L’Histoire du Sénégal constitue la trajectoire d’un peuple. Écrire cette Histoire n’est point un exercice simple. C’est une œuvre de longue haleine de ceux qui ont choisi de penser, de réfléchir et de construire ce récit humain. Les ancrages historiques constituent une des difficultés de ce travail de recherche, de déconstruction, de reconstruction et de recomposition d’une évolution qui se poursuit encore sous nos yeux. Il faudra déconstruire certainement les héritages culturels et politiques post-coloniaux.
Contrairement à ce l’on pourrait penser – à tort d’ailleurs -, l’écriture de l’Histoire n’est point l’apanage des historiens. Ils ont certes une place importante dans cette œuvre capitale de reconstitution du passé, ses évolutions et ses dynamiques fort complexes. Les historiens partagent cette passion de l’histoire avec tous les chercheurs des autres disciplines scientifiques. C’est probablement la complexité de l’Histoire, ses enjeux politiques, culturels et économiques qui font que l’Histoire humaine est et reste toujours au chevet de la recherche pluri et transdisciplinaire.
Historiens, géographes, économistes, juristes, sociologues, anthropologues, psychologues et les chercheurs en sciences naturelles, en sciences biologiques, en sciences médicales et en sciences de communication sociale et politique, partagent cette quête de connaissance de l’Histoire multiséculaire de l’être humain et de son écosystème. L’Histoire, l’œuvre des hommes est une préoccupation partagée par tous les chercheurs. La difficulté d’écrire l’Histoire réside justement dans le fait que l’Histoire renvoie à plusieurs approches disciplinaires nécessairement complémentaires.
Aucune discipline de recherche ne peut avoir la prétention d’incarner la vraie Histoire d’un peuple, d’un continent ou de l’Humanité. Il faut alors accepter plusieurs ancrages disciplinaires de l’Histoire et refuser d’en faire la chasse gardée des seuls historiens. Autrement dit, l’Histoire est un sujet qui, par sa complexité, exige pour son écriture, la contribution intellectuelle de tous les scientifiques. À défaut de ce partage, on risque simplement de réduire l’Histoire à des évènements historiques parcellaires et inintelligibles.
Le cas de l’Histoire de l’Afrique reste toujours un sujet intéressant en matière d’écriture de son passé. Les Africains n’ont pas pour le moment réécrit l’Histoire de l’Afrique. Chaque pays se confine à son Histoire singulière où du reste prédominent des histoires communautaires, ethniques, religieuses et des héros singuliers. Ce repli identitaire nationaliste de l’histoire communautarisée est une des conséquences de l’histoire de la domination coloniale. Les Africains connaissent plus l’Histoire réécrite de l’Occident que l’histoire et la trajectoire de la constitution des États et des peuples africains.
Pendant toute la période coloniale et bien après les indépendances africaines, le continent noir a été le terrain privilégié des chercheurs occidentaux. Ces chercheurs ont décrit l’Afrique et les africains sous divers visages. Ce qui demeure frappant reste encore la capacité intellectuelle et politique de l’Occident et de son élite à nier aux nègres tout ce qui pouvait donner un sens à l’Histoire des Africains, notamment la culture, la civilisation et les capacités organisationnelles à entrer dans le cycle du progrès technique et humain.
Les Européens ont simplement nié l’Histoire de l’Afrique. Cette approche colonialiste a évidemment servi à mettre en place, dans la durée, un système de domination qui se perpétue encore sous des formes nouvelles. En dépit de l’accession à la souveraineté internationale des pays africains, il est ainsi donné de constater que l’Histoire de l’Afrique reste une question ouverte. Elle est souvent réduite à une histoire de l’Afrique coloniale ou pré-coloniale. Les travaux scientifiques et les résultats de recherche du professeur Cheikh Anta Diop ont pourtant ouvert la libération culturelle, psychologique et politique des Africains.
L’Afrique est désormais hissée sans aucun complexe culturel au rang de berceau de l’Humanité. Ce pas franchi par le panafricaniste partisan de l’État fédéral et de l’Unité culturelle du continent africain, ne parvient guère à se traduire par une conscience historique de l’Afrique capable d’écrire son Histoire, se l’approprier et partager avec les autres peuples sa fierté et sa grandeur. Ce sont probablement, les ancrages de l’Histoire à écrire et/ou à réécrire qui demeurent des blocages fondamentaux de l’Histoire consciente de l’Afrique et du Sénégal. Tant que l’Histoire de l’Afrique sera écrite sous le prisme occidental ou du nationalisme identitaire ou communautaire étroit, il sera difficile aux chercheurs africains et à l’élite intellectuelle et politique de trouver un ancrage de l’Histoire africaine dans sa société aux prises à des mutations. Il faudra déconstruire ce passé culturel et intellectuel colonial pour pouvoir reconstruire et reconstituer les composantes fondatrices de l’Histoire du Sénégal et des peuples africains.