Habitant du quartier chrétien de Jaranwala dans l’Est du Pakistan, le pasteur Javed Bhatti a été tiré de son sommeil par le haut-parleur de la mosquée qui l’exhortait à manifester contre un blasphème présumé commis par sa communauté.
Instinctivement, il a rassemblé sa famille et s’est précipité dans la rue, où d’autres chrétiens s’étaient enfuis pour échapper aux représailles.
“Certains couraient pieds nus et d’autres s’enfuyaient en pousse-pousse. C’était le chaos partout”, témoigne jeudi auprès de l’AFP Javed Bhatti, au lendemain des violences.
Mercredi des centaines de personnes de confession musulmane ont déferlé dans les ruelles de ce quartier chrétien situé dans la banlieue de Faisalabad au Pendjab.
Plusieurs églises y ont été incendiées et un cimetière chrétien vandalisé. Une douzaine de maisons et de magasins ont été brûlés et saccagés, selon une équipe de l’AFP sur place.
L’assaut a été déclenché lorsqu’un groupe de fanatiques religieux a accusé une famille d’avoir blasphémé contre le texte sacré de l’islam. “Des photos et des vidéos de pages du Coran brûlées ont été partagées entre habitants, ce qui a provoqué un tollé”, avait expliqué mercredi Rana Imran Jamil, porte-parole des services de secours de la ville.
Les enfants criaient “courez, courez, les religieux arrivent. Ils vont nous attaquer”, explique la sœur de Javed, Naila Bhatti.
Le blasphème est un enjeu d’importance au Pakistan, où des groupes d’autodéfense ont tué des personnes accusées d’avoir insulté l’islam ou le prophète Mahomet.
Les chrétiens constituent environ 2% de la population du pays et se trouvent tout en bas de l’échelle sociale. A Jaranwala vivent quelque 5.000 d’entre eux.
Alors que la panique gagnait le quartier, des musulmans se sont également précipités dans les rues pour avertir et abriter leurs voisins chrétiens.
“La foule est venue de l’extérieur (du quartier), mais les musulmans locaux nous ont aidés et ont essayé de nous sauver”, relate le pasteur Bhatti.
Tariq Rasool, un autre habitant, raconte que des musulmans ont également rapidement épinglé des versets du Coran sur les portes des maisons chrétiennes dans l’espoir de les mettre à l’abri des violences qu’ils savaient imminente.
“Je leur ai ouvert la porte”
“Deux femmes couraient. Je leur ai ouvert la porte de ma maison et les ai fait entrer. Elles étaient très inquiètes, mais je les ai rassurées”, a déclaré à l’AFP ce musulman âgé de 58 ans.
La foule a gagné en taille et la colère s’est amplifiée tout au long de la journée, avec jusqu’à plusieurs centaines de personnes au plus fort des émeutes.
Imran Qadri, de confession musulmane, a également ouvert sa maison à deux femmes chrétiennes. “Elles sont toujours à l’intérieur de notre maison. Ma famille les a aidées, leur a fourni de la nourriture et elles ont passé la nuit avec nous”, détaille-t-il auprès de l’AFP.
Parveen Bibi, elle, a dû s’échapper avec les huit membres de sa famille après avoir été réveillée par les cris de ses jeunes enfants hurlant “les musulmans viennent brûler nos maisons”.
“Nous avons pris des rickshaws pour nous rendre chez nos voisins musulmans. La porte était ouverte et nous sommes tous entrés”, poursuit en larmes Parveen qui était accompagnée notamment de ses deux belles-filles et de ses enfants.
“+Vous êtes en sécurité ici, ne vous inquiétez pas+”, lui ont répondu ses hôtes, relate-t-elle debout au milieu des décombres de sa maison.
Plusieurs chrétiens qui sont retournés chez eux jeudi pour évaluer les dégâts ont déclaré à l’AFP que plus de 300 personnes avaient fui dans les premières heures, mais que des centaines d’autres avaient été évacuées dans la nuit ainsi que jeudi pour se réfugier chez des proches dans d’autres villes.
La police a arrêté plus de cent personnes liées aux violences et recherche deux frères chrétiens accusés d’avoir profané le Coran.
Bien que les violences aient cessé et que des centaines de policiers aient été déployés pour surveiller le quartier, beaucoup ont trop peur pour rentrer chez eux.
Quand le pasteur Javed Bhatti est retourné dans son quartier, la douleur a été encore plus vive.
“Ma propre maison a été détruite. C’était le revenu de toute une vie. Maintenant, comment allons-nous nous installer à nouveau dans ces maisons?”, s’interroge-t-il angoissé.