Sénégal social: Radioscopie d’un grand corps malade

De la société d’hier à celle d’aujourd’hui.

Notre pays, le Sénégal connaît des mutations sociales profondes qui appellent une réflexion fine articulée autour d’une analyse factuelle basée sur les réalités d’hier et d’aujourd’hui. Il apparaît donc au travers des dynamiques sociales structurantes en cours, un constat général et partagé d’une société qui, faute de se prémunir des multiples facteurs et données exogènes, renonce axiologiquement à des ressorts ayant depuis fort longtemps fondé son équilibre pour faire place à une nouvelle identité sociale totalement pervertie et centrée sur l’avoir, le pouvoir et la réussite matérielle. La société Sénégalaise, jadis ancrée dans les principes de solidarité horizontale, d’entraide, de pardon, de tolérance, de respect de l’autorité et de la hiérarchie, semble plonger dans une traumatisante zone de turbulences qui a fini d’en modifier les marqueurs identitaires . Aujourd’hui, elle porte les séquelles et stigmates d’une société balafrée, détruite sur ses bases et menacée dans son équilibre structurel, seul garant de sa stabilité et sa cohésion. Le réflexe communautaire, gage d’une protection collective a cédé la place à un repli paranoïaque de type individualiste. Les anticorps normatifs, consubstantiels à la vie de toute société humaine, semblent ne plus fonctionner correctement, afin de pouvoir répondre – par un système de défense efficace-aux nombreuses agressions et autres assauts qui finissent par la défigurer, la désarticuler et la disloquer. La carapace de la belle société des anciens, a fini par ne plus tenir et résister à toutes ces dérives qui la traversent de part en part tel un panier percé. Cette situation structurelle d’anomie sociale fait le lit d’une nouvelle configuration des rapports sociaux au détriment des formes premières d’organisation sociale qui ont complètement dépéri au contact de toutes ces mauvaises influences. Dans ces anciens formats de groupes sociaux, l’être humain était valorisé à partir de son appartenance au groupe mais aussi de son code d’honneur. De nos jours, il est vampirisé, cannibalisé, il n’est respecté que pour son aisance matérielle et un pouvoir financier qui lui confèrent une influence et lui octroient une position sociale privilégiée. De nos jours, le vice rend hommage à la vertu et les valeurs cardinales de la société d’hier sont à l’envers. Sembéne Ousmane ne s’était-il pas indigné dans son célèbre film «Le mandat», satire de la société sénégalaise que «l’honneteté y est devenu un délit» ? Dans la société d’aujourd’hui, le respect est assujetti à l’avoir et non à l’être; Celui qui a, est, celui qui n’a pas, n’est pas, celui qui donne ordonne, celui à qui on donne se subordonne . L’argent est la nouvelle divinité des temps modernes, d’où la réussite a tout prix et à tout va ( barça ou barsakh). Le culte du paraître et du «battré» semble être une régle de vie, Le lynchage médiatique, la calomnie, la médisance, les injures, les ragots sont devenus notre tasse de thé quotidienne surtout à travers les réseaux sociaux. A la lumière de la crise des valeurs et des modèles, notre société sénégalaise d’aujourd’hui s’est complètement métamorphosée. Elle est devenue une société violente, tueuse, hypocrite, menteuse, cynique bref, un bloc bloqué avec une absence totale de repères, en un mot un grand corps malade de ces maux qui l’assaillent et la fragilisent : Nos modèles de socialisation ne mettent plus les valeurs au cœur du processus de façonnement et de formatage d’une identité sociale propre. La famille, cellule de base et incubatrice par excellence, est agressée, malmenée par la conjoncture et les difficultés économiques de toutes sortes.

L’école , creuset du savoir, espace d’instruction, d’enseignement mais aussi de formation et d’éducation à la citoyenneté, est devenue un espace de tensions et de conflits permanents entre les acteurs qui la composent et qui y interagissent . Chaque année, le quanta horaire est sérieusement entamé du fait des grèves cycliques.

