“On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps”
Abraham Lincoln
L’un de nos illustres constitutionnalistes, en l’occurrence, l’éminent Professeur Agrégé en Droit Public – Options Droits Constitutionnel et International, Babacar GUÈYE, sorti d’un mutisme qui ne dit pas du tout son nom, a déclaré publiquement le week-end dernier, au cours de la mythique émission dominicale d’une radio de la place, animée par l’excellent journaliste de renom Mamoudou Ibra KANE et devant le véritable “GRAND JURY” qu’est le peuple, qu’une “supposée nouvelle donne” dans la toute dernière version de notre sacrée Constitution de 2016 permettrait au Président actuel de briguer un troisième mandat, s’il le désirait. “Ça Alors !” Nous nous sommes unanimement dits. Chose assez intrigante pour un peuple qui vient tout fraîchement de renouveler toute sa confiance à son Président. Ainsi, avant d’entrer dans le vif du sujet, nous essayons modestement de vous décrire l’atmosphère dans laquelle s’est déroulée cette fameuse déclaration qui commence vraiment à faire mouche et flipper à la fois. En effet, à partir de 30 mn 22 de cours d’émission, après un “appel” allusif voire calculé dès la 28 mn 55 où il demandait avec insistance à revenir sur le mandat en cours, à la question, sous forme de relance du journaliste comme suit : Que voulez vous dire à propos de la réduction du mandat en cours du Président de la République qui ne s’est finalement pas appliquée au mandat en cours ?, le Professeur répondit, in extenso : “Non, ce que je veux dire c’est que je pense que quelque chose a été oubliée lorsqu’on rédigeait la constitution, on a dû oublier de prévoir des dispositions transitoires. ..il fallait ajouter des dispositions transitoires pour prévoir que le mandat en cours fait partie du décompte des deux mandats que le president peut avoir…l’actuel Président normalement peut avoir. ..l’actuel président, peut avoir deux mandats mais ce mandat en cours..celui qu’il exerce depuis 2012…si nous nous appliquons la Constitution à la lettre, on peut considérer qu’il ne fait pas partie du décompte….” – “c’est un fait” lui indiqua le journaliste et il poursuivit, avec des jeux de mots pour marquer la prudence “ce qui fait que le Président Macky Sall en 2024 peut briguer …peut envisager de briguer un troisième mandat comme l’avait fait le Président Wade”. Du coup, le journaliste, l’air stupéfait lui rétorqua “Ah bon”, et notre cher Professeur persista et signa que “parce qu’il n’y pas de dispositions transitoires dans la Constitution qui prévoient justement que ce mandat en cours fait partie du décompte”; et puis, le premier, toujours, avec son sens élevé de la réplique, lui balança : “ben il est possible de le rattraper ou le coup est déjà parti” et à notre professeur de se dédouaner maintenant du silence “complice” gardé depuis lors en disant : “bein il est possible de le rattraper…Malheureusement j’ai eu l’occasion de le dire d’ailleurs à l’occasion d’une table ronde organisée en ville au Café de Rome ..on m’a rétorqué que….c’est deux constitutions différentes mais je n’ai pas eu le temps de répondre… Ce n’est pas une question de constitutions différentes, il s’agit d’une succession de lois… Par contre, il n’est pas trop tard pour rectifier la donne puisqu’une révision constitutionnelle peut être opérée…”. Anxiété ou Diversion ? Donnons notre langue aux chats !
