Quand le dialogue accentue le déficit de confiance citoyenne (Mamadou SY Albert)

La majorité présidentielle, l’opposition sénégalaise, la société civile et le pouvoir religieux constituent les principaux acteurs politiques et sociaux du jeu démocratique et de la gouvernance des affaires publiques. Ils sont naturellement concernés par l’état du pays, son présent et son avenir. Ils ont ainsi une responsabilité partagée dans la conduite et la défense de l’intérêt général. Ce sont des principes et des règles de la démocratie pluraliste.

Ces principes restent des professions de foi des pouvoirs publics. Ce qui distingue réellement les pouvoirs politiques, réside dans la capacité de faire participer toutes les composantes de la société à la gouvernance ou à les exclure sciemment. Le dialogue est, à cet effet, un outil à double tranchant, pour mobiliser ou pour manipuler. Il peut effectivement être un levier des expressions démocratiques des besoins sociaux, économiques et culturels et des aspirations au mieux-être et de la recherche de solutions à des questions centrales ou conjoncturelles. Il peut aussi être un redoutable instrument de manipulation de la société.

Le Sénégal est à l’heure du dialogue. Depuis quelques mois, c’est le dialogue l’actualité dominante. Acteurs politiques, acteurs de la société civile et acteurs évoluant dans la sphère du pouvoir spirituel et des traditions semblent tous acquis à la participation au processus de dialogue différencié initié par le président de la République. Il est question de réunir les politiques et toutes les forces vives de la nation autour d’une table. Ce n’est point une première dans la vie politique nationale.

Le Sénégal a des traditions établies en matière de dialogue ou en matière de traitements des questions d’intérêt sectoriel, socio-professionnel ou des questions d’actualité politique conjoncturelle. L’adhésion de tous les acteurs nationaux au dialogue actuel est de l’ordre normal dans le fonctionnement d’un pays marqué par une culture du dialogue – politique, syndical ou simplement de gouvernance collégiale des collectivités locales et territoriales.

Cet héritage explique d’ailleurs les implications des acteurs politiques, de la société civile, des pouvoirs religieux et des pouvoirs traditionnels dans la gouvernance des affaires publiques centrales et locales au Sénégal depuis des décennies. Le Sénégal est et reste un des pays où le débat politique national et local est très présent dans les foyers, dans les communautés de base et dans les lieux de travail. En dépit de cette volonté communément partagée de prendre part au dialogue, personne ne sait ce que proposent réellement les acteurs conviés à la table. On ne sait, non plus, ce qui en sortira. Les ressentiments sont entre la manipulation et la volonté politique sincère de faire participer tous les citoyens à la gouvernance des affaires.

Les différents acteurs de ce jeu démocratique ont salué l’initiative présidentielle. Ils encouragent le processus du dialogue pour la recherche de consensus politiques. La posture de la majorité gouvernante et celle de l’opposition sont pourtant assez édifiantes sur la méfiance et les calculs partisans. L’absence de propositions claires et précises sur les véritables questions de société et de gouvernance et l’inexistence de prospective occultent difficilement le camouflage des stratégies qui enveloppent ce dialogue. Le chef de l’État a pris l’engagement de mettre en œuvre les prochaines conclusions consensuelles qui sortiront des échanges entre les acteurs. Le président de la République en exercice n’en reste pas moins très muet sur les questions qui font l’objet de divergences fondamentales. Ces questions sont au centre des conclusions de la Commission nationale de réforme des Institutions qui ont été classées sans suite démocratique. La posture de l’opposition n’est guère plus claire.

L’opposition participe certes au dialogue. Elle n’en reste pas moins figée dans ses options remontant à l’époque des Assises de l’opposition au régime libéral. Les opposants attendent des consensus politiques bien hypothétiques avec la majorité présidentielle. Le dialogue national ou politique peut être, dans ses versions nationales et politiques, juste un exercice de pacification des relations entre un président réélu contesté dans sa légitimité et ses opposants. Les acteurs de la société civile, ceux des pouvoirs religieux et traditionnels font sembler d’ignorer les divergences entre les acteurs du pays et les contentieux latents à l’origine d’un dialogue devenu indispensable au président de la République engageant un deuxième mandat.

À la place d’un dialogue sincère au sujet des divergences politiques et de l’état réel du Sénégal, les citoyens perçoivent une fuite partagée des responsabilités du pouvoir, de son opposition et des acteurs de la société civile. On ne dialogue sur le mal et ses remèdes. On arrondit plutôt les angles des divergences. La crise de confiance du Sénégalais ordinaire, à l’égard des pouvoirs, des acteurs politiques, va certainement persister. Elle est, fondamentalement, le résultat de cet échec des pouvoirs publics et de la transformation de la politique en un jeu de calculs d’intérêts partisans, pour préserver ou conquérir le pouvoir.

Pendant que la crise de confiance prendra davantage de l’ampleur, à la suite d’un dialogue de professionnels du verbe creux, les Sénégalais vivront sous l’impact d’une crise sociale et des institutions républicaines chahutées. Le Sénégal s’acheminera alors, sans nul doute, après l’échec du dialogue, vers une crise de Direction sans précédent.

 

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