Populisme et Illusion de la Vérité : Le “Jub Jubal Jumbenti” au Cœur de la Gouvernance Sénégalaise (Par Souleymane Aw Comptable senior – financier – contrôleur de gestion)

Depuis l’arrivée du nouveau pouvoir, le Sénégal assiste à une montée en puissance du discours populiste, où la communication est axée sur l’indignation, la dénonciation et des promesses de rupture radicale. Ce phénomène, connu sous le slogan “Jub Jubal Jumbenti” (transparence, reddition des comptes et rupture), semble séduire une partie de l’opinion publique, mais pose une question fondamentale : assiste-t-on à une véritable transformation structurelle ou à une instrumentalisation politique des institutions pour marquer des points dans l’opinion ?

Au centre de cette vague populiste, le rapport de la Cour des comptes est présenté comme une révélation choc sur la mauvaise gestion des finances publiques, alors qu’il s’agit d’un exercice annuel de contrôle budgétaire. En parallèle, le gouvernement annonce une réduction des salaires de certains fonctionnaires, tout en évoquant une baisse des subventions sur l’électricité et des réformes budgétaires drastiques. Mais au-delà des effets d’annonce, quelles sont les implications réelles de ces mesures ?

1. La Cour des Comptes : Un Outil de Contrôle, Pas une Arme Politique Les rapports de la Cour des comptes sont un instrument fondamental de la gouvernance démocratique, permettant d’évaluer la gestion des finances publiques et de proposer des corrections. Mais dans le contexte actuel, ce rapport est utilisé comme une arme politique pour légitimer une rupture brutale avec l’ancien régime.
Exemple d’interprétation biaisée : Les “détournements de fonds” Certains acteurs politiques et médias avancent que plus de 1 000 milliards FCFA ont été “détournés”. Pourtant, la Cour ne parle pas de détournement massif, mais plutôt d’irrégularités administratives et comptables, qui ne signifient pas forcément des actes frauduleux.
Exemple : Les “fonds perdus” qui peuvent être récupérés Il est laissé entendre que ces sommes pourraient être immédiatement récupérées, occultant les réalités juridiques et procédurales de ces dossiers. En réalité, de nombreuses anomalies relèvent d’une mauvaise gestion comptable, et non de vol organisé.
Ces simplifications alimentent une illusion de vérité : à force de répéter ces affirmations, elles deviennent une certitude populaire, sans réel fondement technique.

2. La Réduction des Salaires : Une Mesure Populiste ou Nécessaire ? Le secrétaire général du gouvernement, Ahmadou Al Aminou LÔ, a récemment annoncé que certains hauts salaires seraient revus à la baisse, dans le cadre des réformes budgétaires pour redresser les finances publiques. Un ciblage flou des salaires élevés
Le gouvernement assure que les petits salaires ne seront pas touchés, mais n’a pas précisé quels seront les critères de sélection des hauts revenus à réduire.
Un impact budgétaire incertain . Avec une masse salariale de 1 485,5 milliards FCFA en 2025, même si certaines réductions sont appliquées, cela suffira-t-il à combler le déficit ?
Un message contradictoire dans un contexte de vie chère Pendant que l’État annonce une réduction de salaires, les populations subissent l’inflation et une possible baisse des subventions sur l’électricité, ce qui aggravera la précarité économique.

3. Le Populisme Économique : Des Solutions Simplistes à des Problèmes Complexes Le “Jub Jubal Jumbenti”, dans son ambition de rupture, laisse croire que la situation économique peut être redressée en appliquant des mesures immédiates et radicales, alors que la réalité est plus complexe.

Idée populiste : “Il suffit de récupérer les milliards détournés pour équilibrer le budget”
Réalité : Même en récupérant certaines sommes, cela ne compensera pas le déficit budgétaire structurel.
Idée populiste : “La réduction des salaires suffira à alléger les charges de l’État”
Réalité : L’impact sur le budget sera limité, tandis que la baisse de revenus pourrait provoquer une fuite des talents vers le secteur privé.
Idée populiste : “Les réformes suffiront à remettre le pays sur pied rapidement” Réalité : La modernisation de la gestion budgétaire est un processus long qui nécessite une stabilité institutionnelle et une gestion rigoureuse, bien au-delà des slogans.

4. Quels Risques pour le Sénégal ?

1. Un écran de fumée politique L’obsession pour les polémiques et les annonces spectaculaires détourne l’attention des véritables réformes économiques nécessaires.
2. Une instabilité sociale et économique
La combinaison baisse de salaires + réduction des subventions + coût de la vie élevé risque d’engendrer une colère populaire et des tensions sociales.
3. Un affaiblissement des institutions . Si chaque gouvernement utilise la Cour des comptes pour régler des comptes politiques, cela fragilise la crédibilité de cet organe de contrôle.
5. Quelle Gouvernance pour l’Avenir ? Si le “Jub Jubal Jumbenti” veut être plus qu’un simple slogan, il doit se traduire par des actions concrètes et cohérentes, loin du populisme. Appliquer rigoureusement les recommandations de la Cour des comptes, sans récupération politique.
Élargir l’assiette fiscale pour générer plus de recettes, au lieu de se concentrer sur la réduction de salaires.
Miser sur des réformes structurelles plutôt que sur des effets d’annonce.
Stabiliser les institutions pour éviter un climat de suspicion permanente.
Conclusion : Entre Populisme et Réalité, le Sénégal à un Tournant . Le “Jub Jubal Jumbenti” doit être une réforme profonde et non une rhétorique électoraliste. La gouvernance ne doit pas se résumer à des coupes budgétaires spectaculaires, mais à une gestion pragmatique des finances publiques. Les Sénégalais méritent des solutions durables et une vision économique claire, au-delà des promesses faciles. Le défi est de passer d’un discours de rupture à une véritable transformation structurelle, au service du développement et du bien-être collectif.

(Par Souleymane Aw Comptable senior – financier – contrôleur de gestion)