Le Président Macky Sall a pris part mardi 18 mai à Paris au Sommet sur le financement des économies africaines. Il a invité les pays riches à être plus solidaires avec l’Afrique pour renforcer sa résilience face à la Covid-19 et mieux appuyer la relance post-crise de ses économies. Mais le chef de l’État a insisté, comme il le fait ces dernières années, sur la nécessité de réformer la gouvernance économique et financière mondiale en vue de l’émergence des pays du continent.
Le sommet sur le financement des économies africaines, tenu mardi 18 mai à Paris, s’est fixé des objectifs classés en deux catégories dans la déclaration finale. D’une part : “répondre aux besoins de financement (de l’Afrique) pour promouvoir une relance rapide, verte, durable et inclusive”. D’autre part : “soutenir une croissance de long terme stimulée par un secteur privé et un entrepreneuriat dynamiques et par le développement et le financement de projets d’infrastructures de qualité”. Le Président Macky Sall, qui a répondu à l’invitation du Président français, Emmanuel Macron, initiateur du sommet, avait fixé le cap dans son discours à l’ouverture des travaux, prônant un plan d’actions alternant le temps court et le temps long. Qui tienne compte des urgences et des priorités du continent.
“Au-delà des solutions conjoncturelles, disait-il, l’Afrique a surtout besoin d’une réforme de la gouvernance économique et financière mondiale, avec des mécanismes innovants, nous permettant d’accéder aux marchés de capitaux à des coûts soutenables et selon des maturités adaptées aux actifs à financer. C’est une nécessité vitale pour nos économies. Autrement, tous les efforts d’émergence resteront vains.” Et pour mieux exposer sa plaidoirie, le chef de l’État a usé de métaphore : “Nous sommes à l’étape du processus de développement où, à l’image d’un avion prêt à décoller, qui met plein gaz, nous devons mobiliser toutes les ressources disponibles pour amorcer l’émergence”.
“Mesures insuffisantes”
Mais Macky Sall s’est d’abord montré reconnaissant. Il a souligné les efforts des partenaires bilatéraux et multilatéraux au bénéfice de l’Afrique, saluant la “suspension du service de la dette (et) la mise à disposition de liquidités”. Il s’est dit d’autant plus reconnaissant que ces “efforts seront confortés par l’allocation prochaine de nouveaux DTS (Droits de tirage spéciaux, Ndlr) à hauteur de 650 milliards de dollars US, dont 33 milliards destinés à l’Afrique”.
Cependant pour lui, “face à l’impact profond de la crise, ces mesures restent insuffisantes”. Et le Fonds monétaire international (FMI) lui donne raison : l’institution de Bretton Wood rapporte qu’il manque près de 300 milliards de dollars à l’Afrique pour couvrir ses besoins pour vaincre la pauvreté, développer les infrastructures, affronter le changement climatique et la menace terroriste.
“Je lance un appel aux pays du G20, qui recevront plus de 2/3 des nouvelles allocations de DTS, afin qu’ils réallouent leurs quotas en appui aux efforts de relance des pays africains, sous forme de dons, de prêts concessionnels et semi-concessionnels à longue maturité”, a suggéré Macky Sall, ajoutant qu’il est souhaitable, “par souci d’efficacité et de diligence, que les réallocations se fassent via des institutions internationales et africaines appropriées”.
Cet appel commence à rencontrer un écho favorable. Le Président français, qui s’est engagé pour atteindre 100 milliards de dollars (le total des besoins du continent selon les ministres africains de l’Economie), et la secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, se sont déclarés favorables à une redistribution des DTS. Cependant, les dirigeants français et américain exigent, en contrepartie, une utilisation efficace et transparente des fonds.
Ce principe a été défendu par le chef de l’État dans son discours prononcé devant la trentaine de chefs d’État et de gouvernement et des dirigeants d’organisations internationales réunis à Paris : “Nous convenons qu’il faut poursuivre les réformes à l’échelle nationale pour faciliter l’investissement, simplifier et élargir la base d’imposition fiscale afin d’accroitre la mobilisation des ressources internes, et soutenir la transparence budgétaire.”
