Paradoxes autour du soutien aux populations démunies (Mamadou SY Albert)

L’impact de la crise du covid-19 remet de nouveau au centre des préoccupations des pouvoirs publics, des acteurs politiques et des partenaires techniques et financiers, le sort des couches sociales affectées par la crise. L’élan de solidarité nationale fortement partagé par toutes les composantes de la société traduit sans doute une prise de conscience de la gravité de la situation insoutenable des populations démunies. L’aide alimentaire, le retour des enfants-talibés dans les familles et le soutien au secteur informel constituent les principaux volets de la stratégie gouvernementale. La solidarité nationale cache mal de nombreux paradoxes.

L’aide alimentaire aux populations les plus fragiles, le retour des enfants-talibés dans les familles et le soutien aux opérateurs privés nationaux évoluant dans l’économie solidaire occupent une place importante dans la stratégie de lutte contre le coronavirus. Ces trois volets de l’action sociale et économique du gouvernement traduisent l’intérêt accordé au sort des couches sociales affectées très fortement par l’impact de la crise sanitaire et économique. Les Sénégalais saluent naturellement à sa juste valeur cette contribution des pouvoirs publics à la protection sociale des populations, notamment les plus fragiles. L’urgence exige évidemment cette réaction humanitaire de l’État, le premier protecteur des citoyens et des entreprises en difficulté.

Cette décision politique n’en secrète pas moins des interrogations quant à la pertinence des choix présidentiels. L’aide alimentaire constitue la première source alimentant des questionnements au regard des expériences négatives en matière de détournements d’objectifs, de politisation de l’aide publique par les gouvernants et de l’effet psychologique d’une stigmatisation des bénéficiaires du soutien étatique.

Le Président de la République, Macky Sall, a choisi de venir en aide aux populations démunies en mettant à leurs services des denrées alimentaires de première nécessité, en l’occurrence le riz, l’huile, le sucre, le savon. C’est un choix personnel du chef de l’État. Cette forme d’aide en nature n’est point une première dans l’histoire de l’État sénégalais. Le pouvoir socialiste a été certainement le premier pouvoir post-colonial à initier, dans le contexte dévastateur des années de sécheresse des années 1970, la politique de l’aide alimentaire. À son époque, cette aide alimentaire empoisonnée sera fréquemment transformée en une arme alimentaire pour acheter une clientèle politique corvéable à merci.

L’aide alimentaire actuelle suscite naturellement la suspicion pour des raisons identiques à celles de l’époque socialiste. Au-delà de cette dimension politicienne potentielle – puisque toujours actuelle du reste – dans le contexte du parti-État et de l’exclusion des pauvres de la gouvernance des affaires de la République, on devrait interroger également la dimension psychosociale que l’aide alimentaire secrète consciemment ou inconsciemment. L’aide alimentaire peut avilir une personne humaine, fragiliser des groupes minoritaires, voire stigmatiser des responsables de familles et de foyers en raison du statut social, culturel et ethnique dans une société fortement hiérarchisée et mercantiliste. Le choix alternatif à cette  aide alimentaire aux facettes multiformes insoupçonnées par le donateur étatique, pourrait bien être le  soutien financier. Ce mécanisme est plus anonyme et expose moins le demandeur aux yeux et aux préjugés sociaux, culturels et religieux. Cette forme moins violente socialement, est plus en adéquation avec la protection sociale et morale des plus vulnérables. Elle  participe à  la  protection  de  la dignité des démunis. Il met aussi fin, indirectement, au cycle infernal de la politisation du soutien de l’État.

Que dire des enfants des écoles coraniques ? Les responsables des écoles coraniques vivent de l’enseignement coranique. Vont-ils se séparer de leurs élèves ou remettre ces talibés aux parents, en raison de risques sanitaires ? Rien n’est moins évident. Des franges importantes de parents ont confié leurs enfants à ces enseignants. Peut-être même pour toute la vie. Les parents qui souhaitent réellement récupérer les enfants pourraient se compter sur les doigts d’une main. Beaucoup de ces responsables d’écoles coraniques seront tentés de maintenir ces enfants loin de la tutelle de parents démunis ou à l’étranger. La question du retour des enfants dans les familles risque de durer le temps d’une récupération intelligente d’un probable soutien financier et vivrier de l’État central et des collectivités territoriales. Plusieurs de ces enfants retourneront à la case de départ.

Le soutien aux opérateurs privés nationaux de l’économie solidaire est salué à juste valeur par ceux qui souffrent de l’impact du covid-19 sur les affaires. Ils sont des milliers et des milliers de jeunes. Ils vivent de diverses activités économiques : commerce, restauration, des métiers de la ville etc. Plus la crise les confinera dans les foyers, plus ils subiront les impacts de la crise et du confinement. Quel que soit le montant du soutien financier, ces acteurs ne pourront pas tenir si l’épreuve de privation des activités économiques se prolonge.

Ils basculeront inéluctablement dans la pauvreté. La solidarité nationale constitue certainement une bouffée d’oxygène pour les couches sociales les plus fragiles, pour les enseignants des écoles coraniques et pour les opérateurs privés. La solidarité nationale ne suffira point pour mettre à l’arrêt, la pauvreté, l’exploitation des enfants-talibés et le chômage endémique de la jeunesse sénégalaise des campagnes et des villes.

 

 

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