PORTRAIT: Amath Dansokho

Il est de cette race d’homme dont l’action reste indéfiniment inscrite dans les annales de l’histoire de leur Peuple, de ces hommes valeureux qui meurent debout. Amath Dansokho, le communiste, l’héritier sénégalais de Lénine, Che Guevara, Mao, Majhemout Diop… garde jalousement et avec beaucoup de précaution ce legs de ses pairs qu’est l’engagement pour le triomphe des causes populaires dont le principal soubassement est l’émergence d’une société juste. Malgré le poids de l’âge et son état de santé, ce journaliste de formation, qui a marqué son territoire dans le vaste terrain politique, défie le temps par son engagement sans répit. Lumière sur les péripéties de la vie d’un révolutionnaire jusqu’au dernier souffle.

Dakar brûle en cette période de campagne électorale. Des affrontements violents entre manifestants déterminés à rallier la place de l’Indépendance et des policiers mettent la ville à feu et à sang. Prostrés devant la mythique place «Protêt», les militants de l’opposition et certains de leurs leaders tentent de forcer le barrage policier pour parader devant le palais de la République, afin de s’insurger contre la troisième candidature de Abdoulaye Wade. En pleine procession dans les parages de la place «interdite», un manifestant pas comme les autres se pointe, débarquant d’un taxi.

S’appuyant fébrilement sur sa canne pour sortir du véhicule, le vieil homme peine à tenir sur ses jambes frêles. C’est un vieux révolutionnaire aux allures de Che Guevara le béret en moins, qui vient braver la fumée âcre des la­cry­mogènes pour défendre son Peu­ple. D’une démarche de caméléon, il rallie la foule surexcitée de le compter parmi les dépositaires de sa cause. «Dansokho ! Dan­sokho !», acclament les manifestants.

L’image est saisissante à l’instar des péripéties du glorieux combat marxiste-léniniste qu’a mené l’homme toute sa vie durant. Sa force et sa fougue fléchissent sous l’effet du temps, mais, son courage, sa conviction, son abnégation… n’ont point pâli. Mieux, ils restent vigoureusement indissociables de l’homme. A 76 ans le vieux briscard, révolutionnaire jusqu’à la moelle des os, est toujours d’attaque. Prêt à porter haut le flambeau des causes sociales. Peu importe le prix à payer!

Cet engagement infaillible est devenu un trait de caractère d’un homme marqué par les péripéties de son militantisme politique par effraction. Né le 13 janvier 1937 dans le Sénégal oriental de l’époque (Kédougou) dont il a été le député-maire sous le régime de Wade, Amath Dansokho a fait ses premiers pas en politique au Parti africain pour l’indépendance (Pai).

Journaliste de formation, il représente son parti à la revue internationale communiste dans les années 1960. Une expérience qui a aujourd’hui forgé son caractère révolutionnaire. En effet, durant son séjour à Prague, ce professionnel que rien ne prédestinait à la politique baigna dans le magma doctrinal et idéologique du communisme international. Mais, sans complexe il parvint à marquer de son empreinte le cercle dirigeant de l’Union soviétique en imposant sa perception du communisme en pleine guerre froide contre le camp opposé : le capitalisme incarné par les Etats-Unis. Après ce long exode où il fit la connaissance d’une des figures du communisme, Ernesto Che Guevara, dont il ne partageait pas toutes les idées, Dansokho retourne au bercail en 1979. Il parvint à s’imposer dans le groupe dirigeant du Pai, à l’époque de la semi-clandestinité.

Couvé par son prédécesseur Majhemout Diop, il rejoint Seydou Cissokho au Parti de l’indépendance et du travail (Pit), suite à l’émiettement du bloc de gauche en 1981. Ce dernier fit de lui son adjoint, avant qu’il ne lui succède à sa disparition.

A la tête du Pit, Dansokho œuvre résolument pour que son parti se fasse une place au banquet des deux blocs : celui du régime incarné par le tout-puissant Parti socialiste (Ps) et celui de l’opposition dirigé par Abdoulaye Wade (Pds). Ce qui lui a valu d’être promu ministre de l’Urbanisme et de l’Habitat en 1993. Mais, le communiste réfractaire à la soumission rompt, en 1998, la collaboration avec le régime socialiste de Diouf qu’il accuse de «mal gouvernance». «Il est convaincu que l’Etat, c’est le Peuple. Il vit, agit et parle en révolutionnaire. Il n’accepte aucune compromission d’un Etat qui se détourne des aspirations du Peuple», souffle un de ses compagnons.

