Russie est contractuelle et commerciale, traçable par des virements que mon sponsor m’envoie. Je n’ai pas participé à des réunions ou un pacte. Les données des athlètes sont sur le site Internet. L’Ama a toutes les données des athlètes, tous les sportifs. Donc, avec l’Ama, personne ne peut dissiper quelque chose qu’ils ont. Je pense que c’est une construction de la Justice française pour justifier cette enquête. Je vais vous dire une chose : je conteste même la compétence de la France dans cette enquête dans la mesure où la France n’est pas le siège de la l’Iaaf. Elle n’a pas reçu de l’argent sur un compte appartenant à Lamine Diack. Ils auraient pu prendre leur avion et venir au Sénégal, rencontrer le magistrat de liaison qui se trouve à l’ambassade de France au Sénégal en leur faisant savoir qu’ils auraient des accusations contre des Sénégalais. C’est dire que cette enquête s’est faite sur des constructions de mensonges, de complots, de fuite dans la presse. C’est une enquête bâclée qui s’est faite dans un acharnement qui ne dit pas son nom, une instruction à ciel ouvert comme le dit Me Moussa Sarr.
Et votre père ? Vous vous parlez ?
Il n’a pas le droit de me contacter depuis cinq ans. Ce que je déplore. On l’accuse de m’avoir aidé à décrocher des contrats de sponsoring alors que Lamine Diack n’a jamais assisté à une réunion de marketing. Tout le monde me connaît agent marketing depuis 1990. Au moins qu’on lui donne un moyen de me contacter pour voir ce que je peux apporter à ces accusations.
La presse a parlé de message renversant…
Mes avocats l’ont contesté de la manière la plus énergétique. Je n’ai besoin d’envoyer des messages à Habib Cissé. Je déplore que ce dernier qui est avocat de l’Iaaf, se soit permis de signer un autre contrat d’avocat conseil auprès de la Fédération russe d’athlétisme, ce qui est un conflit d’intérêt. Quand j’ai eu des échos de la part de M. Valentin, je lui ai dit qu’il a intérêt à rembourser ce que les russes lui ont payé et je vais le dénoncer au niveau du président Lamine Diack. En 2012, sur les revenus que l’Iaaf devait générer, les 17.650.000 dollars du marketing, j’ai rapporté 6.550.000, presque 40% du budget. Ils disaient initialement que j’avais reçu un virement de 23 athlètes russes. Le mandat d’arrêt international qui m’interpelle dit que j’ai reçu de l’argent sur les comptes offshore à Singapour. Ils n’ont rien vu. Ils sont allés à Singapour, en Russie.
À l’image de bon nombre de Sénégalais, vous attendez avec impatience le retour de Lamine Diack au Sénégal ?
Tout à fait. C’est le moment de le laisser revenir quelle que soit la décision rendue. Il doit revenir. On sait que ce procès ira jusqu’à la Cassation. On ne peut pas le retenir…il a un âge très avancé. Il mérite de vivre avec les siens.
Entretien réalisé par Abdoulaye MBOW