«L’affaire Gadio est un coup de tonnerre», a déclaré Sidiki Kaba au micro de Rfi. Le lointain et quatrième successeur de Cheikh Tidiane Gadio à la tête de la Diplomatie sénégalaise (après Madické Niang, Alioune Badara Cissé et Mankeur Ndiaye) a opté pour une métaphore teintée d’euphémisme. Un poétique et adoucissant commentaire qui est clairement dicté par un mélange de réelle stupeur, de gêne immense et de solidarité…embarrassée. En termes abrupts, c’est le ciel entier (siège des tonnerres et magasin des foudres) qui est tombé sur la tête de chacun des Sénégalais. Question immédiate : pourquoi l’étonnement est assommant et total ? Eh bien, parce que Cheikh Tidiane Gadio était, jusque-là, le condensé imposant et impressionnant de l’homme d’Etat (longtemps ministre), de l’homme politique (actuel député) et du panafricaniste devant l’Eternel. Aujourd’hui, la synthèse des trois profils est gravement altérée. Voire grandement fracassée.
Dans cette affaire de conseil, de consultance, de courtage, de lobbying, de négoce et de rivalité commerciale aux contours brumeux, la plus judicieuse des analyses à chaud, décommande une incursion précipitée dans les dédales mouvants et déroutants de la justice outre-Atlantique. En revanche, elle autorise une série de réflexions sur le déficit de prudence et de vigilance observé chez le Docteur Cheikh Tidiane Gadio qui est suffisamment avisé (expérience et culture réunies en lui) pour se convaincre, de longue date, que les chemins du pépin et les pistes de la politique se côtoient constamment. Quand ils ne se chevauchent pas dangereusement. Mieux, des affaires récentes et des scandales retentissants, enregistrés ici et ailleurs, ont démontré que l’hyperactivité dans le champ (mal délimité) de la consultance et du lobbying, peut conduire jusqu’aux confins du ravin de l’escroquerie. Escroquerie dont on peut être auteur comme victime. Bref, un homme politique de haut vol – qu’il s’appelle Cheikh Tidiane Gadio, Adama Bictogo ou Bernard Kouchner – doit ôter toute force et, surtout, vider de toute substance, les paroles accablantes et navrantes d’une chanson de Mc Solar : «Il veut faire de la politique, pour être un gangster moderne».
De prime abord, l’arrimage à l’erreur est plus perceptible dans les malheurs actuels de Cheikh Tidiane Gadio qu’une frénésie orientée vers l’escroquerie. Autrement dit, cette éprouvante séquence de son destin pouvait être bel et bien conjurée. En effet, l’homme d’Etat Gadio a battu un record de longévité ministérielle, sans précédent, dans les annales de l’Histoire gouvernementale du Sénégal. Avec une décennie de présence ininterrompue dans le même ministère – un ministère de souveraineté, de surcroît – Cheikh Tidiane Gadio a siégé d’affilée en Conseil des ministres, plus longtemps que Mady Cissokho, Alioune Badara Mbengue, Moustapha Niasse, Djibo Kâ, Maguatte Lô, Habib Thiam, etc. Une longévité singulière quand on sait que Jean Collin (successivement ministre des Finances, ministre de l’Intérieur et ministre d’Etat, de 1970 à 1990) a changé de portefeuilles. Donc une durée (10 ans) et une particularité (le même département) dont Gadio détient les deux monopoles.
Lorsqu’on a piloté le rayonnement du Sénégal, jusqu’aux antipodes ; quand on a, peu de temps après, gagné – par le suffrage universel – la confiance de son peuple, en siégeant à l’Assemblée nationale, la précaution doit être élevée au rang de religion, notamment à l’Etranger. On ne demande pas au Docteur Gadio de rester les bras croisés ou de jouer, à domicile, aux mots croisés. Après 60 ans, n’est-il pas temps d’amorcer une carrière littéraire plus paisible, parallèlement à un combat politique assez prenant ? Un fils spirituel de Cheikh Anta Diop ne peut pas être aride en pensées prometteuses pour les générations montantes d’Afrique. Tout comme un Metternich sénégalais a l’obligation d’écrire un livre-mémoires semblable aux ouvrages de Kissinger. En fait, Cheikh Tidiane Gadio est moins sagace et plus remuant que ces illustres prédécesseurs aux Affaires Etrangères : Moustapha Niasse, Djibo Kâ et Seydina Oumar Sy. Ces derniers, bien que dotés de carnets d’adresses, ont traversé le désert avec patience puis travaillé, avec moult précautions, dans les domaines du conseil et de la consultance, en Afrique et ailleurs. Sans trébucher de façon politiquement dégradante voire mortelle. Ajoutons le nom de l’ambassadeur et ministre Falilou Kane qui fut un grand ami du Président Gnassingbé Eyadema. Une proximité jamais muée en trafic d’influence.
