Le contentieux autour des indemnisations qui oppose des propriétaires terriens à la Société minière de la vallée (SOMIVA) en charge de l’exploitation des phosphates est au centre de toutes les préoccupations. Raison suffisante pour revenir sur l’écheveau d’une situation qui questionne le rapport des populations à leur territoire face à l’expansion de la mine prévue par la société exploitante. Tout un imbroglio qui s’inscrit dans la page inédite de l’histoire de l’exploitation des phosphates de Matam (nord-Sénégal) dans le département de Kanel où voilà presque 18 mois, les travaux sont aux arrêts à cause d’un désaccord relevant d’une compense entre des impactés et la société exploitante sur l’extension d’une zone d’exploitation qui porte sur une superficie de 193 hectares.
Le gisement de Dendori et Wali Diala délimité par les villages de Dendori, Polel Awlubé et Wendou Bosséabé, communément appelé « phosphates de Matam » est situé à 65 km au sud-est de la ville de Matam. Malgré les premiers indices de phosphate reconnus depuis 1936, le gisement ne sera découvert qu’en 1984 avec une réserve géologique de plus de 40,5 millions de tonnes de phosphate de qualité, pulvérulent et dépourvu d’éléments pénalisants comme les cherts (silex). Il s’agit en effet de la petite mine dont l’exploitation exécutée par la Société d’études et de réalisation des phosphates de Matam (SERPM), a commencé à partir de mai 2008, avec comme objectif de départ : la transformation de prés de 3 millions de tonnes de minerais bruts en granulées de phosphates pour donner un coup de pouce à la Grande offensive agricole pour la nourriture et l’abondance (GOANA).
Ce, en relation avec le projet du président de la République de l’époque, Me Abdoulaye Wade qui ambitionnait à travers la Grande offensive agricole pour la nourriture et l’abondance (Goana), «d’augmenter la production agricole pour les principales cultures consommées au Sénégal afin d’assurer plus rapidement la sécurité alimentaire, de réduire la dépendance nationale aux importations et ainsi de garantir la souveraineté alimentaire».
Fortement motivé par « la concrétisation de sa réflexion », il procédera deux années après, en janvier 2010, à l’inauguration officielle de l’usine de granulation des phosphates de Matam en présence du président du Sénat, de plusieurs ministres du gouvernement et d’autorités administratives et politiques. Un acte jugé par le président du Conseil régional de Matam comme étant la réalisation d’une « prophétie », un événement historique qui balise « les différents mécanismes d’une mutation de la région en pôle de développement économique et industriel».
Pour le président Wade, «ces phosphates qui demeurent une ressource exceptionnelle, d’un intérêt stratégique, vont transformer cette région et même le Sénégal ».
Dans l’article paru dans le journal Sud Quotidien du 11 janvier 2010, il fera remarquer que les premiers travaux ne constituaient que les premiers jalons d’une exploitation à forte échelle. Pour dire que «ceci n’est qu’un premier pas, des investissements importants vont l’accompagner et ils vont permettre de distribuer des revenus dans cette région à travers les travailleurs et leurs salaires, mais aussi des emplois particulièrement aux jeunes ». Une richesse inestimable, de son avis, susceptible d’être exploitée pendant plus de trente ans, qui offre à la région un atout et un avantage compétitif incommensurable, surtout si elle est articulée à l’autre mamelle nourricière que constitue l’agriculture avec le potentiel important en terres irrigables, en eau de surface et ensoleillement propre à la contrée. Pour le transport de la production, l’option de la route avait été retenue en exclusivité, même si au demeurant l’exportation se ferait à partir des ports de Saint-Louis et Dakar. «Le port de Saint Louis va être construit à partir de l’année prochaine, mais nous avons aussi le port de Dakar et l’accès va être utilisé par la route Linguère-Matam que nous voulons terminer dans les plus brefs délais avec tous les ponts que cela comporte», avait déclaré le président d’alors. Un document mis à disposition, en 2010, renseignait que les phosphates de chaux de Matam qui accusent une solubilité formique (en pourcentage du poids total) de 72,80 %, nettement supérieure au seuil de 55 % défini par la Commission des Communautés Européennes (CCE) sont aptes pour une utilisation directe en agriculture. Du coup, le produit matamois se retrouve en meilleure position par rapport aux autres phosphates produits au Sénégal et en Afrique de l’Ouest. Le Tilemsi du Mali faisait 61,21 % de solubilité, l’Arli du Burkina Faso 49,29 %, le Taoun du Niger 36,10 % et le Taïba du Sénégal 41,57 %. Ce qui explique la positivité dès les premières années, des essais de fertilisation directe des phosphates de Matam sur certains végétaux dont le résultat est comparable à celui du super triple industriel.
Comme le prédisait le président Wade, l’exploitation de la petite mine exécutée par la Société d’études et de réalisation des phosphates de Matam (SERPM), n’avait posé que les premiers jalons d’une exploitation à forte échelle, selon sa perception, les premiers pas à base d’importants investissements (…). Cela s’est confirmé, en 2014, avec l’arrivée de la Société minière de la vallée du fleuve (SOMIVA), un consortium de puissantes entreprises étrangères qui a injecté plusieurs milliards dans la filière des phosphates de Matam en l’occurrence sur la grande mine dont les réserves sont estimées à plus de 135 millions de tonnes. « La cadence d’exploitation à grande échelle était entamée, par les exploitants qui ambitionnaient de produire plus d’un million de tonnes de phosphate par jour ».
L’exploitation du phosphate a généré des changements dans l’occupation de l’espace
De 2014 à nos jours, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Comme dans toutes les zones minières, l’exploitation du phosphate a généré des changements dans l’occupation de l’espace, l’accès à la terre et aux pâturages pour les agriculteurs et les éleveurs. Dans les communes de Ndendori, Ounaré et Orkadiéré l’extension de l’assiette minière, au regard des populations riveraines, constitue à leur endroit «une perte économique du fait que l’emprise du territoire les prive de leurs activités traditionnelles qui tournent autour de l’élevage et de l’agriculture ». Ainsi, en appellent-elles à « la perception d’une indemnisation conséquente en guise de dédommagement ». Une décision de taille vaillamment portée par plusieurs regroupements de défense des intérêts des populations, à laquelle sont venues se greffer d’autres revendications, ayant trait à l’environnement, à la santé publique, au contenu local et à la RSE (Responsabilité sociétale d’entreprise).
Avec Sud