En tout état de cause, l’attitude est du moins très étonnante pour qui connaît les conséquences d’une telle déclaration face à un peuple déjà abusé et traumatisé, surtout, lorsque celle-ci provient d’un spécialiste en la matière et en même temps d’un ancien rédacteur de cette dite Constitution. Ensuite, se rendant après coup, certainement compte de l’énormité des dégâts causés, il décide, dès le lendemain de se ressaisir en confiant à un autre journal quotidien de la place qu’il a juste voulu donner “un avis technique, car en regardant la Constitution, je n’ai pas vu de dispositions transitoires disant que le mandat de sept ans est le premier des deux que Macky Sall doit faire», avant de renchérir par le fait que “la révision constitutionnelle de mars 2016 a été rédigée de telle sorte qu’on peut raisonnablement penser qu’il est possible que le Président Macky Sall brigue un 3ème mandat» et qu’”il y a dans cette affaire un problème de succession de lois. La première est relative à l’article 27 issue de la Constitution de 2001, et cette révision constitutionnelle de mars 2016 qui ne mentionne plus de mandat de 7 ans. Donc comme dans une succession de lois, la dernière abroge la première. J’en tire la conséquence que le président Macky Sall peut faire deux mandats de 5 ans puisque l’article 27 n’évoque pas de mandat de 7 ans.” Décidément ! Notre Cher Professeur, tient vraiment à son argumentaire. C’est pourquoi, une question nous taraude l’esprit, depuis cette déclaration, de savoir pourquoi attendre jusqu’à maintenant pour nous le souligner ? Question pour un Champion ! Certains nous diront qu’il l’avait pourtant, un peu effleuré au cours de ses différentes sorties médiatiques d’alors notamment lors de leur table ronde précitée ; ou bien qu’il voulait donner une seconde chance au dialogue comme il avait eu à le dire antérieurement, à pareilles circonstances, au micro d’un autre journaliste de renom à savoir Alassane Samba DIOP, lors de son interview du 23 Août 2011, en tant qu’un des principaux rédacteurs de la défunte constitution de 2001, sur l’impossibilité d’une éventuelle troisième candidature de l’ex Président Abdoulaye WADE ; tenez-vous bien, à 6 mois de l’élection présidentielle de 2012. Donc l’un dans l’autre, et à notre humble avis, il se devait de savoir raison garder avant d’en arriver là car ce n’est ni opportun encore moins le moment d’aigrir des esprits déjà irrités les uns contre les autres. Et cela ne serait-ce que pour les deux raisons suivantes :
- Premièrement : pour étayer ses propos, il ne nous parle que d’une seule et unique application à la lettre de la Constitution pour faire valider une éventuelle troisième candidature du Président actuel (s’il le désirait, bien sûr) en parfaite omission de l’esprit de la loi y afférent ; alors qu’il est clairement reconnu que le droit constitutionnel juridictionnalisé oblige le Conseil Constitutionnel de ne s’en tenir pas au seul respect de la lettre de la Constitution mais de faire également prévaloir l’esprit (par le biais d’une décision de non conformité ou d’une réserve d’interprétation). Autrement dit, il devrait impérativement se guider sur l’esprit de la loi pour l’interpréter (et comprendre son application) si le sens littéral ne fournit pas la solution. D’autant plus qu’en l’espèce, il ressort limpidement des dispositions de l’exposé des motifs de la Loi constitutionnelle n°2016-10 du 05 avril 2016 portant révision de la Constitution, de même que dans l’esprit et la conscience de bon nombre d’entre nous pour ne pas dire de tous, une volonté manifeste du Président de la République de préserver la stabilité de la maturité démocratique de notre pays par une pratique républicaine irréprochable dans le respect et l’application stricte des deux mandats consécutifs y compris celui en cours – même si le sens littéral ne l’a pas clairement fait savoir ;
- Deuxièmement : Conscient des dramatiques conséquences que pourrait occasionner le non respect de la Constitution (idée d’un 3ème mandat), le Président de la République, a plusieurs fois réitéré (vous nous direz que d’autres ont eu à le faire avant lui en vain ) aussi bien devant l’opinion nationale qu’internationale à travers différents entretiens comme celui accordé le 28 novembre 2014 à une chaîne de TV et une radio françaises les mêmes propos du genre : “Avant mon élection, mon prédécesseur a voulu un troisième mandat qui a entrainé le Sénégal dans une période de tensions vives où il y a eu des morts. C’est pourquoi j’ai dit qu’il faut prendre le contrepied et montrer qu’il est possible de remercier les électeurs et d’indiquer qu’on pouvait renoncer à des années de pouvoir légitimement et légalement acquises”. Compte non tenu de leur confirmation dans toujours l’exposé des motifs de la Loi susvisée par ces mots : “C’est donc cela notre histoire politique et institutionnelle qui, au-delà de nous avoir préservés de tourments dramatiques, a fait le lit de la réputation du Sénégal comme une démocratie majeure en Afrique et dans le monde”.
Et maintenant, en guise de solution, notre cher Professeur nous invite, après juste 1 an et demi d’un référendum coûteux et diversement apprécié, à passer à une nouvelle révision constitutionnelle pour rectifier le tir, dit-il. Franchement, de qui se moque-t-on ?
