Directeur de la Société africaine de raffinage, Serigne Mboup, apprécie positivement la politique énergétique que mène le Sénégal. Il reconnaît toutefois des difficultés liées à la covid-19 et les turbulences consécutives au “deal” conclu entre Senelec et Akilee. Serigne Mboup ne manque pas, ès qualités de maire de Pire, de brandir la muselière face aux prédateurs fonciers. Entretien.
Par Mohamed NDJIM
Comment se répercute de manière concrète la covid-19 sur les activités de la Société africaine de raffinage ?
La covid-19 est un problème extrêmement complexe par sa brutalité, par sa soudaineté, par les impacts globaux et par les limites de toutes les solutions mises en œuvre par l’humanité, qu’elles soient économiques, financières, culturelles, technologiques pour lui faire face. Naturellement ça a un impact global, en particulier les marchés financiers. Le pétrole, vous le savez, est un produit qui est coté sur les places financières internationales et qui est soumis à tous ces aléas. Nous avons noté une volatilité soudaine, brutale, rarement vue. Le baril est parti de 59 – 60 dollars en février pour plonger à mi-avril à un peu moins de 16 dollars. Cela a des impacts de toutes sortes ; et si vous y ajoutez la tension géopolitique de l’époque, la Chine, les États-Unis, l’Iran, les problématiques au sein de l’Opep… cela constitue un choc important. Sur le plan local, le choc a eu plusieurs incidences. La première, c’est sur la perte de valeur des stocks : nous sommes dans un secteur où on fait des achats à terme, des achats programmés. Pour cette raison, des achats sur des cours élevés vont se vendre à des périodes où les prix sont bas. Vous avez déjà des pertes de valeurs sur les stocks, ce qui est un premier impact. Le deuxième impact important c’est le confinement. Le confinement a amené l’arrêt pratiquement de toutes les structures à grande consommation, qu’il s’agisse des grandes entreprises industrielles, du transport … De manière générale, tous les véhicules de toutes sortes étaient à l’arrêt et, de façon plus large, l’aviation, qui est grande consommatrice d’hydrocarbures. Donc, il y a un tassement très fort des marchés, une baisse de la demande et donc des pertes de chiffre d’affaires et des pertes de volume. En même temps il y a des charges qui augmentent par le fait de stocks importants non consommés qui coûtent tout aussi chers quand ils sont stockés. Au Sénégal, on peut dire qu’entre mars, avril et mai, la Sar a eu des pertes de marchés, une baisse du chiffre d’affaires d’à peu près 40% en comparaison aux mois précédents et à la normale.
Cela fait combien en valeur absolue ?
Le chiffre d’affaires tourne autour de 600 milliards. 40% pendant ces trois mois, c’est-à-dire que si vous deviez avoir 1000 francs, vous vous retrouvez avec 600 francs, alors que les charges sont restées en l’état, puisque la Sar est une usine à feu continu qui doit absolument fonctionner, qui ne s’arrête jamais. Vous voyez que nous sommes fortement impactés. Nous travaillons avec le gouvernement, justement, pour pouvoir entrer dans le schéma des solutions qui ont été préconisées pour appuyer les sociétés ; notamment les mesures fiscales, les mesures d’appui de toutes sortes, pour que nous puissions contenir le coronavirus. Puisque la Sar doit continuer à dérouler ses activités, il y a eu des dépenses pour s’équiper en conséquence. Nous sommes une société avec des problématiques sécuritaires et environnementales très importantes et il a fallu aussi investir dans la protection et la prise en charge des mesures barrière contre le coronavirus. Aujourd’hui, avec le déconfinement, il y a une reprise progressive des ventes – et je pense que dans quelques semaines on devrait retourner à une situation plus normale.
Nous faisons face à un ralentissement économique qui impacte sur le cours du baril du pétrole. Est-ce que la structure des prix sera favorable lorsque le Sénégal démarrera l’exploitation de ses hydrocarbures ?
Je pense qu’il faut se réjouir et féliciter le gouvernement du Sénégal. Vous savez que les projets de développement de notre pétrole, à travers le projet Grand Tortue pour le gaz et Sangomar pour le pétrole, n’ont pas été réellement impactés par le coronavirus. Quand vous faites des découvertes en mer, en eaux profondes, il y a une moyenne de cinq à sept ans entre l’annonce de la découverte et le début de la production. C’est des projets extrêmement complexes qui demandent plusieurs études d’ingénierie technique, mais surtout, qui demandent des financements extrêmement lourds. On parle de plusieurs dizaines de milliards de dollars pour faire ces investissements de développement. Surtout dans un pays comme le Sénégal où on n’a pas encore des infrastructures de production. Les prochaines découvertes vont bénéficier de ces infrastructures ; il faut des réseaux de gazoducs, il faut des ports, des bases logistiques offshore… Le Sénégal a bien travaillé puisqu’en quatre ans on est arrivé à la Décision finale d’investissement (Dfi). La Dfi des compagnies pétrolières, dans ce type de projet, intervient une fois que la découverte et l’évaluation des découvertes pour voir leur rentabilité. Le Sénégal a obtenu, fin 2018 et fin 2019, respectivement pour Tortue et Sangomar, les Dfi. En trois phases, pour chacun des projets, un investissement d’environ 5 milliards de dollars sera fait. Cela a été conclu bien avant que le coronavirus ne survienne. Le coronavirus ne change pas la donne : les fonds ont été levés et il y avait un programme pour la mise en œuvre de ces investissements-là. Le corona impacte dans une certaine mesure sur les délais de livraison de certains fournisseurs, mais le plus important était de décider qu’on va investir tant d’argent à un moment donné et de lever l’argent sur le marché financier, de l’avoir à disposition et d’avoir toutes les autorisations à partir du gouvernement du Sénégal. Maintenant, il faut savoir que les délais de mise en production sont encore d’actualité : 2022 pour le pétrole et 2023 pour le gaz. Le baril a connu une volatilité extraordinaire. J’ai parlé de la baisse brusque entre février et avril ; mais là, on a noté une remontée. Aujourd’hui, on est autour de 40 dollars ; il y a une reprise réelle alors qu’on n’a pas encore ouvert les aéroports et la remontée va continuer. Les perspectives demeurent intéressantes pour la production attendue en 2022. Quand la consommation mondiale va totalement reprendre, on peut compter sur les pays producteurs, ceux membres de l’Opep, ou la Russie, d’autres pays, pour justement se mettre en accord pour maintenir un prix du baril qui sera compétitif par rapport à leurs objectifs, mais aussi supportable par l’économie mondiale.
