Serigne Sam Mbackè Lazanba : “Macky Sall doit renforcer le Pudc”

Du point de vue de Serigne Sam Mbackè Lazanba qui intègre le spirituel et le temporel, les chefs religieux sont aussi qualifiés, si ce n’est plus, que les hommes politiques pour prendre en charge le devenir de la nation. Portant un regard éclairé sur les questions socio-économiques, il invite à dépassionner le débat politique et cite Cheikh Anta Diop qui recommandait de s’armer de science jusqu’aux dents pour développer le Sénégal. Familier du monde rural du fait de ses visites annuelles dans près de  200 villages du Sénégal, il salue les avancées induites par le Programme d’urgence de développement communautaire et invite le président Macky Sall à renforcer ce programme pour plus d’inclusion sociale. Du reste il se prononce sur la crise des valeurs et d’autres problématiques sociétales, à quelques heures du Maouloud.

 

Pourquoi vous-appelle-t-on Serigne Sam Mbackè Lazanba ?

 

Lazanba est un surnom qui en arabe signifie exempt de péchés.  J’en fais un sacerdoce car mon grand-père paternel est Serigne Massamba Mbackè petit-frère de Serigne Touba encadré par Serigne Touba qui lui a prodigué ses enseignements. C’était un érudit, un homme de Dieu à qui Cheikh Ahmadou Bamba confiait toutes ses œuvres littéraires. Il était aussi une interface entre Cheikh Ahmadou Bamba et toutes les familles religieuses du Sénégal. Il a représenté dignement Serigne Touba en termes de spiritualité, de bonne conduite, de connaissances et c’est ce dernier qui l’avait dénommé Serigne Massamba Mbackè Lazanba pour magnifier sa probité morale. J’en fait un sacerdoce pour me rapprocher autant que possible de sa démarche  et m’éloigner du péché ici-bas. Je suis fils de Serigne Mame Mor Mbackè. J’ai fait mes humanités auprès d’éminences dans la voie mouride dont le dernier en date est Serigne Souhaïbou Mbackè fils de Cheikh Ahmadou Bamba qui a beaucoup contribué à mon instruction ainsi qu’à celle de mon ami Serigne Bass Abdou Khadre Mbackè qui est mon camarade de promotion.

 

Pourriez-vous nous en dire plus sur le diwane Ndimbal ak Yeurmandé dont vous avez la charge ?

 

Nous avons mis sur pied cette organisation religieuse, un dahira qui fédère beaucoup de fidèles sur toute l’étendue du territoire national et au-delà. L’objectif est de porter assistance aux uns et aux autres, de leur apporter une instruction religieuse, une insertion socioprofessionnelle mais également des principes de bonne conduite au quotidien  car science sans conscience n’est que ruine de l’âme. Nous avons une portée sociétale et ne nous limitons pas à la seule dimension spirituelle. D’un point de vue temporel nous contribuons à prodiguer des formations qualifiantes aux demandeurs et nous comptons en notre sein des ingénieurs financiers, des ingénieurs informaticiens, des experts pétroliers sortis  de grands instituts, des inspecteurs des impôts et domaines, des médecins, des ingénieurs en génie civil. Et nous avons accompagné toutes ses personnes en les incitant à aller de l’avant. Nos membres donnent également des cours particuliers de manière bénévole ce qui n’est pas rien. Sans compter les formations dans le maraichage, la menuiserie, l’électricité qui permettent aux uns et autres de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles. C’est une mission dont nous nous acquittons de bon cœur, en droite ligne des enseignements de notre guide Cheikh Ahmadou Bamba et de Cheikh  Massamba Mbackè. Cependant il est bon de relever que l’Etat devrait accorder une attention particulière à ce genre d’initiatives en ce sens que nous nous acquittons de certains aspects qui relèvent de sa compétence.

 

Quelle portée donnez-vous à la célébration du gamou ?

