Allemagne : qui sont les Reichsbürger, ces nostalgiques du Reich ?

Le procès de Wolfgang P., accusé du meurtre d’un policier en Bavière, met en lumière l’existence d’un groupe d’Allemands qui se font appeler “citoyens du Reich” et refusent de reconnaître la loi allemande.

Le jour vient à peine de se lever, le 19 octobre 2016, lorsque les policiers arrivent devant l’immeuble de Wolfgang P., à Georgensgmünd, en Bavière. Ils ont dû remarquer l’étrange ligne jaune peinte autour du bâtiment et la devise sur la boîte aux lettres : “Mes paroles font loi ici”. Ils venaient appréhender cet Allemand qui refusait de leur remettre les armes qu’il détenait illégalement. Ils ont été cueillis par une rafale de coups de feu, tirée à travers la porte de l’appartement, qui a touché plusieurs policiers, dont un mortellement.

L’immeuble où vivait Wolfgang P. © Daniel Karmann, DPA, AFP

Dix mois plus tard, le procès pour meurtre de Wolfgang P. a débuté, mardi 29 août, près de Nuremberg. L’accusé est jugé en fonction de lois qu’il ne reconnaît pas, et comparaît devant un tribunal qui, à ses yeux, n’a pas de légitimité. Wolfgang P., comme plus de 10 000 autres Allemands, se définit comme un Reichsbürger (citoyen de l’empire), qui ne reconnaît pas les institutions et la Constitution allemande.

Rendre son passeport

Au-delà de Wolfgang P., ce procès est aussi celui d’une mouvance longtemps considérée comme folklorique et marginale, mais qui a gagné en virulence ces derniers temps. La ligne jaune autour du bâtiment où vivait le tireur délimitait la frontière du “district Wolfgang”. Il ne tolérait aucune “invasion” à l’intérieur de ses “terres” et avait un arsenal d’une trentaine d’armes à feu pour chasser ceux qu’il considérait comme des envahisseurs.

“Il a son propre État avec ses propres lois et la République fédérale d’Allemagne n’a pas, à ses yeux, le droit de lui faire payer d’impôts”, a expliqué Peter Bauer, un voisin et ami d’enfance, à l’agence DPA. Le Reichsbürger avait déjà eu maille à partir avec les autorités au sujet d’une taxe de raccordement aux égouts qu’il refusait de payer. Il avait alors menacé un huissier de porter plainte devant la Cour pénale internationale de La Haye.

Plusieurs mois avant de faire feu sur les policiers, cet ancien conseiller en finance avait fait des démarches pour rendre son passeport et avait demandé à être rayé du registre local des résidents… sans pour autant quitter son appartement. Il avait même payé pour faire paraître, dans un quotidien local, une “déclaration d’existence” dans laquelle il affirmait être “une personne de chair et de sang, doté d’un esprit et d’une conscience de soi conformément à la bulle papale de 1540”. Sur Facebook, il s’en prenait régulièrement aux policiers qualifiés de “soldats à la solde d’esclavagistes” et aux magistrats traités de “chasseurs de primes”.

Wolfgang P. arrive au Tribunal, mardi 29 août. © Daniel Karmann, DPA, AFP

Des sentiments partagés par ses “amis” Facebook. Tous ne vont pas jusqu’à invoquer la parole papale du XVIe siècle, mais ils sont d’accord sur un point : selon eux, l’histoire allemande a été bafouée en 1945 lorsque le dernier Reich s’est effondré. Les Reichsbürger mettent la Constitution de la République de Weimar (1919) sur un piédestal et rejettent tous les gouvernements qui se sont succédé en Allemagne depuis 1945. Pour les uns, il faudrait revenir aux frontières allemandes d’avant la Seconde Guerre mondiale, tandis que d’autres ne jurent que par le royaume de Prusse. Certains, enfin, comme Wolfgang P., préfèrent se concentrer sur leurs propres micro-États. Il y a, politiquement, une proximité avec l’extrêmedroite, et la nostalgie du IIIe Reich est davantage présente chez les Reichsbürger que dans le reste de la population allemande. Mais tous ne se revendiquent pas de l’héritage nazi.

Plus de 12 000 Reichsbürger

Depuis le fait divers tragique en Bavière, les autorités ont accruleur surveillance sur cette mouvance. Un intérêt qui a amené le ministère allemand de l’Intérieur à réviser à la hausse le nombre de Reichsbürger : il y en aurait 12 600 alors qu’en décembre 2016, les autorités n’en comptaient que 4 500. La plupart d’entre eux pratiquent la fraude fiscale et la désobéissance civique. Ils refusent de présenter leurs papiers d’identité lors des contrôles, ou alors en produisent de faux qui portent le sceau du Reich.

Leur surveillance est d’autant plus difficile qu’il n’y a pas d’organisation centrale ou de responsable désigné des Reichsburger. Chacun peut se désigner “prince”, “président” ou “empereur” à sa guise. Il y en a eu plusieurs, à commencer par Wolfgang Ebel, le “chancelier du Reich” décédé en 2014, qui avait fondé le gouvernement provisionnel de l’Empire en 1985. Un autre, Peter Fitzek, s’était autoproclamé “roi d’Allemagne” et a régné sur un hôpital désaffecté plusieurs années avant d’être arrêté en 2017 pour avoir escroqué 1,3 million d’euros grâce à une fausse banque qu’il avait fondée.

Ce ne sont pas ces personnages excentriques qui inquiètent les autorités mais bien plus ceux qui, comme Wolfgang P., sont prêts à recourir à la violence. Un ex-Mister Allemagne, Adrian Ursache, avait défendu arme à la main son “royaume d’Ur” contre près de 200 policiers qui étaient venus l’en déloger en août 2016. Son procès pour tentative de meurtre doit débuter en octobre 2017.

3 Commentaires

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