Rattachement des Recettes Publiques : Entre Légalité et Manipulation Budgétaire ?

                                           Introduction
La gestion des finances publiques repose sur des règles comptables strictes visant à garantir la transparence et la sincérité budgétaire. Parmi ces règles, la question du rattachement des recettes est au cœur des débats récents sur l’audit des finances publiques du Sénégal. Si la Cour des Comptes pointe du doigt des rattachements irréguliers qui auraient faussé l’image du déficit budgétaire, le cadre réglementaire semble pourtant autoriser ce mécanisme. Comment expliquer cette contradiction apparente ? S’agit-il d’une simple application comptable ou d’une manœuvre pour masquer la réalité financière de l’État ? Décryptage.
Ce que dit la réglementation sur le rattachement des recettes
Le Décret n°2020-978 du 23 avril 2020 portant règlement général sur la comptabilité publique fixe les règles d’imputation des recettes et des dépenses publiques. Deux articles sont particulièrement concernés :
Article 7 (alinéa 2) :
“Les opérations génératrices de recettes ou de dépenses budgétaires sont prises en compte au titre de l’exercice auquel elles se rattachent, indépendamment de leur date d’encaissement ou de décaissement.”
Interprétation : Cet article autorise le rattachement des recettes à l’exercice auquel elles se rapportent, même si leur encaissement intervient après la clôture de l’année. Cela signifie que des recettes encaissées en 2023 mais générées en 2022 peuvent être rattachées à l’année 2022, sous réserve qu’elles correspondent bien à des droits acquis durant cet exercice.
Article 153 :
“La période couverte par la comptabilité budgétaire est la gestion couvrant l’année civile, sans période complémentaire.”
Interprétation de la Cour des Comptes : Cet article impose une clôture stricte au 31 décembre de chaque année, sans possibilité de modifier rétroactivement les comptes d’un exercice clos.
Contradiction entre l’interprétation de la Cour des Comptes et l’article 7
Dans son rapport d’audit sur la situation des finances publiques, la Cour des Comptes affirme que l’État a procédé à des rattachements irréguliers de recettes, ce qui aurait pour effet de gonfler artificiellement les recettes d’une année précédente (N-1) et de réduire son déficit apparent.
Le problème :
• L’article 7 autorise le rattachement des recettes, tant qu’elles correspondent à des droits acquis durant l’exercice concerné.
• La Cour des Comptes ne remet pas en cause ce principe, mais critique son utilisation excessive et abusive.
• Si ces recettes n’étaient pas encore exigibles en N-1, alors leur rattachement est irrégulier et constitue une manipulation budgétaire.
Rattachement des recettes : Ajustement comptable ou manipulation financière ?
Deux scénarios possibles :
Hypothèse 1 : Un ajustement comptable légitime
Si les recettes concernées étaient effectivement dues en N-1 mais encaissées en N, alors leur rattachement est conforme à l’article 7 et ne constitue pas une fraude.
Hypothèse 2 : Une manipulation pour réduire artificiellement le déficit
Si les recettes ne devaient être perçues qu’en N, mais ont été affectées à N-1 pour améliorer artificiellement les comptes, alors nous sommes face à une manœuvre comptable visant à fausser la lecture du déficit budgétaire.
Conséquence : Dans ce second cas, le déficit réel de l’État est sous-estimé dans le Tableau des Opérations Financières de l’État (TOFE), ce qui peut induire en erreur les partenaires financiers et les institutions de contrôle.
Conclusion : Un audit plus approfondi s’impose
Que faut-il vérifier ?
• Les recettes rattachées en N-1 correspondent-elles à des droits réellement acquis ?
• Existe-t-il des instructions internes encourageant ces pratiques pour masquer un déficit budgétaire plus élevé ?
• Les mêmes pratiques ont-elles été récurrentes sur plusieurs exercices financiers ?
En résumé :
L’article 7 du décret 2020-978 légitime le rattachement des recettes à l’année d’origine.
La Cour des Comptes a raison de dénoncer des abus si ces rattachements ont été utilisés pour masquer la réalité du déficit.
Un audit approfondi est nécessaire pour distinguer une gestion comptable légitime d’une manipulation financière volontaire.
Recommandation : L’État doit renforcer la transparence budgétaire en imposant des critères stricts de rattachement et en publiant des justifications détaillées sur l’origine des recettes reportées. Une telle démarche garantirait une meilleure lisibilité des finances publiques et restaurerait la confiance des partenaires économiques et des citoyens.
Souleymane aw
Financier – comptable senior – controleur de gestion