 

‘’Dansk’’, le ministre rebelle

Un tempérament d’insoumis qui finira par déteindre sur ses relations avec le candidat qu’il a soutenu en 2000, Abdoulaye Wade. En effet, huit mois après l’alternance, son franc-parler et ses principes inaliénables de défenseur du Peuple dérangent le pape du Sopi qui finira par se séparer de lui.

Son retour dans l’opposition est le point de départ du combat livré contre le «sphinx» libéral qui finira par capituler le 25 mars 2012. En effet, tout est parti de la création du Cadre permanent de concertation de l’opposition (Cpc) (2001) dont il a été membre-fondateur et coordonnateur, et qui donnera naissance au Front siggil senegaal, qui deviendra Benno siggil senegaal en 2009, puis aujourd’hui Benno bokk yaakaar. Son salon servait de Qg où toutes les stratégies de l’opposition étaient concoctées lors des fameux huit-clos du mercredi.

 

«Si vous voulez m’empêcher de vivre, empêchez-moi de militer»

Président d’honneur du Pit à l’issue du congrès de 2010, qui a consacré son remplacement par Maguette Thiam, Dansokho reste toujours un monument devant lequel s’agenouille tout militant. D’aucuns lui collent d’ailleurs le sobriquet : «Mandela du Sénégal» pour sa «sagesse et en mémoire à son engagement».

Dans les rangs de son parti, il est perçu comme «l’éclaireur de la troupe à qui on doit toute gloire». «Malgré l’âge, les difficultés de santé, Dansokho croit toujours aux valeurs sociales de gauche. Nous souhaitons que la jeunesse sénégalaise prenne cet exemple comme valeur. C’est quelqu’un qui respecte notre démocratie. Ce que j’admire le plus, c’est sa générosité et son engagement. Il est toujours prêt à aller au front pour défendre les intérêts des populations», confie son successeur à la tête du Pit, Maguette Thiam. Et le secrétaire chargé de la communication du parti, Samba Sy, de renchérir en se focalisant sur la nature méconnue du personnage : «Au-delà de son engagement sans mesure, ce qui m’a le plus marqué chez lui, c’est son cœur et sa sensibilité à fleur de peau. En réalité malgré son abnégation, Amath Dansokho est très sentimental et cela lui a des fois porté préjudice. Certains ont appuyé sur ce levier pour l’atteindre. Il est très disponible. Il aime même ses adversaires». Il ajoute : «J’ai été sensible à cette image que je garde de lui descendant d’un taxi pour aller manifester contre la candidature de Wade en 2012 à la place de l’Indépen­dance noire de policiers armés jusqu’aux dents». Cette image est certes touchante, mais ne «surprend» pas outre mesure ses camarades de parti qui ont eu à le pratiquer. «Cela ne m’a pas surpris de lui», confie M. Sy qui se rappelle d’une affirmation de son président d’honneur. Il nous disait, confie Samba Sy, «si vous voulez m’empêcher de vivre, empêchez-moi de militer».

S’il est encensé par ses camarades de parti, Amath Dansokho est cependant critiqué par des détracteurs. Selon ces derniers qui souhaiteraient aujourd’hui le voir «prendre de la hauteur et se départir de toute fonction administrative», il (Dansokho) est «à la recherche de privilèges dans le gouvernement». Son recyclage au Cabinet du président de la République avait fait couler de l’encre et de la salive. D’aucuns affichaient leur déception suite à sa nomination.

Malgré son riche parcours élogieux et son engagement, la présence de cette figure de proue de la lutte communiste n’emballe pas trop certains qui agitent depuis belle lurette son départ. A ces derniers, Samba Sy rétorque : «Amath Dansokho est un monument au Sénégal. Ce jour où il descendait du taxi pour manifester auprès du Peuple malgré son état de santé, pourquoi personne n’a pensé à lui dire d’aller se reposer».

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