UCAD: les cours démarrent, les étudiants attendent l’ouverture des restaurant

«Inadmissible, catastrophique, décevant, injuste…» Les étudiants ne manquent pas de qualificatifs pour dire que la reprise des cours en présentiel à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar ne sera pas effective tant que le campus social est fermé. Alors que les étudiants retrouvent enfin les amphis après une fermeture prolongée depuis juin 2023, le campus social sonne vide. Les couloirs sont sombres, rappelant que la réouverture ne règle pas tous les problèmes. Le campus social, sans ses étudiants, présente un autre visage.

A 11 heures, au niveau de la Faculté des lettres et des sciences humaines, l’enrôlement des étudiants va bon train, les plannings de cours et examens se déploient sur les panneaux d’affichage, mais l’atmosphère reste marquée par 9 mois de cours en ligne, loin de l’agitation habituelle qui caractérise la vie universitaire. Pourtant, même dans cette renaissance tant attendue, les cicatrices des événements passés demeurent visibles. Mais cette fois, les étudiants affichent une détermination sans faille à reprendre les cours en présentiel car, pour eux, mieux vaut avoir au moins une équation résolue que de se retrouver avec des problèmes. Dr Ndéné Mbodj, professeur de philosophie et Secrétaire général du Sudes/Enseignement supérieur, a exprimé son désarroi face à cette situation soulignant que l’université doit être considérée comme une entité indivisible, comprenant à la fois le campus pédagogique et le campus social. «L’uni­versité, c’est l’université. Il n’y a pas deux universités. C’est lors de ces événements qu’on a constaté qu’il y a le campus pédagogique à part et le campus social à part, tout en oubliant que le Recteur est le président du Conseil d’administration du campus social. Donc, il est le chef de l’université, le patron. Alors, je vois mal pourquoi le campus pédagogique démarre, et que le campus social ne démarrerait pas», dit-il.

Dr Ndéné Mbodj estime qu’il est inadmissible que la partie académique ouvre ses portes tandis que la partie sociale reste close, privant ainsi des milliers d’étudiants de logement. «Le campus social héberge 38 mille étudiants. Et cela veut dire que tous ces étudiants qui sont hébergés peut-être n’ont pas de tuteur, n’ont pas où loger à Dakar. Et si nous connaissons la situation politique, économique et financière du pays, nous disons que c’est inadmissible que le campus pédagogique puisse ouvrir, et que le campus social n’ouvre pas. C’est inadmissible. Le campus social a toujours accompagné le campus pédagogique. Quand l’université ouvre, ça doit ouvrir. Aucune porte ne doit être fermée», déplore le Secrétaire général du Sudes/ Enseignement supérieur à Dakar. A l’en croire, cette division entre les deux campus est révélatrice d’un dysfonctionnement majeur dans la gestion de l’institution. La fermeture prolongée de l’Ucad a été attribuée à des raisons de sécurité, mais selon Ndéné Mbodji et bien d’autres étudiants, ces justifications étaient vagues et non fondées. «Ce qui s’est passé, c’est qu’on a longtemps évoqué les raisons de sécurité. On a quelque part organisé la peur ou développé la peur au sein de l’université, au point que chacun a eu peur finalement. Et on a brandi l’argument de l’insécurité. Pourquoi les tenants et les aboutissants de cette insécurité, nous ne savons pas. Maintenant, ce que les syndicats comme le Sudes ont toujours dit, c’est qu’il était inadmissible dans un milieu comme l’université qu’on nous tienne comme argument : qu’il y a de l’insécurité et qu’on ne cherche pas exactement d’où vient cette insécurité. Nous avions vu des pays où des bombes pleuvaient et que l’université avait ouvert ses portes. Donc, l’argument brandi ne suffit pas», a fait savoir Dr Ndéné Mbodji, admettant que l’université n’avait pas à gérer des problèmes d’insécurité ou de sécurité dans le pays, mais c’est à l’Etat de garantir la sécurité. Et de poursuivre sur un ton teinté d’indignation : «Aujourd’hui, on dit que la situation est favorable. Je me demande comment on est passé miraculeusement d’une situation presque de guerre à une situation de paix. Tout ça mérite d’être interrogé et il y a des gens qui nous doivent des explications parce que l’université est très sérieuse.»

«La politique doit se mener indépendamment de l’éducation»
Les étudiants eux-mêmes, représentés par des voix telles que Papa Karim Diop, étudiant en master 2 au département de géographie et Secrétaire général de l’Amicale de la Faculté des lettres et des sciences humaines, partagent ces préoccupations. Pour lui, la réouverture de l’université sans l’accès au logement étudiant crée des obstacles considérables, notamment pour ceux venant de régions éloignées du pays. «C’est toujours un problème réglé à moitié. L’ouverture seulement du campus pédagogique sans le campus social sera compliquée pour beaucoup d’étudiants. Donc, c’est toujours le même problème qui persiste», constate pour le déplorer Papa Karim Diop. Il tient ses propos devant le nouveau bâtiment de la Flsh inauguré en 2014.

En prolongeant la fermeture de l’université, il estime qu’il y a eu un manque de responsabilité à assumer de la part de l’autorité de l’Ucad. «La raison visible aux yeux de tous, c’est la raison politique. Donc, nous lançons un appel aux autorités d’ouvrir le campus social étant donné que le problème le plus prégnant chez les étudiants, c’est le problème de logement. La politique doit se mener indépendamment de l’éducation», explique-t-il. Cependant, après cette attente qui semblait interminable, l’Ucad ouvrit finalement ses portes. Devant l’amphithéâtre Mbaye Guèye, l’effervescence est palpable. Bamba Sène, étudiant en licence 3 en lettres modernes, témoigne des difficultés rencontrées avec l’enseignement en ligne. Pour lui, l’accès inégal à internet a rendu impossible la poursuite des cours à distance pour de nombreux étudiants. «Je n’ai jamais fait de cours en ligne. Cette reprise des cours en présentiel était un besoin que les étudiants réclamaient», ajoute-t-il. Cette position est largement partagée par Ndèye Ngoné Diop, étudiante au département de Psychologie. Elle dira que «c’est comme si nous retrouvions une partie de nous-mêmes qui avait été mise en pause. On est contents pour la réouverture de l’université qui ne devrait même pas être fermée.» Non loin de la Faculté des lettres, l’ambiance n’était pas si différente à la Faculté des sciences et techniques (Fst). Seny Diédhiou, étudiant en Master 2 dans cette faculté, partage une perspective différente. Il mentionne avoir pu continuer ses études normalement pendant la fermeture de l’université grâce à des arrangements spécifiques. Pour lui, la fermeture de l’Ucad n’aurait jamais dû avoir lieu et semble attribuable à des considérations politiques. Maintenant que l’élection est passée, il estime qu’il n’y a plus d’obstacles à la réouverture. «On est un groupe restreint et on a fait cours avec notre prof dans son bureau. Vous savez, ils ont fermé le campus à deux reprises. Et pourtant, cette fermeture ne devrait même pas avoir lieu. Ils ont tellement voulu politiser l’université, finalement, pour des problèmes d’élection, ils ont fermé la fac pour rien du tout. Ce n’est pas juste. Il n’y a pas d’élection, ils sont obligés d’ouvrir l’université», assène l’étudiant.

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