D’aucuns nous diront, Oh ce n’est pas grave ! puisqu’aucune loi n’est parfaite et que comme l’avait dit l’écrivain Jean Jacques ROUSSEAU «un peuple est toujours maître de changer ses lois, même les meilleures», mais force également est de reconnaître que pour le bon devenir de notre démocratie, nous nous devons de nous prémunir des révisions opportunistes. Ce qui est, malheureusement le cas dans presque tous les pays africains où le soulèvement populaire couve, notamment dans ceux de la sous région dits francophones. La plupart de ces révisions sont entamées sans l’assentiment des populations, pourtant, censées être plus que légitimes. Ainsi, de 2015 à nos jours, nous ne cessons d’assister, à des manifestations hostiles aux révisions constitutionnelles dans la majorité de ces pays, occasionnant, de fait, d’innombrables pertes de vies humaines. Que ce soit au Bénin, au Burkina Faso, mais aussi au Tchad, au Burundi, au Congo-Brazzaville, en République démocratique du Congo (RDC), au Togo ou encore plus près de chez nous au Mali, pour ne citer que ceux là, toutes les populations de ces dits pays, ont subi ou sont entrain de subir le même syndrome des “révisions déconsolidantes” c’est à dire ne bénéficiant d’aucun consensus populaire comme l’indique le Professeur Agrégé des Facultés de Droit, Ismaïla Madior Fall, dans sa revue parue en 2014 et intitulée “La révision de la Constitution au Sénégal”. Et, bizarrement, les chefs d’Etats de ces pays ont, à l’approche de leurs élections respectives, le même modus operandi pour s’agripper au pouvoir. Boulimie ou amour du pouvoir, quand tu nous tiens ! leur stratagème consiste, à travers ces révisions, à mettre en oeuvre une «gestion patrimoniale de leur trône» afin d’accomplir leurs desseins ; quitte à porter atteinte à la démocratie. Alors que nul n’est censé ignorer qu’une Constitution, pour être respectée, doit s’inscrire dans le registre de la sacralité.
Trouvez – vous normal qu’à près de 57 ans d’existence, notre “jeûne” (par rapport aux autres) Constitution sénégalaise soit révisée 39 fois suivant 34 initiatives présidentielles et dont 14 qualifiées de déconsolidantes. Pendant ce temps, des pays de référence comme les États Unis et la France s’émeuvent dès qu’on parle respectivement d’amendements ou de révisions chez eux. À titre illustratif, aux USA, la Constitution communément appelée “charte suprême”, a une réputation dite “quasi-biblique de la Charte suprême nourrit le mythe de sa perfection. Le texte sacré est intemporel et immuable mais adaptable à chaque temps.” La preuve, depuis son acceptation le 17 septembre 1787 soit près de 3 siècles par une convention réunie à Philadelphie suivie de son application le 4 mars 1789, elle n’a été modifiée que par (27) vingt-sept amendements dont les dix premiers constituant la déclaration des droits (Bill of rights), “affirment les droits des citoyens, sous la forme d’une limitation explicite des pouvoirs de l’État, notamment en matière judiciaire” ; et sur proposition, pas du Président, mais du premier Congrès et cela, depuis le 25 septembre 1789 avant d’être ratifiés le 15 décembre 1791.
Quant à celle de la France du 4 octobre 1958, aînée de deux ans de la nôtre, elle se contente de ses 24 révisions dont une dizaine concerne d’une part la construction européenne et l’intégration à l’ordre juridique international de l’autre. Sans compter, le fait que chez eux, proposition ou soumission ne vaudrait guère signifier approbation puisque 17 tentatives de révision ont échoué en cours de procédure, depuis lors (1 non approuvée et 16 interrompues). Waw ça alors ! Quelle Différence !
À la place de cette phrase qui dit “Dis moi, quel dirigeant tu as, je te dirai, quel pays tu auras”, je vous dirais plutôt “dis moi quelle constitution tu as, je te dirai quel genre de dirigeant tu as”. À moins qu’un «Code de conduite en matière de révision constitutionnelle» lui soit prescrit comme prône le Centre pour la Gouvernance Démocratique du Burkina Faso à travers une consolidation d’un constitutionnalisme adoptée par les Etats sous examen et au-delà par tous les Etats de la sous région” ou bien devons-nous juste écrire nos Constitutions avec une “encre véridique” comme préconisé par le Professeur Constitutionnaliste émérite Francis DELPÉRÉE, dans sa revue «Le renouveau du droit constitutionnel.» ?
Au vu de ces différents éléments, peut-on honnêtement, envisager, une seule fois la possibilité d’un quelconque 3ème mandat ? A moins que le régime actuel soit prompt à affronter l’ire populaire surtout que le mûr peuple sénégalais, seul maître de son Destin et habitué des grands rendez-vous saura toujours être là pour dire “NON”, quand il le faudra.
L’exercice du pouvoir politique étant certes source de convoitises, de dérapages et de conflits, mais nous croyons fermement que l’actuel Président est plutôt soucieux d’écrire son nom sur les livres d’or de L’histoire qu’à torpiller ce qu’il a déjà commencé à construire.
Alors, nous avons finalement envie de dire Arrêtez ! Ici, il n’y a rien à modifier, tout est clair pour nous…RESPECT À NOTRE CONSTITUTION !
Par Elhadji Daniel SO,
Président d’En Mouvement ! Défar Sénégal
Ensemble, Construisons le Sénégal !
Eldasso@yahoo.fr
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