De cette situation, résulte une baisse tendancielle du niveau de culture et de langue des apprenants et même de certains enseignants. Ces deux espaces de conditionnement de la matrice humaine, ayant cessé de jouer leur rôle de filet de protection du groupe, face à toutes ces formes d’ externalités négatives, deviennent plutôt des lieux de dépravation des mœurs, mais aussi, de délitement du lien social avec tous les effets pervers qui en découlent.

La famille : Cellule de base et premier cercle de socialisation à partir duquel , les compétences de vie mais également les comportements socialement codifiés, sont installées chez l’enfant, elle est le lieu par excellence, de formatage de la personnalité et de l’identité de l’individu. Malheureusement, sa vocation a été complètement dévoyée aujourd’hui. L’autorité du chef de famille est piétinée, bafouée. Dans beaucoup de familles, les membres ne se parlent presque plus ou se vouent une haine viscérale que rien ne justifie, les canaux de la communication internes sont brouillés, les frères et sœurs d’une même fratrie sont comme des étrangers chez eux, happés qu’ils sont par ces gadgets technologiques (tablettes – téléphones portables – réseaux sociaux) ou des émissions de télé à faible taux d’utilité éducative.

Les instants de rassemblement familial autour des repas se font de plus en plus rares, chacun trouvant le moyen de régler ses problèmes à sa manière et hors de l’espace familial. La nucléarisation de la famille à l’image de ce que l’on voit ailleurs en occident, laisse libre court à des tensions permanentes non régulées parce que ne pouvant plus faire l’objet d’un traitement familial au regard de nos nouveaux modes de vie en appartement (tante – oncle n’étant plus présents dans la famille comme hier pour prévenir et réguler) . Les mécanismes de régulation tels que les ‘’ pencc ‘’, l’arbre à palabres, ne fonctionnent plus; Les conflits a caractère civil atterrissent pour l’essentiel à la police ou au tribunal. L’autorité du chef de famille, s’affaisse en raison d’un grave défaut d’entretien, à l’origine de beaucoup de problèmes dans les ménages. De tout cela, il ressort que la famille au sens traditionnel du terme perd de plus en plus de son équilibre et de sa capacité à fixer les rôles des uns et des autres et n’assume donc plus la fonction canonique de transmission des valeurs et des mœurs selon des canaux acceptés par le groupe social d’appartenance.

L’espace scolaire : Il est le continuum par lequel les processus de consolidation de la personnalité de l’individu se poursuivent.

Emile Durkheim, un des pères de la Sociologie, ne définissait-il pas l’éducation comme «une action exercée par les générations adultes sur celles qui ne sont pas encore mûres pour la vie sociale» il est fort à constater pour le déplorer qu’aujourd’hui, cet espace est pollué par des modèles tous issus des milieux de la lutte, de la musique ou de la danse bref du monde des loisirs. Même sur les supports didactiques, l’effigie des stars de l’arène ou du show-biz est mise en évidence. L’industrie du loisir est celle qui suscite le plus de vocations dans ce pays. La quête du buzz et le faible niveau de promotion des valeurs de l’école ( savoir – savoir être et savoir faire ) au profit des niaiseries des lutteurs, chanteurs et autres danseurs, a fini de sécréter les germes d’une école à la mission totalement dévoyée . Le code vestimentaire conforme à cet espace n’est plus respecté ; Les garçons s’habillent comme des stars du hip-hop américain ou des homosexuels et les filles se vêtissent comme des danseuses de cabaret pour aller à l’école et sont des ‘’lady Gaga’’ en devenir, tellement leur port vestimentaire est impudique, léger et provocateur. Une équipe administrative et pédagogique de l’école qui laisse faire contrairement à ce qu’on y observait à une certaine époque avec des surveillants rigoureux qui veillaient sur tout. C’est comme nous avions tous démissionné et avons perdu notre capacité d’indignation. «Lorsque les pères s’habituent à laisser faire les enfants, lorsque les fils ne tiennent plus compte de leurs paroles, lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque finalement les jeunes méprisent les lois parce que ils ne reconnaissent plus au dessus d’eux, l’autorité de rien ni de personne, alors c’est là en toute beauté et en toute jeunesse, le début de la tyrannie» disait le grand philosophe grecque Platon comme pour nous faire part de sa prophétie et nous annoncer le début du chaos.

