Lettre ouverte au Pr Macky Sall – L’AIBD doit porter le nom de feu…

Ce ne sera que justice rendue à ce père du transport aérien africain. Né le 16 mars 1923 à Saint-Louis, Cheikh Fall est le Président fondateur, Directeur général de la Compagnie multinationale Air Afrique. Il fut assurément un grand homme, un humaniste, un panafricaniste dans l’âme, un scientifique hors pair dont la dimension et la profondeur de la pensée sont telles qu’elles ne peuvent ne pas susciter respect et admiration. Au moment de son élection, le jeune cadre sénégalais était alors âgé de 42 ans et avait une carrière bien remplie.

Après de brillantes études au lycée Faidherbe de Saint-Louis, sanctionnées par le baccalauréat, Monsieur Cheikh Fal fut un ancien élève des classes préparatoires des lycées Janson de Sailly et Louis Le Grand à Paris où il décrochera successivement une licence ès sciences physiques et une autre en mathématiques. Il entra ensuite à l’Ecole Supérieure d’Electricité de France (Supelec) où il a été reçu sur titre et devient ingénieur. Il devait entrer ensuite comme ingénieur en chef à l’Electricité de France (EDF) et participer à ce titre à la plupart des projets d’aménagement tant hydraulique que thermiques dans les territoires d’outre-mer, avant de devenir Directeur de l’Energie Electrique de Côte d’Ivoire.

Membre fondateur de l’Association des ingénieurs et techniciens Africains de Côte d’Ivoire, il conseilla le Président Félix Houphouët-Boigny de créer l’Ecole Supérieure Inter-Etat d’Electricité (ESIE) de Bingerville (Côte d’Ivoire). Il dirigera cette prestigieuse Ecole pendant quelques années et contribue à lui donner ses lettres de noblesse. Avec la constitution de la Fédération du Mali, il est appelé à diriger l’Office Fédéral des Postes et Télécommunication du Sénégal.

Ses éminentes qualités et sa brillante réussite dans les diverses et délicates fonctions qu’il a successivement occupées le désignaient donc au poste de Président du Conseil d’Administration de la jeune et déjà grande compagnie interafricaine. En prenant les rênes de la Compagnie Air Afrique, Cheikh Boubacar Fal n’avait pas perdu de vue que son action devait s’inscrire dans une tradition sénégalaise d’avant-garde bien respectée dans le monde.

Dans un contexte où l’incompétence des élites de la période post indépendance est désignée comme responsables du mauvais départ de l’Afrique, on doit faire connaître l’histoire inconnue de certains hommes et femmes dont l’œuvre est incontestablement une référence à toute une jeunesse qui frappe partout aux portes du pouvoir et du leadership. L’exemple de Cheikh Fal doit justement être médité par les jeunes Sénégalais en quête de modèles, car l’une des difficultés qu’elle rencontre aujourd’hui est justement l’absence de repère et, par ricochet, de valeur. La première Conférence des Etats d’Afrique d’expression française eut lieu le 26 octobre 1960 à Abidjan, et la Côte d’Ivoire suggéra la création d’une société aérienne commune, la proposition a eu l’agrément de tous les chefs d’Etat.

Tout naturellement la Cote d’Ivoire fut chargée de préparer un avant-projet. Le 28 novembre 1960, le gouvernement Ivoirien communique aux Etats intéressés les résultats de cette étude. Le projet est mis au point à Dakar du 30 janvier au 4 Février 1961. Il fut présenté par la Cote d’Ivoire aux Etats membres lors de la Conférence de Yaoundé où les Chefs d’Etats suivants l’adoptèrent et le signèrent le 28 mars 1961 à Yaoundé, d’où le traité de Yaoundé devant régir la future société multinationale..

Porte de l’Afrique sur le plan géographique, le Sénégal a aussi longtemps été un grenier de ressources humaines qualifiées et toujours disponibles pour être au service du continent africain. La formation de qualité des élites sénégalaises a profité à toute l’Afrique noire, mais cela a aussi contribué au rayonnement d’un pays que ni la démographie, ni les ressources naturelles ne prédestinaient à jouer un rôle aussi éminent. Si l’influence du Sénégal en Afrique et même dans le monde a été aussi remarquable, c’est bien parce que notre pays a très tôt compris qu’en mettant à la disposition du Continent et des organisations internationales ses fils, il comblait en même temps des handicaps et les obstacles que la nature et l’histoire lui opposaient.

En effet, dans un univers où tout travaille à installer les Africains dans un afro pessimisme moribond et nocif à tout ressort psychologique de développement, des Chefs d’États visionnaires ont réussi à mettre sur pied la Compagnie Air Afrique. En plus de ces qualités intellectuelles et morales, cet homme de grande culture et d’agréable compagnie fut bien avant son arrivée à la tête de la Compagnie Air Afrique, un membre actif du syndicalisme estudiantin.