Du reste, les bonnes boussoles, les meilleurs exemples et les parfaits aiguillons existent et inspirent positivement. Longtemps ministre des Affaires Etrangères de l’Algérie et patron de la Ligue Arabe, le super-diplomate Lakhdar Brahimi est toujours sollicité et projeté au cœur des crises internationales, tantôt en tant que médiateur, tantôt en qualité d’Envoyé spécial de l’ONU. Le téléphone sonne, sans arrêt, dans ses bureaux parisiens. Il a virevolté et virevolte encore sur un arc de tensions qui va de Kaboul à Ryad, en passant par Damas, Téhéran et Bagdad. Sans jamais commettre un impair fâcheux ou fatal. Il est vrai que Lakhdar Brahimi ne s’occupe jamais de pétrole : produit inflammable et explosif, au propre comme au figuré. Bien que son pays (l’Algérie) soit un des pivots de l’OPEP. Brahimi campe dans les limites de la diplomatie parallèle et/ou de la négociation multilatérale pour lesquelles sa formation et son expérience sont avérées et sollicitées.
Plus près de nous, le Malien Boubèye Maïga, actuel Ministre Secrétaire général de la Présidence, présente un profil, à la fois, semblable et dissemblable à celui de Cheikh Tidiane Gadio. Directeur des services secrets maliens, ministre des Affaires Etrangères et ministre de la Défense, le journaliste Boubèye (formé au CESTI de Dakar) a un spectre d’expériences plus larges et plus variées que la palette de responsabilités d’un Gadio qui n’a jamais dirigé les services de renseignement ; encore moins coiffé le ministère de la Défense. A la tête du ministère de la Défense, Boubèye Maïga a lancé l’opération «SANYA» dont l’impeccable déroulement a permis la liquidation de la Junte de Kati et l’emprisonnement du Capitaine Sanogo, le tombeur du Président ATT. Après son éjection du gouvernement, en 2014, il a traversé le désert, en tant qu’expert de l’UA, dans le dossier centrafricain. Détenteur d’un épais carnet d’adresses et dépositaire d’un volume considérable de secrets (il est l’ami personnel du Général algérien Toufik Mediène ex-chef du DRS) l’homme d’Etat Maïga, rusé comme un Sioux, rêve d’un destin présidentiel, loin des transactions bancaires, boursières et pétrolières.
De tous les anciens, célèbres et emblématiques ministres des Affaires Etrangères d’Afrique, seul Cheikh Tidiane Gadio a posé pied dans une prison située hors du continent, pour des motifs sonnants et trébuchants. Donc pour des faits incriminés qui sont plus proches du négoce que de la négociation ; plus proches du profit que de la prospective. Cette dernière est pourtant la trame du cahier des charges de l’Institut Panafricain de Stratégie (IPS) que l’ex-ministre de Wade a créé, au lendemain de son départ du gouvernement. En effet, le Tanzanien Salim Ahmed Salim, le Camerounais William Aurélien Etéki Mboumoua, le Mauritanien Hamdi Ould Mouknass et le Zaïrois Nguza Karl Ibond n’ont jamais été impliqués dans des transactions peu ou prou douteuses. Les épreuves judiciaires pour certains d’entre eux, ont été strictement d’essence politique. Seul le Togolais Edem Kodjo a encaissé une accusation gravissime de corruption autour de l’admission de la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD) comme membre de l’OUA.
Alors l’ultime question devient incontournable : qu’est-ce qui fait courir l’ancien ministre et actuel député Cheikh Tidiane Gadio…jusque dans les liens de la prévention aux USA ? Réponse : l’ambition politique, légitime et suprême. En effet, l’arrivée du Président Macky Sall à la magistrature suprême (un Président triomphalement élu mais dépourvu du coffre de Senghor et amputé du charisme de Wade) a dopé, tous azimuts, les ambitions présidentielles. D’où l’équation ardue du nerf de la guerre, c’est-à-dire de l’argent, encore de l’argent et beaucoup d’argent, pour évidemment financer une campagne électorale éventuellement victorieuse.
Pourtant Cheikh Tidiane Gadio n’est pas mal loti. Avec une carrière ministérielle bouclée sans secousses, une trajectoire parlementaire fraîchement entamée, une superbe résidence aux Almadies et une épouse professionnellement active dans le système des Nations-Unies, Gadio est avantageusement outillé pour garder l’équilibre et la sagacité, jusqu’à l’accomplissement de ses ambitions cachées ou affichées. Et, surtout, très légitimes. Toutefois, les répercussions de son faux pas auront une incidence politiquement et moralement affaiblissante. Car le panafricaniste Gadio – continuateur des combats fusionnés de Cheikh Anta Diop, de Kwame Nkrumah, d’Amilcar Cabral etc. – s’est fourvoyé dans des rôles ambigus auprès de personnages non moins ambigus. Un panafricaniste de sa trempe ne devait pas être pris en sandwich dans des convoitises sino-américaines concurrentes, en direction d’une Afrique toujours pillée. Enfin, l’ancien ministre des Affaires Etrangères sait bien que les dictateurs Idriss Déby et Yoweri Museveni (cités dans l’accusation de la justice américaine) ne sont pas des Olof Palm africains.
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