L’oralité chère à l’Afrique n’est pas un vain mot. Elle trouve un prolongement jusque chez nos hommes politiques dont la plupart ne laissent derrière eux que des archives de presse. Un manque qui pose la problématique de l’héritage politique qu’ils gagneraient pourtant à laisser aux vivants.
Célébré par la République et la nation, élevé à titre posthume au rang de commandeur de l’Ordre national du Lion. Au vu du parcours politique assez exceptionnel qui fut le sien, le fondateur du Parti de l’indépendance et du travail (Pit) méritait un peu plus qu’une insigne – certes prestigieuse – qu’il n’aura même pas eu le loisir de contempler de ses propres yeux. Mais au-delà des qualités intrinsèques de leadership dont il a fait preuve durant plusieurs décennies, quel héritage nous laisse en pratique Amath Dansokho de ses dizaines d’années de militantisme politique ?
La même interrogation pourrait concerner le défunt grand patron du Parti socialiste sénégalais. Au 40e jour de sa disparition, Ousmane Tanor Dieng reste dans les mémoires comme l’un des plus influents hommes politiques sénégalais des vingt dernières années. Entre l’exercice indirect du pouvoir dans les ultimes années du dernier mandat d’Abdou Diouf, le basculement dans une opposition de douze ans et le retour aux affaires par l’entremise de la victoire de Macky Sall sur Abdoulaye Wade, Ousmane Tanor Dieng cristallisa toutes sortes de rumeurs… Comment quantifier et appréhender ce qui pourrait être considéré – valablement – comme son legs politique ?
Dansokho et Tanor sont deux des symboles représentatifs d’une certaine classe politique qui aura passé plusieurs décennies au cœur et dans les arcanes de l’État et de la République. Ils seraient comme des bibliothèques ambulantes qui, par manque d’entretien, sont condamnées à brûler à petit feu jusqu’à destruction. Ils sont, avec les autres comme eux, des parfaits modèles de la culture de l’oralité africaine et sénégalaise, celle qui ne laissera à la postérité que discours de campagnes électorales, interviews sur les supports écrits, radio, télé, etc. Aux journalistes, étudiants et chercheurs en sciences politiques, jeunes ou vieux politiciens en quête de certitudes et de repères dans l’histoire politique récente du Sénégal, il faudra trouver des palliatifs en mesure de mettre en contexte les faits et événements politiques connus, d’identifier les acteurs et protagonistes de situations historiques, de désigner les tireurs de ficelles dans l’ombre, sous des régimes différents.
C’est quoi la vraie histoire du «congrès sans débats» de 1996 ?
Amath Dansokho, Ousmane Tanor Dieng, nombre de leurs devanciers de la classe politique et syndicale du pays n’ont pas trouvé le temps ou l’envie de raconter les expériences cumulées de leur militantisme. C’est un grand dommage ! Que ne donnerait-on pas, en effet pour que le défunt chef du Ps partage avec l’opinion publique nationale la vraie histoire, de son point de vue, du «Congrès sans débat» de 1996 ? Ses relations alors tumultueuses avec les autres «éléphants» socialistes qui ont fini par quitter la «maison» de Léopold Sédar Senghor ? Que ne ferait-on pas pour que le fondateur du Pit révélât les coulisses méconnues ou ignorées des scissions intervenues au Parti africain de l’indépendance (Pai), cadre d’origine de la plupart des partis d’obédience gauchiste qui ont essaimé plus tard, de ses rapports souvent heurtés avec Abdoulaye Wade, de ses divergences doctrinales (et en fin de compte politiques) avec les autres entités de la gauche sénégalaise ?
La problématique de l’héritage politique des acteurs de la gouvernance est une grande question qui devrait soulever l’intérêt de plusieurs corporations socioprofessionnelles. À ce niveau, les maisons d’éditions pourraient jouer un rôle fondamental, en particulier dans le travail de persuasion à mener auprès d’une «clientèle politique» pertinente, c’est-à-dire «vendeuse». Dans cette chaîne qui embrasserait à la fois le business, le civisme et la culture, une place essentielle pourrait être dévolue aux étudiants de diverses filières comme les sciences politiques, l’économie, le management…
Entre l’explosivité et la spontanéité oratoire d’Amath Dansokho et la retenue «Dalai-lama» d’Ousmane Tanor Dieng, il y aurait eu place pour des ouvrages de grande utilité publique pour éviter que des bibliothèques se consument…