La réalisatrice Safy Faye a fait une sortie de scène tout en discrétion, dans la nuit du mercredi 22 février à Paris. La cinéaste a tiré sa révérence à l’âge de 80 ans. La femme au teint d’ébène et au sourire remarquable de par son diastème si distinctif, a fait sensation dans le monde du 7e art.
La première femme réalisatrice au Sénégal n’est plus, mais ses œuvres la rendent immortelle. “Na Touti”, pour les intimes, a marqué son temps avec une vision du cinéma placée sous le sceau de l’engagement.
Seneweb braque un coup de projecteur sur la vie de cette pionnière.
Le destin a bien joué son rôle dans le film de la vie de Safi Faye. Sa carrière d’enseignante est déjà toute tracée, après l’obtention de son diplôme d’enseignante à l’école normale de Rufisque. Mais le destin lui joue un tour en la propulsant devant la caméra. Au fil du temps, elle se retrouve vite derrière l’objectif.
Clap ! Le film de la vie de Safi Faye commence par un diplôme d’enseignante en poche. Elle part ensuite enseigner à Dakar où elle y rencontre le réalisateur Jean Rouch. En 1971, Safi Faye est propulsée au-devant de la scène et décroche un rôle dans “Petit à Petit”. L’enseignante joue, avec humour, une courtisane sénégalaise.
La femme au début et à la fin de tout
Safi Faye s’envole par la suite en France pour y étudier l’ethnologie et le cinéma. Elle réalise, en 1972, son premier court métrage, “La passante”. Ce film de 16 minutes met en scène l’histoire d’une femme noire face aux remarques sexistes d’un homme blanc, ainsi que d’un homme noir. C’est le premier film réalisé par une femme d’Afrique subsaharienne. Cette première réalisation dédiée à la condition féminine n’est que le début d’un amour du 7e art où la réalisatrice y montre son fort attachement à la cause des femmes.
Le dernier film de Safi Faye témoigne de son engagement. “Mossane (La belle)” est une ode à la beauté de la femme. Il conte l’histoire d’une jeune fille âgée de 14 ans dont la beauté et le destin suscitent bien des convoitises et des jalousies. “Mossane” est surtout un chant d’amour dédié à la femme africaine, à son courage, à son désir d’émancipation.
Par petites touches gracieuses, Safi Faye fait découvrir les dessous du rituel matrimonial, comment le prétendant finit par “acheter” l’ensemble des villageois avec l’envoi régulier et massif de cadeaux depuis Paris. Safi Faye appelle à la résistance des jeunes générations en sublimant leurs aspirations de liberté et d’indépendance. Un engagement tout au long de sa carrière.
Des films entre l’enracinement et l’engagement
Le premier long métrage va être placé sous le signe de l’ouverture et de l’enracinement. L’originaire du village de Fadial, en pays sérère, à une centaine de kilomètres au sud de Dakar, réalise “Kaddu Beykat” (Lettre paysanne) à Fadial avec l’aide et la collaboration des autochtones.
“Je me suis dit, bien que je sois Safi Faye, je suis une paysanne. J’ai donné la parole aux courageux agriculteurs par admiration, car ne parvenant pas à vivre de leurs récoltes”, expliquait-elle lors d’un entretien extrait du quotidien “Le Soleil” du 24 février 2023. La docu-fiction tournée en 1975 traite des problèmes économiques du monde rural.
“Fad’jal”, le deuxième long métrage de la cinéaste, est aussi tourné dans son village natal, en 1979. Safi Faye tient le spectateur par la main et lui fait découvrir ses racines dans un film de 1h53mn. Au pied d’un fromager, l’ancêtre et un griot racontent, en wolof, l’histoire du village aux enfants, sa création, ses coutumes, ses traditions. C’est l’occasion de découvrir les métiers artisanaux, les techniques agricoles et la difficulté d’exploiter les terres à cause de la sécheresse. En parallèle, le quotidien des Sérères est confronté à la politique gouvernementale qui s’approprie désormais les terres, auparavant transmises oralement entre les villageois.
Les autres productions vont suivre, avec “Goob Na Nu” (La récolte est finie) en 1979, “Man Sa Yay” (Moi, ta mère) en 1979, “Les âmes au soleil” en l981, “Selbé” et tant d’autres en 1982, “Ambassades nourricières” en 1984, “Tesito” en 1989 et “Mossane” en 1996.
“Mossane” est le dernier film d’une cinéaste qui a zoomé sur la vie des agriculteurs et des femmes. Des sujets intemporels et immortels. Après tout, ne dit-on pas que les œuvres immortalisent l’artiste, même après le clap de fin ?