Jeudi 03 mars, le Ministère des Affaires étrangères s’est fendu d’un communiqué pour rappeler à l’ordre l’ambassadeur Pyvovarov qui était sur le point d’enrôler illégalement des jeunes sénégalais pour aller combattre en Ukraine. Voici comment le pot aux roses a été découvert et comment l’information a été remontée jusqu’à la hiérarchie, selon Bès Bi Le Jour.
Le Sénégal l’a échappé belle. En effet, n’eût été la vigilance de certaines personnes bien renseignées et très au fait de ce qui ce passe dans le pays, l’appel lancé par l’ambassade d’Ukraine à Dakar, pour enrôler des sénégalais afin de combattre la Russie, aller passer.
Grâce à l’alerte donnée par une source anonyme, l’État-major de la gendarmerie saisit par qui de droit afin que des mesures soient prises contre ce qui s’avère être un recrutement illégal de mercenaires sur le sol sénégalais. Un cumul de soupçons recoupées avec délicatesse ont permis de tracer des agissements qui, à l’arrivée, traduisaient une coupable entreprise d’embrigadement de jeunes (et de moins jeunes, il faut le dire) prêts à l’aventure ukrainienne.
L’initiative avait tout d’une filière de migration aussi dangereuse que risquée. L’ambassade d’Ukraine à Dakar est ouverte depuis 2017. Kiev a-t-elle prévenu de ce qu’elle envisageait de faire ? A-t-elle reçu l’aval de sa hiérarchie ? Pouvait-elle opérer, lancer le recrutement en ligne et recueillir déjà des volontaires sans que son pays, récepteur de ces singuliers renforts, ne prenne des dispositions d’accueil ? Une telle outrecuidance, inamicale de surcroît, suscite déjà des inquiétudes. Car, la réussite de la manœuvre allait exposer le Sénégal à une série de dangers. Partis naïvement en Ukraine pour diverses raisons, leur retour au bercail représentait un potentiel facteur d’instabilité politique et sociale. Ils y auraient appris le maniement d’armes sophistiquées. Aguerris au combat face aux colonnes russes, ils se sentiraient invincibles pour devenir des professionnels de la mort « taillables et corvéables », selon l’épaisseur des portefeuilles. Pire, une surenchère n’était pas à exclure, ce qui aurait pour conséquence d’entretenir un marché de vétérans.
En outre, qu’adviendrait-il au cas où en rentrant, aucune perspective ne s’offrait à eux ? Quid de nos services de renseignement qui seraient passés à côté d’une si gravissime démarche qui défie toutes les lois de la diplomatie de la part de la représentation de Kiev à Dakar ?
Les candidats au départ pour l’Ukraine disposaient-ils de passeports en cours de validité ? Dès lors qu’ils s’engageaient pour un séjour assez long, l’ambassade a dû certainement leur trouver des facilités afin de surmonter de réels obstacles. La défense de l’Ukraine vaut tous les sacrifices, assurément. Et tous les accommodements aussi à ces légionnaires d’un autre genre. Depuis 1991, date d’indépendance de l’Ukraine après l’implosion de l’ex URSS, le pays vit dans une permanente instabilité. La partie séparatiste de Donbass, bassin houiller renommé, est fortement déconseillée aux touristes qui désirent se rendre en Ukraine.
Cette information n’as pas été portée à l’attention des Africains. Eux-mêmes n’ont pas apprécié à leur juste valeur les risques qu’ils encouraient. Que se serait-il passé, si la Russie, à son tour, recrutaient des « mercenaires africains » pour aller à l’assaut de l’Ukraine. Au propre comme au figuré, le mercenaire se rend au plus offrant. Une situation ubuesque pourrait se présenter : de part et d’autre chez les protagonistes il aurait pu y avoir des Africains pour s’entretuer pour des causes qui ne sont pas les leurs. Chairs à canon ?
La Russie et l’Ukraine, qui partagent une très longue frontière, ne s’aiment ni ne s’estiment. Une haine médiévale les oppose, accentuée aujourd’hui par des rivalités et des ambitions qui s’entrechoquent. Kiev veut entrer dans l’Union européenne. Moscou n’en veut pas et fait tout pour torpiller le projet ukrainien qui cache, dit-on une volonté d’intégrer l’OTAN pour bénéficier de son parapluie militaire et se mettre à l’abri de l’encombrant voisin russe. L’offensive de Poutine dans cette invasion à pousser les Ukrainiens à résister en prenant les armes. L’appel au soutien lancé sur le plan international serait à l’origine de cet emballement vite interrompu par les pouvoirs publics au Sénégal. Dans d’autres pays africains, semble-t-il, les chancelleries ukrainiennes sont sur le pied de guerre pour davantage obtenir des volontaires.
A nouveau, les Africains apprennent à leurs dépens le très peu d’estime qu’ils suscitent. Selon des sources bien introduites, nos forces de sécurité, y compris les Renseignements souffriraient d’un cloisonnement pour ne pas dire de rétention d’informations entre ses différentes entités. L’inégal niveau d’accès à l’information crée des déséquilibres et un manque notoire de solidarité et de cohésion fragilisent les politiques de renseignements à l’heure où la perversion des mœurs atteint des proportions inouïes.
La rivalité non assumée, tabou, entre la police et la gendarmerie qui se matérialise pourtant dans la gestion de certains dossiers peut en être une parfaite illustration. Et l’évasion de la Bande de Ino au début des années 2000 l’a suffisamment étayée.
Cette réalité pourrait être assimilée dans un tout autre cadre, à la course au scoop dans l’environnement concurrentiel de la presse.
Seulement, si les démarches sont similaires, les enjeux sont de loin bien différents. Par ailleurs, la minimisation et/ou la négligence de certains éléments d’information apparemment “insignifiants”, par peur d’être ridicule, sont à verser dans “la concurrence” entre les frères d’armes au risque de payer un lourd tribut devant le fait accompli.