Ce dimanche, 24 février 2019, les Sénégalais sont appelés, pour la 11e fois, à élire un président de la République. Idrissa Seck, Ousmane Sonko, Me Madické Niang et El Hadji Issa Sall se lancent dans la course pour le fauteuil présidentiel occupé par Macky Sall, candidat à sa propre succession. Le nombre réduit de candidats (5), du fait du parrainage, donne à cette élection d’autres enjeux. La concentration de l’électorat autour de cinq candidats seulement annonce un scrutin ouvert à l’issue incertaine. Dans cette bataille, les forces sont, en apparence, inégales. Le candidat sortant, porté par une majorité présidentielle forte de nombreux soutiens, fait face à son ancien frère de parti, Idrissa Seck. Ce dernier qui est à son troisième coup, après ses participations en 2007 et 2012, n’a jamais été aussi proche du Palais, en raison des soutiens dont il bénéficie. Ces deux membres de la famille libérale et anciens «fils» de leur père, Me Abdoulaye Wade, sont en compétition avec trois concurrents de moindre envergure politique. Même si les deux (El Hadji Issa Sall et Ousmane Sonko) ont participé aux dernières Législatives de juillet 2007, ils font leur baptême de feu à une élection présidentielle, mais sont mieux lotis que Me Madické Niang qui est à sa première expérience électorale. S’il y a des «novices», il y a aussi de grands absents : le Parti socialiste (Ps) et le Parti démocratique sénégalais (Pds) qui manquent au rendez-vous présidentiel pour la première fois de leur histoire. Le Ps s’étant rangé derrière Macky Sall et le Pds, par la voix de son Secrétaire général national, a opté pour le boycott.
Docteur en communication et marketing politique, Dr Momar Thiam analyse les enjeux de l’élection présidentielle de ce 24 février. L’ancien Consul général du Sénégal à Bordeaux, présentement Directeur général de l’Ecole des hautes études en information et communication (HEIC), passe également en revue les atouts et faiblesses de chacun des cinq candidats en lice.
Macky Sall, seul contre tous
Enjeux : «L’enjeu premier pour le président sortant c’est sa réélection. Pour la bonne et simple raison qu’il a déjà fait un mandat, et comme il le dit lui-même, il est dans un programme qui s’inscrit dans une période assez longue (2035), et il lui faudrait un autre mandat pour parachever ce programme. Raison pour laquelle d’ailleurs pendant toute la campagne il a défendu son bilan. L’objectif premier pour lui donc, c’est d’être réélu. Et le second enjeu que je vois pour lui, c’est la préservation des acquis à son niveau, parce qu’il se veut le chantre de l’amélioration des infrastructures au Sénégal, et il estime que cela devrait rester une fois qu’il ne sera plus là. Il est dans un programme pour un Sénégal émergent, et comme il le dit, nous sommes au début de l’émergence, et il faudrait le parachever. Donc, c’est plus un challenge pour lui.»
Atouts : «Les atouts dont il dispose, c’est d’abord ce qu’on appelle la prime aux sortants, c’est à dire que c’est le candidat sortant qui a exercé la Magistrature suprême pendant cinq ans, et qui bénéficie donc de l’appareil d’Etat et de tout ce dont on peut disposer en termes logistique et organisationnel quand on gère le pouvoir. Donc évidemment il a de l’avance sur les autres. Ensuite, il dispose d’un programme qu’il a commencé à dérouler, et c’est ce qu’il a expliqué tout au long de sa campagne. L’autre avantage, c’est que, quoi qu’on puisse dire, c’est un homme d’Etat, avant d’accéder à la Magistrature suprême il a eu à exercer de hautes fonctions (Directeur de société, ministre, Chef du gouvernement, président de l’Assemblée nationale), il a donc un capital expérience qui lui est profitable et qui peut faire la différence par rapport aux autres.»