 

Comme nous le savons tous c’est une nuit dédiée au prophète de l’islam Paix et Salut sur Lui.  C’est notre plus grande référence. Je ne m’inscrirai même pas dans le débat allant dans le sens de dire si le gamou doit être célébré. Nous tenons pour acquis que le gamou n’est pas une innovation blâmable et nous le célébrerons cette année comme nous le faisons depuis 15 ans au terrain de Sacré-Cœur 3 en face de la Vdn. Le prophète (Psl) est plus que quiconque digne de louanges. Ce n’est pas une célébration folklorique  mais il s’agit de rappeler la parole divine, magnifier le Coran, prier sur le prophète et revisiter ses enseignements. Il s’agira d’actualiser et de contextualiser ces enseignements par rapport aux réalités de notre époque. En ce qui concerne la dégradation des mœurs, la mal gouvernance et j’en passe il y a des indications constructives que nous pouvons tirer de lui pour améliorer la société sénégalaise.

 

Vous parliez tantôt de réinsertion sociale, de crise des valeurs… Comment y remédier ?

 

La crise des valeurs est préoccupante.  Les choses ont évolué de telle sorte que nombreux parents ne savent plus où donner de la tête et sont dépassés par certains agissements de leur progéniture. C’est un défi majeur que nous comptons relever et comme dit tantôt nous avons contribué à la réinsertion sociale de cas vraiment critiques. C’est un des thèmes que nous aborderons durant le gamou, d’autant plus que la problématique est amplifiée par les réseaux sociaux. Ces réseaux, comme l’indique leur appellation, jouent un rôle clé dans la consolidation des relations humaines et leur mise en relation mais malheureusement nous sommes face à des dérives qui minent la société car leur usage est dévoyé. De plus il y a un débridage négatif de la parole sur internet qui  fait que la réputation de nombreuses personnes est entachée dans l’espace public sans sanction aucune. C’est regrettable et contreproductif. Certains insultent même des guides religieux et nul ne sait à quoi cela rime. Le prophète (Psl)  disait que parler en mal d’un croyant agréé par Allah est comme boire du poison. Ceux qui insultent les guides religieux courent à la perdition. Au-delà des chefs religieux, le problème reste entier pour toutes les autres personnes et il est important de ne pas porter atteinte à la dignité humaine à tout va. J’invite l’Etat à prendre à bras le corps ce problème qui si elle perdure va menacer la stabilité de ce pays. Que les fautifs soient sanctionnés et que l’on régule l’internet. Il ne s’agit pas de réprimer à tout va et de priver les gens de leur liberté mais certains forums devraient être censurés et assainis pour ne pas laisser cours aux dérives. 

 

Comment appréciez-vous l’action du président Macky Sall depuis 2012 ?

Il y a de bonnes choses qui se font. Il faut noter que le Sénégal est à la traine parce que beaucoup de choses qui devaient être faites par les régimes précédents ont été négligées. Senghor est présenté comme une éminence grise certes mais je ne crois pas que la culture  soit la clé pour développer ce pays, à plus forte raison s’il s’agit de musique et de danse. Un pays se développe par le savoir et la science. Cheikh Anta Diop avait coutume de dire « armez vous de science jusqu’aux dents » et c’était malheureusement négligé d’où notre retard. On nous parlait de Festival mondial des arts nègres et de je ne sais quoi en négligeant les priorités. Il aurait fallu construire des universités, appuyer le monde rural… Senghor aurait dû entamer l’autoroute Dakar – Thiès avant de quitter le pouvoir et si tel était le cas, aujourd’hui le territoire national aurait pu être davantage désenclavé. Gouverner c’est prévenir, gouverner c’est prévoir. Pour en revenir à nos jours il faut saluer les efforts consentis par le régime en place qui a fait des réalisations dont on saluera la portée dans l’avenir. Je ne suis pas nihiliste et je souhaite que toute personne élue par la souveraineté populaire réussisse sa mission dans l’intérêt de  tout Sénégalais. Chaque année je visite plus de 200 villages au Sénégal et je vois à quel point les gens se réjouissent du Pudc (Programme d’urgence de développement communautaire) et souhaitent qu’il soit renforcé. C’est le cas dans toutes les régions, au plus profond du Sénégal et qui connait les souffrances que vivent les populations sans infrastructures de base, sans voirie, sans eau, sans électricité, sans poste de santé… doit s’en réjouir.  Je lui recommande de diligenter le Pudc avec plus de célérité et de le renforcer pour plus d’inclusion sociale dans le monde rural. Il en va de même pour les bourses de sécurité familiales. Certains détracteurs disent que 25 000 francs ne représentent rien mais c’est parce que les personnes qui le disent on un certain train de vie et ignorent tout des difficultés que tr

