NGOR ET (ENCORE) COVID-19
Je vous disais que j’étais allé voir NGOR pour trente minutes et que je suis finalement resté de onze heures du matin à vingt heures…Ce que je ne vous avais pas encore dit, c’est que le hasard avait fait que j’ai été rejoint par d’autres personnes du quartier, qui partageaient l’amitié de la famille Sène avec moi.
Rappelez-vous Adja, la vieille politicienne, au visage peinturluré et tuméfié par le xeessal, venue voir Xemess, la sœur de NGOR. Elles devaient préparer leur jamra du dimanche prochain. Le jamra ! Quelle extraordinaire trouvaille de nos braves femmes ! Avec des variantes dignes des plus grands banquiers. J’y reviendrai. Adja nous salua, avertit NGOR, avec un grand éclat de rires, qu’elle n’a pas de billet-retour. Native de la Médina, elle habitait maintenant aux Parcelles Assainies car la maison familiale avait été vendue à un riche guinéen. Door rek! Soupira NGOR.
Arriva Cheikh Thiam, un ami de jeunesse, passionné de politique et toujours prêt à en découdre… . Puis s’invita Gallo Faye, un grand à nous, ancien bibliothécaire et éminent intellectuel, toujours un document scotché à la main. Ensuite Ibou se signala, le jeune diplômé qui fréquente bangou diaxlé, le grand-place de NGOR qui s’est finalement vidé par cause de coronavirus.
Ibou qui n’avait pas son masque reçut une volée de NGOR qui le traita d’inconscient et de tueur potentiel de vieilles personnes. J’approuvais parfaitement l’attitude NGOR. Ce fut d’ailleurs un prétexte pour parler quelque peu de l’augmentation vertigineuse des cas de contamination.
Je précisai d’abord à Ibou que les récentes études montrent bien que les jeunes ne sont point à l’abri du monstre mais le cri du cœur de NGOR était plutôt fait au nom de nos vieilles mamans, de nos oncles et tantes diabétiques ou hypertendus, qui sont les personnes les plus vulnérables. Une Mamie, ça embrasse et ça câline son petit-fils et si le petit est …une bombe ambulante comme Ibou…bonjour… la morgue et je n’exagère pas. C’est la réalité. De l’avis de beaucoup de spécialistes, les principaux lieux de contamination demeurent les espaces publics ou privés fermés. L’espace familial, où l’on fait malheureusement confiance au frère, à la sœur, au cousin, au neveu, au fils, au petit-fils, est devenu particulièrement dangereux. L’idéal est que même dans la maison que tout le monde mette un masque mais, à défaut, que la distanciation physique soit au moins respectée. Les chiffres sont effrayants en Amérique. En Europe et un peu partout dans le monde, on reconfine ou on exige le masque même dans la rue. La crise et le monstre reprennent le dessus. Au Sénégal, les statistiques terrifiantes du ministère de la Santé nous angoissent. Encore que…nous savons tous que beaucoup, par peur de la stigmatisation, par ignorance aussi, souffrent ou meurent en silence dans leurs maisons et ne sont pas pris en compte dans ces statistiques déjà alarmantes.
Je m’étonne d’ailleurs du profilage statistique. En effet, je considère que le cas contact d’un cas communautaire est aussi un cas communautaire ( mathématiquement -+=-) car, en définitive, on ne connaîtra jamais le porteur primitif du virus. Ainsi dit, je suis quasiment sûr que sur 150 cas/jour, 150 peuvent être considérés comme cas communautaires. Cela nous permet d’apprécier le taux de dispersion de la maladie et le taux de « non maîtrise » du monstre. Par ailleurs, je leur fis savoir que ma conviction est qu’il faut procéder, pour définitivement se faire une religion sur le taux réel de contamination, à une opération coup de poing avec un test massif (5000 ou 10000) sur les personnes présentant des signes de la maladie ou les personnes exposées telles que les hypertendus ou les diabétiques.
NGOR offrit un masque à Ibou, qui, penaud, s’assit sagement à côté de Cheikh Thiam.
On se retrouva donc NGOR, Cheikh, Gallo, Ibou et moi dans la grande cour de la famille Sène, les masques bien vissés sur la moitié du visage, à un mètre les uns des autres. La parenthèse COVID avait installé une petite angoisse et un petit froid dans notre petit groupe.
A un moment, Cheikh, comme pour détendre l’atmosphère, se retourna et désigna une chambre dans un coin de la maison. Cette chambre, qui avait gardé son vieux toit en zinc, était le lieu de beaucoup de souvenirs car c’était, à l’époque, la chambre de NGOR et on y passait, jeunes, des heures et des heures.
Cheikh, un sourire qui en dit long au coin, rappela qu’on adorait, entre copains et copines qui pouvaient être quelquefois coquins et coquines, siroter le thé dans cette chambre, surtout, en période de vacances scolaires. Ces vacances coïncidaient avec la saison des pluies et rien ne valait un thé chaud avec la fraîcheur de la pluie, entre amis, sous les cliquetis des gouttelettes de pluie qui s’écrasaient sur le toit en zinc. Il nous fit revivre l’ambiance digne de night-club de cette chambre d’adolescents et nos pas de danse endiablés, au milieu des effluves de la cigarette de quelques uns d’entre nous, fumeurs précoces. On eut la nostalgie de Biita bane, Saï-saï, Adama Ndiaye de Omar Pène, de Mbassa, Gossando, du Star Band et que dire du Womat, de Sett et de Wendelou du grand frère Youssou.
Cheikh se leva et se permit quelque pas de danse d’époque. Il démontra qu’il fut un grand spécialiste du Mbarass et de Moulaye tcheuguine. Le frou-frou de son joli tissu bazin se fit entendre. Les mouvements de ses pieds firent voltiger une de ses babouches dans l’air. Les torsions de son oncle mirent Ibou dans un état second. Il éclata de rires, se moqua de nous et nous traita de has-been.
Gallo s’en mêla pour dire que la belle époque et la bonne génération, c’était eux. Il égrena un chapelet de griefs contre nous et contre les générations récentes et, comme d’habitude, le ton monta entre Cheikh et lui. NGOR mit rapidement fin à la foire d’empoigne qui s’annonçait en rugissant un « arrêtons les gars !» de sa voix grave et rappela que l’heure était plutôt à la lutte contre COVID-19 et à la situation politique à la Médina.
Je rassurai à nouveau mes amis sur mes déclarations de patrimoine, devenues bizarrement une arme de guerre pour certains à la Médina. Je les ai faites, sur l’honneur et dans les délais car je suis un assujetti comme d’ailleurs tout Maire qui a un budget de plus d’un milliard. Je leur dis que je ne comprenais pas cette propension à médire sur les gens, à leur promettre la géhenne, à leur souhaiter les pires supplices. Juste parce que vous n’êtes pas du même bord politique. Juste parce que vous faites d’énormes sacrificices pour soutenir vos concitoyens. Cette façon de faire la politique me semble abjecte et répugnante d’où qu’elle vienne.
Je changeai de sujet en annonçant à mes amis un ambitieux programme initié par mon mouvement pour les jeunes de la Médina, sans exclusive, à partir de ce mois d’août, basé sur la formation, l’encadrement, l’incubation, le financement, la culture et la sociologie.
( à suivre)