Faiblesses : «Les faiblesses du candidat Macky Sall tournent autour de deux choses à mon avis. A partir du moment où on est candidat sortant, on est seul contre tous. Et si on estime que les coalitions qui se sont constituées autour des quatre candidats de l’opposition respectent la discipline de vote, cela peut nuire à Macky Sall. On a l’impression que les autres coalitions de l’opposition emportent un peu la mise en termes de mobilisation, et à partir du moment où le nombre est un peu plus conséquent, la coalition Benno Bokk Yaakar accuse une faiblesse à ce niveau, et donc forcément le candidat Macky Sall. L’autre aspect c’est cette suspicion autour du fichier électoral par les membres de l’opposition, mais aussi une partie de l’opinion, qui pense que les dés sont déjà jetés et que cette élection est biaisée, pour ne pas dire volée par le pouvoir. Et cela constitue une faiblesse en termes d’image et de perception pour Macky Sall, comme un effet boumerang. Cela jette le discrédit sur lui et pourrait dissuader ceux qui voulaient voter pour lui. Il y a aussi le fait que bien qu’il soit porté par la coalition BBY, le parti de Macky Sall, l’Apr, n’est pas un appareil assez armé d’un point de vue politique, idéologique et programmatique pour être une arme fatale à la conquête du pouvoir. L’Apr n’est pas arrivée à maturité pour être un appareil indéfectible qui, à lui seul, peut propulser Macky Sall, ce qui est donc une faiblesse politique. Et le fait qu’il soit entouré par des anciens, des barons qui ont fait pratiquement tous les régimes, déteint aussi sur l’image du candidat Macky Sall.»
Idrissa Seck, le challenger
Enjeux : «Le principal enjeu pour lui, c’est d’enrailler un peu cette espèce de machine à la limite politico-médiatique qui autant lui profite dans des moments de dynamique politique, autant constitue un frein pour lui à chaque fois qu’il y a des propos déplacés ou incompris par l’opinion (Bakka Makka par exemple). L’enjeu pour lui c’est aussi de faire mieux que les autres élections passées, et qu’il démontre qu’il est le maitre incontesté de Thiès, et même au delà.»
Atouts : «J’estime qu’il a un génie politique qui lui permet de toujours rebondir. Aujourd’hui, il a engrangé le plus de coalitions et de personnes ressources autour de sa candidature, et cela contribue à lui donner l’image de quelqu’un de crédible, de compétent et de fréquentable. Et tout cela forme un conglomérat de critères qui renforcent son image et le propulse probablement comme le challenger majeur du candidat sortant. Et pour cela, je trouve qu’il a fait preuve de prouesse politique. Si je devais le qualifier, je dirais que c’est un homme compétent, un homme d’Etat qui a de l’endurance et qui sait rebondir. Il peut constituer si ce n’est le principal challenger, l’empêcheur de tourner en rond pour le pouvoir sortant. Idrissa Seck a aussi occupé de hautes fonctions (ministre, Directeur de cabinet du président, Premier ministre), et bénéficie du capital expérience qui peut avoir une influence sur la décision de vote.»
Faiblesses : «C’est autant un homme politique qui est capable du meilleur mais aussi du pire. J’ai l’impression que c’est un homme d’Etat à qui on ne pardonne rien, ses ‘’frasques’’ ou débordements de langage sont quelquefois sur-interprétées et qu’on lui demande toujours plus que les autres. Mais c’est peut-être parce qu’on voit en lui quelqu’un qui a une exigence de résultats sur lui-même et sur les autres. Je ne dis pas qu’il est élitiste mais j’ai l’impression qu’il est enfermé dans ce carcan, et il faudra à un moment qu’il casse l’armure, il y arrive progressivement, et qu’il arrive à être un homme politique qu’on considère comme les autres, c’est à dire un être humain fait de qualités et de défauts. Une de ses faiblesses aussi, à mon sens, c’est qu’on a l’impression qu’une partie de l’opinion ne lui fait pas confiance, et c’est comme un boulet qu’il traine.»
Ousmane Sonko, la révélation
Enjeux : «Pour Ousmane Sonko, l’enjeu pour cette campagne, c’est de transformer l’essai des Législatives en un essai concluant pour la Présidentielle.»
Atouts : «Tout le monde s’accorde à dire que c’est la révélation politique de ces deux ou trois dernières années. C’est quelqu’un qui a eu l’audace, et la volonté de faire la politique autrement, et il a eu un langage qui a accroché une partie de l’opinion qui était assez découragée de la chose politique, notamment les jeunes. Il a un message qui accroche, un phrasé qui peut être entendu et compris. Il a réussi à être député et je dis que c’est quand même une prouesse. L’autre élément positif pour lui c’est qu’il su s’entourer de personnes compétentes et assez averties, et cela se voit dans sa manière d’aborder les débats et les différents thèmes (éducation, santé, bonne gouvernance…).»