“En Afrique les besoins sont nombreux et urgents”
Toutefois à côté de ces mesures ponctuelles, Macky Sall plaide pour des actions plus fortes, de plus longue portée. “Partout en Afrique, justifie-t-il, les besoins sont nombreux et urgents, et l’État doit encore beaucoup faire, surtout en matière d’infrastructures de base, exploitables sur le long terme, et qui demandent des financements lourds. S’y ajoutent les dépenses incompressibles en matière de sécurité et d’adaptation au changement climatique.”
La meilleure façon d’aider l’Afrique à relever ces défis, selon le chef de l’État, c’est de lever les trois obstacles majeurs qui, selon lui, plombent tous ses efforts : le plafonnement de l’endettement (à 70% dans l’espace UEMOA) et du déficit budgétaire (à 3%), et le coût élevé des primes d’assurance dû à une perception parfois erronée du risque d’investir en Afrique. “Sur ces trois points, a-t-il martelé, je continue de plaider pour une réforme urgente des règles, notamment celles de l’OCDE sur les conditions d’octroi des crédits export. On ne peut pas appliquer les mêmes standards à des pays à forces et besoins inégaux. Nous voulons un assouplissement des règles de plafonnement de l’endettement et du déficit budgétaire, et une correction de la perception du risque d’investissement en Afrique, pour une notation plus juste, et donc des coûts de primes d’assurance moins élevés.”
Le Président sénégalais est persuadé que “ce paquet de réformes facilitera, le cas échéant, l’accès de nos pays aux ressources nécessaires au financement de leurs efforts de relance et d’émergence”.
Au sujet de la dette, Chicot Éboué, professeur en Sciences économiques à l’université de Lorraine, en France, appuie la position de Macky Sall. Même s’il se dit contre une annulation, comme défendu par ce dernier. Dans un entretien paru sur le site de TV5 Monde, Éboué déclare : “On ne peut pas demander aux pays africains qui ont un ratio d’endettement public voisin de 50%, et pour certains pays francophones de 44%, de ne pas s’endetter pour soutenir leurs propres économies, alors que ces pays font face, comme tous les autres, à une pandémie virale meurtrière qui oblige à un ralentissement de l’activité économique. Ils ont besoin de financer leur développement et leurs infrastructures.” Et à titre de comparaison, l’économiste signale qu’en 2020 la France “avait un taux d’endettement public de 120% du PIB” et que l’Allemagne se situe autour de 76% alors que “le traité de Maastricht conditionnait l’adhésion à l’euro à un ratio d’endettement qui ne dépassait pas 60%”.
Piqûre de rappel
Macky Sall s’échine à rappeler aux pays riches la nécessité de rompre avec ce long cycle deux poids deux mesures dans les relations internationales, à rééquilibrer les rapports Nord-Sud. Il martèle son appel lors des rencontres internationales, dans les médias et par la plume. Depuis l’éclatement de la crise sanitaire, c’est devenu chez lui une ritournelle.
Il l’a prononcé en février dernier dans une tribune commune avec Angela Merkel (Chancelière allemande), Emmanuel Macron, Antonio Guterres (secrétaire général de l’ONU), Charles Michel (Premier ministre belge) et Ursula von der Leyen (présidente de la Commission européenne), où les signataires appelaient à “un nouveau multilatéralisme plus solidaire, dans le respect de nos différences et de nos valeurs communes inscrites dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme”. Il l’a réitéré deux mois plus tard avec 17 autres dirigeants africains et européens. Dans cette tribune-là, publiée le 15 avril, il était question de la “mobilisation de la communauté internationale pour affronter les conséquences de la crise sanitaire et économique causée en Afrique par la pandémie”.
Le discours prononcé au sommet de Paris sur le financement des économies africaines, n’était en fait qu’une piqûre de rappel du Président sénégalais aux Occidentaux.