Voilà donc une autopsie non exhaustive de notre système éducatif, non sans manquer de relever le contenu extraverti des enseignements qui mettent le focus sur l’histoire de l’occupant colonial français plus que ce savoir lourd de sagesse et de science, très éclairant, de nos saints hommes qui ont délivré un message dont la portée universaliste ne fait plus l’ombre d’un doute quant à sa valeur hautement pédagogique et à ses vertus pacificatrices. En lieu et place de cette école de Jules Ferry très aliénante culturellement, nous devrions plutôt repenser notre système éducatif pour en faire un modèle enraciné d’abord dans nos éléments de culture et d’histoire avec une plus grande place de nos riches langues nationales.

En un mot, il s’agit de dire non à une école française au Sénégal et oui à une école bien sénégalaise plus conforme à notre identité et à notre historicité symbolique, culturelle et religieuse. Fort de cette analyse-diagnostic de ces deux mamelles socialisantes, fondatrices d’une éthique sociale, il apparaît que la non fonctionnalité de ces deux leviers sociaux majeurs, (famille – école) a généré au final un type de sénégalais vicieux, adepte des raccourcis (Corruption, recherche du gain facile etc. ) partenaire du moindre effort, peu porté vers le goût du travail, méprisant les bonnes règles du vivre ensemble, violent et tourné vers le bling bling et l’ostentation, bref un sénégalais pas orienté vers le progrès et l’émergence, capable de porter les enjeux énormes du développement .

Nous sommes donc dans une société où on tend à banaliser le vol, le mensonge, la trahison, le gaspillage surtout dans les sphères publiques. A ce stade précis de mes developpements, me viens alors à l’esprit cette réflexion réaliste de Georges Hardy, penseur français et historien du 20ème siècle qui, dans son ouvrage intitulé ‘’L’art animiste negre ’’ paru en 1927, dressait déjà le portrait de l’homme noir. Il dit qu’en réalité le problème de l’homme noir c’est qu’il oublie vite; A l’occasion des grandes fêtes, les noirs consomment beaucoup de couscous (Certainement il parlait des sérères) , le lendemain chacun verse le reste de ce qu’il a consommé devant la porte de sa maison pour prouver à ses voisins qu’il en avait suffisamment pris, une semaine après, il meurt de faim lui et sa famille parce que son grenier est devenu vide. Pourtant l’année suivante, il va refaire la même erreur, il va continuer a consommer de manière ostentatoire et à faire des dépenses de prestige. Georges Hardy dit que «le noir n’est jamais instruit par l’expérience passée»; Ces propos quoique durs, méritent d’être bien analysés avec le recul qui sied, afin que nous puissions faire notre introspection et nous débarrasser de toutes ces mauvaises pratiques qui plombent notre développement.

Alors chers gouvernants, avant de se lancer dans de grands projets et bâtir des infrastructures, si utiles, si opportunes, si belles soient-elles, pensons plutôt et d’abord, à bâtir un type de sénégalais plus honnête, plus respectueux du bien public, plus patriote, plus travailleur et plus généreux dans l’effort. Autrement dit, il est plus qu’impératif de comprendre, qu’avant de se lancer dans de grands travaux à la gloire du chef, il faut plutôt travailler à bâtir un nouveau type de sénégalais ancré dans ses valeurs et ouvert aux apports fécondants de l’humanité. Pour ce faire, il faudra absolument replacer l’école et la famille au centre de nos préoccupations de gouvernance avec une approche moins politicienne et plus scientifique dans la conception, l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques publiques centrées sur ces deux moteurs du progrès social.

Pour réussir ce pari, les pouvoirs publics devraient davantage renforcer leur collaboration avec le monde universitaire afin de tirer profit de ces excellents travaux de recherche sur ces problématiques transversales. Sans un leadership fort et éclairé, point de vision réformatrice de cette société très mal en point au demeurant. Il est donc urgent de se mettre au chevet de ce grand malade sinon, tous nos efforts de développement risquent d’être vains . N’est-ce pas Talleyrand qui disait que «quand c’est urgent, c’est déjà trop tard »?

Amadou Moustapha DIOP Observateur politique, Militant de la société civile, Lanceur d’alerte.

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