Faiblesses : «Je pense qu’autant il est compétent et a cette capacité d’analyse et de propositions, autant j’entrevois une petite faiblesse chez lui qui à mon avis, pouvait être la valeur ajoutée sur son image. Et c’est le fait que ces têtes supposées l’entourer, on ne les voit pas, et souvent on juge la capacité d’un homme d’Etat à gérer la chose publique par son entourage. Malgré tous ses atouts, l’opinion serait tentée de se demander avec qui il gouvernerait, si jamais il est élu. On a l’impression que la faiblesse se trouve là, qui sont ses hommes ? Quelles sont les personnes qui comptent pour lui ? Avec qui il va il gérer le pouvoir ? On ne va pas se limiter à sa coalition, qui est plutôt une force d’appoint pour accéder au pouvoir. En termes de communication, Ousmane Sonko gagnerait à mettre la lumière sur les personnes qui l’entourent pour renforcer davantage la crédibilité de son image.»
Pr Issa Sall, le PUR100
Enjeux : «C’est ce candidat qui, au même titre que Sonko, a pu créer la surprise aux dernières élections législatives, ce qui lui donne un surcroit de crédibilité pour cette Présidentielle. Quel que soit le rang qu’il occupera dans la hiérarchie des résultats, je pense que le fait d’être présent dans cette campagne, d’avoir eu les parrainages nécessaires, c’est déjà un acquis. Et tout comme Sonko, leur candidature ne sera pas uniquement pour la figuration, mais pour renforcer davantage les structures qui sont derrière eux et leur personne en tant que potentiel Président.»
Atouts. «Il a un avantage considérable, c’est qu’il a derrière l’appareil du Pur, les Moustarchidines et Moustarchidates, qui ont le sens de l’organisation et de la discipline, qui fait qu’ils n’hésiteront pas à voter pour lui si on le leur demande. Et c’est cela qui manque parfois aux chapelles politiques classiques, on a beau avoir beaucoup de militants, ils sont souvent désorientés ou éparpillés entre deux candidatures en fonction des intérêts des uns et des autres. Mais pour le Pur, c’est différent, et il a un avantage à ce niveau, si la discipline et l’organisation de la structure religieuse se met en place comme il faut et comme pour les législatives, et ce serait du pain béni pour lui.»
Faiblesses. «En tant que première participation à une Présidentielle pour lui et ne bénéficiant pas de la prime aux sortants par exemple, il n’a pas les moyens, en termes logistiques pour mener une campagne de grande envergure. Et on l’a vu durant la campagne. Et l’autre handicap, c’est cette histoire de gardes du corps arrêtés à la suite d’échauffourées à Tamba qui ont causé mort d’hommes. Cela a un peu entaché sa campagne, et l’a ralenti un peu dans sa dynamique progressive.»
Me Madické Niang, la surprise
Enjeux : «L’enjeu, c’est d’abord d’exister, politiquement d’abord parce que quand on est dans une campagne électorale, le pire c’est de ne pas exister après. Exister veut dire qu’on puisse compter sur lui si toutefois il y a un second tour et qu’il puisse apporter ses voix pour l’un ou pour l’autre. Parce que s’il choisit de soutenir un candidat et que ce candidat gagne, il comptera et ce sera sa victoire également. Et il sera un faiseur de roi. Par contre s’il choisit de ne pas choisir, il n’existera plus politiquement, on verra sa candidature comme étant téléguidée par le haut, ou alors une candidature de complaisance, et cela peut ne pas lui être bénéfique.»
Atouts : «C’est le dernier qui est arrivé dans la soupe, mais il a cette cote de sympathie dans l’opinion, parce que durant sa campagne, il a mis du baume au cœur de ses militants et accompagnants, pour ne pas dire que sa campagne a été amusante. Et à partir du moment où le Pds n’a pas de candidat déclaré, dans la tête d’une partie de l’opinion, Madické Niang est le candidat non déclaré du Pds. Et cela pourrait constituer un avantage insoupçonné pour lui. D’ailleurs ses affiches ressemblent beaucoup à celles que le Pds utilise habituellement.»
Faiblesses : «Sa faiblesse se trouve dans son impréparation. Et cela se sent dans le chapelet de propositions qu’il fait, ce ne sont pas des propositions qu’il a eu le temps de mûrir autour de personnes ressources pour voir leur faisabilité ou non. Et il est beaucoup plus à l’aise dans des questions relatives à la justice, mais pour les autres, on sent nettement le manque de préparation. A mon avis pour lui, quel que soit le résultat, c’est déjà faire acte de présence et pouvoir compter et monnayer ses voix avec les autres si toutefois il y a un second tour, ce qui se dessine de plus en plus.»
ADAMA DIENG