 

aversent des ménages dans le dénuement total et qui se réjouisse d’être aidées. Je salue également la gratuité de la césarienne, et de l’hémodialyse pour les insuffisants rénaux. Toutefois il important d’avoir plus de structures pour l’hémodialyse car la liste d’attente est longue. Du reste il est important que l’Etat renforce sa politique d’emploi pour mettre les jeunes à l’abri de certaines tentations. Au Sénégal tout est concentré à Dakar mais l’on gagnerait à mettre en place des déductions fiscales pour les entreprises qui s’installent hors de Dakar pour favoriser la décentralisation économique et enrayer les disparités socio-économiques.

Quel regard portez-vous sur le débat politique ?

Le niveau du débat politique au Sénégal est très bas et il faut le dépassionner. La plupart du temps c’est des invectives, des chamailleries, du dénigrement et c’est sans intérêt pour les populations. Nous avons plus besoin d’un débat d’idées, aussi bien de la part de la mouvance présidentielle que de l’opposition. Ceux qui appuient le président de la République ne doivent pas passer leur temps à bander les muscles et à insulter pour le défendre. Ils doivent également avoir l’honnêteté de lui souligner les manquements. Par ailleurs l’opposition a bien le droit de critiquer mais la critique doit être objective, motivée argumentée. Elle gagnerait également à mettre en avant une offre programmatique pour gagner la confiance du peuple.

Certains estiment que les hommes religieux devraient se limiter aux questions spirituelles et ne pas s’immiscer dans le temporel, notamment en donnant des consignes de vote. Qu’en pensez-vous ?

 

Je leur concède le droit de le penser mais je tiens à leur rappeler que le prophète de l’islam, qui est notre référence, n’était pas seulement focalisé sur la religion en faisant fi du temporel. Il a mis sur pied un Etat organisé, avec des départements pour la finance, le juridique, l’agriculture, la diplomatie, les armées… C’était un homme d’Etat, un imam, un chef de guerre et j’en passe. Donc en vertu de quoi les chefs religieux devraient se limiter à diriger la prière dans les mosquées ? Son exemple est éloquent, et au contraire de ce que certains pensent j’estime qu’un pays devrait être dirigé par un homme religieux. Je le dis parce qu’un dirigeant doit avoir de la compassion vis-à-vis de son peuple, reposer son action sur un substrat éthique et être avec le peuple pour le meilleur et pour le pire et les guides religieux remplissent parfaitement ce critère. La fonction sociale des chefs religieux est éminente, ils sont à l’écoute des sollicitations,  et s’engagent corps et âme de manière entièrement désintéressée. Aucun homme politique ne remplit de tels critères de proximité avec les populations. De plus moi qui vais un peu partout au Sénégal je demande des fois aux gens quel est le dernier homme politique qui leur a rendu visite et ils me disent souvent que les hommes politiques ne viennent en général auprès d’eux qu’en période de campagne électorale. J’irai même plus loin en invitant  les chefs religieux à investir le champ politique  si leur disponibilité et leurs aptitudes le leur permettent.

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