Vous regardez d’un bon œil la politique énergétique que mène le Sénégal, mais cette politique est marquée par des remous entre Senelec et Akilee. Le ver n’est-il pas dans le fruit ?
Je dois dire que je ne connais pas le fond des problèmes, mais je peux parler sur deux aspects. Le premier aspect, c’est la nécessité pour toutes nos entreprises de faire des sauts technologiques qualitatifs, de se doter d’outils et de moyens qui leur permettent de mieux répondre aux exigences, d’abord de leur efficience, de leur développement économique, mais aussi, aux exigences de leur clientèle en termes de gestion adossée aux technologies de pointe. Ce besoin d’émancipation et de confort de vie, chacun des services publics doit être en mesure d’y répondre. La deuxième chose c’est l’efficience. Nous avons atteint, dans tous les secteurs, une capacité technique et disposons d’outils d’aide à la décision tels que nous avons aujourd’hui incontestablement des moyens de mieux piloter tous les types de projets. Sur le plan économique, sur le plan social, sur le plan environnemental, et aussi, sur le plan de l’efficience et de la rentabilité, l’obligation vers des solutions innovantes qui permettent de performer davantage et de répondre aussi aux exigences d’une mission de service public moderne. L’autre problématique c’est que, quand un contrat existe entre deux entités, quelles qu’elles soient, ce contrat intègre des clauses de révision, des clauses de sortie… Si, à un moment donné, l’une des parties pense qu’il y a tel ou tel aspect qui ne correspond plus à la réalité ou aux intérêts visés, je pense que c’est possible de trouver en toute responsabilité les plages pour discuter, chacun sauvegardant ses intérêts, mais tenant compte des intérêts de l’autre partie – l’objectif devant être l’intérêt général puisqu’on parle de mission de service public. Moi, je n’ai jamais aimé les problèmes qui sont discutés sur la place publique, relayés par les moyens actuels de communication, les réseaux sociaux et autres, en ouvrant la porte à toutes interprétations.
Un autre débat qui fait l’actualité porte sur la prédation foncière au niveau du littoral et d’autres poches du territoire national. Comment appréciez-vous, en tant que maire, le traitement des questions foncières ?
Il y a une question d’équité que le Code des collectivités territoriales a réglée, de même que notre charte fondamentale. Nous avons 700 et quelques kilomètres de littoral, ce qui est exceptionnel et une source d’opportunités incommensurables. Nous avons tous vu ce que le tourisme a pu apporter à notre pays. Quand je pense tourisme je ne pense pas toujours aux étrangers, je pense à nous qui ne connaissons pas beaucoup notre pays, qui ne voyageons pas, qui ne visitons pas les différentes plages que nous avons, les différents parcs, les îles du Saloum, des sites exceptionnels. Quand vous allez à Saly, malgré l’avancée de la mer qui pose un certain nombre de problématiques, vous allez à Pointe Sarène, à Yenne ou ailleurs vous avez la plage. Le problème particulier de la corniche de Dakar c’est que nous n’avons pas l’accès partout. Je dois dire qu’il faut rappeler aux Sénégalais le processus qui a abouti à cette situation. Des terrains ont été attribués par le passé à beaucoup de personnes. Aujourd’hui, chaque Sénégalais peut être fier des équipements collectifs qui sont sur la corniche parce que ces espaces sont ouverts au public qui peut en bénéficier. Ils valorisent notre pays et lui donnent un statut extrêmement important surtout dans le monde des affaires. Il y a, a contrario, des constructions qui posent problème parce qu’elles obstruent l’accès à la plage. Je ne vais pas revenir sur qui a donné, qui n’a pas donné. Ce que je sais, c’est que le Président Sall, dès 2014, quand le problème s’est posé avec l’ambassade de Turquie, était lui-même venu dire son opposition à ce que le littoral soit traité comme çà. Il a surtout mis en place un projet important de gestion du littoral. Douze milliards de francs sont prévus pour gérer le littoral, pour l’aménager, mais aussi le protéger. Quand il s’agit d’utilité publique l’État a toujours fait preuve d’autorité, mais aussi, de compréhension. Il faut voir que le Ter, l’autoroute à péage, sont construits sur des maisons qui ont été rasées. Sur la Corniche, si un projet ou un programme du gouvernement doit être fait pour cause d’utilité publique, je suis convaincu que tous les propriétaires qui y sont se soumettront à cette exigence collective d’intérêt général.