La Zone de Libre Echange Continentale (Zlec) : Populisme ou réalisme? Par Cheikh Ibrahima Daffé !

Le projet d’établissement de la zone de libre-échange continentale (ZLEC) couvrant, entre autres, le commerce des marchandises et des services, la concurrence et l’investissement et les droits de propriété intellectuelle, intervient dans un contexte particulier.

En effet, depuis quelques mois le monde est entré dans une zone de turbulence « guerre économique » ou plus précisément « guerre commerciale » entre les grandes puissances.

Cette situation découle de la ferme volonté des Etats Unis de rééquilibrer leurs relations commerciales avec leurs principaux partenaires commerciaux comme la chine, le Canada, l’U.E, le Mexique. Eu égard à leur déficit commercial important vis-à-vis des partenaires et la menace pressante de certains secteurs comme l’agriculture, les États-Unis décident alors de casser la dynamique en imposant des taxes punitives sur les importations de produits comme l’acier et l’aluminium. Cette posture menace l’effondrement de l’accord de libre-échange nord-américain (ALENA) également a provoqué la réplique de certains pays comme la Chine.

La ZLEC, fait l’objet de beaucoup de spéculations au sein des hommes politiques, des économistes et des chercheurs quant à sa portée et sa faisabilité. Cet accord signé le 21 mars 2018 à Kigali (Rwanda) lors du sommet extraordinaire de l’Union africaine(U.A) découle de l’engagement des dirigeants africains en janvier 2012 de dynamiser le commerce par la mise sur pied de la zone de libre-échange à l’échelle continentale. Ce projet ayant enregistré l’adhésion de 44 pays sur les 54 qui composent le continent interpelle plus d’un, si on part du postulat beaucoup de pays africains dont le Sénégal sont engagés dans une zone de libre-échange avec l’Europe dans le cadre des APE en ouvrant largement leurs marchés et pourquoi pas donc au sein du continent ?

Cette situation offre plusieurs niveaux d’analyse.

Sur le plan sociopolitique : cet accord peut être considéré comme une des réponses à l’aspiration du peuple relatif à l’intégration et l’unité du continent comme l’ont exhorté les pères fondateurs du panafricanisme au rang desquels figurent Cheikh Anta DIOP, Thomas Sankara, Kwame NKrumah.

Sur le plan économique : des classiques 18ième siècle (Adam Smith, David Ricardo etc) jusqu’aux théoriciens modernes comme P. Krugman le rôle du commerce international sur la croissance et le développement des nations a connu un plaidoyer favorable. Le commerce international est devenu un élément important dans le monde économique contemporain. Le vibrant plaidoyer des effets bénéfiques du libre-échange sur la croissance et le développement remonte aux débuts des années 80 et à l’émergence du consensus de Washington (Williamson, 1990), les politiques commerciales avaient été placées au centre des politiques de développement.

Sur le plan empirique : il existe plusieurs zones de libre-échange de par le monde. A travers la spécialisation, la diversification et la complémentarité des économies les ZLE ont permis de booster le commerce et stimuler la croissance dans ces zones et favoriser l’émergence et l’insertion graduelle de ces pays dans commerce mondial. Selon l’OMC, en Europe, le commerce à l’intérieur de la région a représenté en moyenne plus de 70% de ses exportations totales de marchandises au cours des 20 dernières années. • En Asie, plus de la moitié des exportations totales de la région (52%) ont été effectuées à l’intérieur de la région. La part du commerce intra-régional en Amérique du Nord est un peu plus faible, représentant 50% des exportations totales de la région.

En revanche, l’Afrique reste un acteur marginal du commerce mondial avec moins de 3%. Les statistiques sur commerce intra-africain restent encore décevantes au regard du potentiel et des efforts à fournir. Pour les pays d’Afrique, le commerce à l’intérieur du continent est en augmentation depuis 1995, mais n’atteint pas la barre des 20%.

La mise sur pied de la ZLEC se veut un levier pour intensification des flux commerciaux par la suppression des barrières tarifaires et non tarifaires et impulser le développement du continent. Toutefois, elle soulève des interrogations et peut être appréhendée sous le rapport avantages/inconvénients :

Avantages

L’ouverture peut générer des gains considérables liés à :
Elargissement du marché pour les entreprises ;
Libre circulation des personnes et des facteurs de production
Elargissement du portefeuille de fournisseurs ;
Innovation et productivité ;
Plus d’accessibilité des biens et services pour les consommateurs suite à l’abondance et concurrence ;
Améliorer le niveau de vie des populations par la création d’emploi, réduction de la pauvreté ;
Etc.
Inconvénients

Pertes de recette douairière pour les États dont le budget est trop dépendant de ces recettes ;
Concurrence exacerbée : nos économies sont caractérisées par des monopoles et des oligopoles ;
Des secteurs d’activité regroupant les PME/PMI seront fragilisés ;
Insécurité et « terrorisme »
Etc.
Dans ce projet louable, l’UA estime que les effets globaux positifs sont supérieurs aux effets négatifs sur le long terme avec une augmentation du volume du commerce de bien net services de plus de 50%. Même les fins optimistes vont devoir revoir leur copie puisque qu’on note qu’à ce stade le projet ne fait l’unanimité, avec 80% d’adhésion( pays signataires).

La réticence de certains pays comme le Nigeria, géant économique de l’Afrique de l’Ouest, attire l’attention sur le rôle déterminant des acteurs économiques pour la viabilité et l’effectivité du projet. Le grand écueil auquel peut se heurter cet accord, c’est, la non ou faible implication du secteur privé, des syndicats, de la société civile etc. Par ailleurs, il sera nécessaire de :

Renforcer la connectivité des pays ;
Finaliser le projet de création de la monnaie commune. En effet, Rose(2000) affirmait que l’Union monétaire pourrait booster de plus trois fois le commerce entre les pays membres que celui où chacun conserve sa propre monnaie ;
Eliminer les tracasseries douanières au niveau des frontières.
Etc.
ZLEC est supposée accroître les perspectives de croissance et de développement sur le continent alors que l’Afrique présente des profils économiques différents dont les PMA constituent la majorité. Toutefois, nous espérons que ce projet sera au grand bénéfice de l’Afrique et des africains en termes de prospérité et de bien-être.

Cheikh Ibrahima DAFFE

Doctorant en Economie (FASEG // UCAD)

Enseigne le Commerce International

Email : daffecheikh@gmail.com

7 Commentaires

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here