Cheikh Fal a eu à diriger l’Association Générale des Etudiants Africains de Paris (AGEAP), l’ancêtre de la Fédération des Etudiants Africains de France (FEANF). Ce qui lui a permis très tôt de rencontrer de nombreux futurs hauts cadres de l’élite des Etats membres de la multinationale et d’ailleurs. Au moment de la création d’Air Afrique, certains étaient alors soit Président de la République ou Premier Ministre, soit Ministre du Plan ou du Budget, Ministre de l’Économie et des Finances, banquiers, diplomates ou hommes d’affaires.

Ayant eu à travailler ou à concevoir de nombreux projets de développement dans plusieurs pays, Cheikh Fal n’était pas inconnu en Afrique, tout comme l’Afrique ne lui était pas inconnue. Il était régulièrement sollicité à titre personnel par plusieurs Chefs d’Etat sur d’autres questions ne relevant pas de la gestion d’Air Afrique. A ceux qui penchaient pour une entreprise unique, un consortium genre SAS, Cheikh Fal soutenait que «seule une entreprise à structure unitaire serait conforme à l’efficacité recherchée et au vœu d’égalité des Etats partenaires entre eux». C’est enfin cette formule qui fut adoptée et consignée dans le Traité de Yaoundé le 28 mars 1961. Toutefois le modèle Air Afrique reste un cas particulier qui est cité partout dans le monde, il ne cesse d’être revisité, plusieurs tentatives n’ont pas hélas encore vu le jour.

Air Afrique fut un symbole de l’Unité africaine, outil majeur d’intégration et de développement. Ce qui lui a valu cette adresse du Dg de IATA, en son temps, je cite «Ceux qui ne s’unissent pas, n’ont pas d’avenir !». «Il faut agir en homme de pensée et penser en homme d’action», disait Henri Bergson et son assertion pourrait bien résumer l’action de Cheikh Fal à la tête de la Compagnie multinationale Air Afrique. En effet, face aux multiples défis liés aux intempéries politiques et aux difficultés économiques qui ont agité la Compagnie Air Afrique, Cheikh Fal a toujours fait preuve d’une capacité d’innovation remarquable, mais dans une approche diplomatique sans faille. Tous ceux qui l’ont connu gardent de cet ingénieur diplômé de l’École supérieure d’électricité de Paris (Supelec), le souvenir d’une forte personnalité.
C’est justement cette étoffe de forte tête qui lui a permis de tenir pendant 13 ans à la tête de la Compagnie multinationale Air Afrique. Tout en préservant l’esprit des options stratégiques tracé par le Traité de Yaoundé, le Président Cheikh Fal avait inscrit sa gestion depuis son accession dans une relative rupture au regard de sa volonté de diversifier les partenaires au développement de sa compagnie. Dans sa démarche, le Pdg d’Air Afrique se préoccupait de relever les nouveaux défis posés par le transport aérien international. Cette nouvelle politique obéissait à des choix stratégiques qui sont fondés sur plusieurs critères et sur des intérêts communs : Air Afrique n’est la chasse gardée d’aucun partenaire.

Le 6 décembre 1972, Cheikh Fal, annonce son intention de quitter ses fonctions «au plus tard à la fin de l’exercice 1973». Du coup, la rumeur fait de lui un possible candidat à la présidentielle de janvier 1973.

Mais, la tournée initiée par Cheikh Fal auprès des familles religieuses du Sénégal et ses relations suivies avec Serigne Cheikh Mbacké Gaindé Fatma, grâce à l’entregent de Balla Mbaye, premier chef comptable à Air Afrique, n’ont pas, par la suite, aidé à faciliter ses relations avec Senghor.

Serigne Cheikh Mbaclé Gaindé Fatma était un adversaire déclaré de Senghor. Il tissait des relations particulières avec presque tous les dirigeants de son époque. Il soutenait des mouvements de libération nationale en Afrique (Amilcar Cabral) et au Moyen Orient (Yasser Arafat). En novembre 1972, Senghor pensant que Cheikh Fal voulait sa place, fait part à Houphouët de son désir de voir Cheikh Fal, dont le mandat s’achève en mars 1974, relevé de ses fonctions.

Les deux hommes abordent à nouveau le sujet en marge du sommet de la CEAO, en avril 1973, et se mettent d’accord sur l’échéance du mois de décembre suivant. Mais Senghor ne peut plus attendre, il veut que Cheikh Fal s’en aille en septembre

Un conseil d’administration de la Compagnie multinationale Air Afrique est convoqué le 25 juin 1973. S’estimant trompé, Houphouët menace de claquer la porte. Le Président Houphouët soutient fermement Cheikh Fal sur lequel il ne manque pas d’influence.

Les choses finissent par rentrer dans l’ordre, quatre jours plus tard, à l’issue d’un voyage d’Abdou Diouf à Yamoussoukro. Le Président Senghor resta non seulement inflexible dans sa position. Il proposa même au Président Houphouët de remplacer Cheikh Fal par un Ivoirien pour diriger la Compagnie, alors que le poste revenait au Sénégal.

Pape Sadio THIAM

Agence Synergies Stratégies