En Côte d’Ivoire, Simone Gbagbo ne veut pas se laisser mettre sur la touche politique

Cela n’a jamais été dans ses habitudes, mais Simone Gbagbo est aujourd’hui aussi discrète que possible. Cette figure emblématique de la vie politique ivoirienne sait que chacune de ses sorties est sujette à commentaires. Ses mots du 10 décembre 2020 dans un quartier de Yopougon, lors de l’enterrement d’un cadre historique du Front populaire ivoirien (FPI), ne sont ainsi pas passés inaperçus : « Le président [Laurent Gbagbo] est en route et je suis en train de repeindre les murs de ma maison pour le recevoir. » La formule a galvanisé la foule de militants et fait les choux gras de la presse nationale, mais il n’est pas sûr qu’elle ait réjoui le principal intéressé. Exilé à Bruxelles après avoir été innocenté en première instance par la Cour pénale internationale (CPI), Laurent Gbagbo a refait sa vie avec sa nouvelle femme.

Sentimentalement épuisée, la relation du couple Gbagbo s’est également dégradée sur le plan politique. Au sein de ce parti d’opposition morcelé par les divisions, cette membre fondatrice qui a connu les affres de la lutte clandestine et des emprisonnements est contestée. « Elle tient un double discours, peste un proche de son époux. En interne, elle dit que Laurent Gbagbo est un militant comme les autres, qu’il ne faut pas créer de culte de la personnalité, qu’elle mérite de prendre la suite. En public, elle continue d’utiliser le nom de Gbagbo pour se légitimer. » Le ton est donné.

Si Simone Gbagbo demeure l’épouse officielle de l’ancien chef de l’Etat, elle tente aujourd’hui de retrouver de son influence, comme lors des années de lutte (1980 et 1990) et de pouvoir (années 2000). Deux époques pendant lesquelles elle imposait sans ménagement ses vues au sein du parti puis de la présidence. Une réputation de « dure » consacrée par un surnom : la « Dame de fer ». Les Gbagbo forment alors un couple politique où les rôles semblent parfaitement répartis. A Laurent la faconde bonhomme, à Simone le discours intransigeant.

Discours de haine

« Sur le plan politique, elle lui apportait un capital très important ; elle était très appréciée chez les femmes, les jeunes et dans certains milieux évangéliques et était capable de mobiliser les foules comme peu d’autres au sein du parti », rappelle un responsable de l’opposition. Idéologue, charismatique et fervente chrétienne évangélique, elle n’hésitait pas à ferrailler contre ceux qu’elle qualifiait d’« ennemis de la Côte d’Ivoire », quitte parfois à verser dans les discours de haine. Emprisonnée en 2011 après la crise post-électorale, condamnée en 2015 à vingt ans de prison pour « atteinte à la sûreté de l’Etat », elle est amnistiée en août 2018. Ce jour-là, elle suscite le courroux des caciques du parti après avoir remercié le président Alassane Ouattara qu’elle surnommait « le chef bandit » quelques années plus tôt. Premier accroc d’une longue série de mésententes internes. Très vite après cette libération, Laurent Gbagbo veut clarifier sa situation conjugale. L’ex-président est en couple avec Nadiana (« Nady ») Bamba, qu’il a épousé « traditionnellement » et dont il a eu un fils. C’est elle qui lui a rendu visite au parloir tout au long de ses années de détention à La Haye et qui partage depuis sa vie en Belgique.

« Laurent a tourné la page Simone, il veut passer à autre chose, confie un intime de l’ancien chef d’Etat. Quand Simone est sortie de prison, Laurent a mandaté un avocat et lui a proposé un divorce à l’amiable. Depuis, la relation n’a cessé de se compliquer. » Si la proposition, vécue comme une « répudiation », vexe Simone Gbagbo, de bonne source, elle finit par proposer un deal : le divorce contre la présidence du parti.

Elle estime avoir suffisamment payé de sa personne et prouvé son dévouement au parti pour que son tour soit venu d’en prendre la tête. Elle ne voit d’ailleurs pas d’autres prétendants. Pour elle, « les autres membres du parti seraient incapables de prendre une décision sans téléphoner à Laurent Gbagbo », confie un responsable politique de l’opposition. Mais, pour Laurent Gbagbo, c’est non. « Il n’a jamais dit qu’il ne voulait pas qu’elle soit présidente, il a juste voulu qu’on respecte les procédures internes du parti », nuance l’un de ses cadres. Par ce légalisme, Laurent Gbagbo freine ainsi les velléités présidentielles de sa femme.

Qu’importe, semble alors se dire l’épouse délaissée. Alors que le sort de M. Gbagbo se joue à la CPI et qu’une candidature de l’ex-président se complique, la rumeur autour de Simone enfle auprès des militants. Les GOR, les « Gbagbo ou rien », qui ne peuvent imaginer la vie politique sans leur mentor se divisent alors sur la légitimité de sa candidature. « Notre vrai chef, c’est Laurent », clament les uns. « Gbagbo, c’est aussi Simone », rétorquent les autres. Il faut dire qu’en dépit de toutes les accusations de violences qui pèsent sur elle, l’ex-première dame demeure populaire. Selon un sondage mené secrètement par le pouvoir avant la présidentielle d’octobre 2020, elle était même créditée de 19 % d’intentions de vote. Autant que son époux et frère de lutte. Après sa libération, entourée de militants exaltés et devant une nuée de caméras, Simone Gbagbo sûre de son fait déclarait : « La refondation a commencé. Aujourd’hui, toutes les choses sont nouvelles. Militants, militantes, levez-vous ! On est partis, on est partis et on ne s’arrêtera pas. »

Petites méchancetés

Mais c’était compter sans les tensions internes et le morcellement du parti survenu après la crise post-électorale de 2010. En 2015, contre l’avis des ténors du parti encore embastillés, Pascal Affi N’Guessan, ancien premier ministre de Laurent Gbagbo et ennemi intime de Simone, se porte candidat à la présidentielle sous les couleurs du FPI. Le parti s’est alors scindé en deux entre une branche officielle, qui joue le jeu des élections quitte à passer pour un faire-valoir des autorités, et une branche radicale.

Chaque tendance est également traversée par des querelles personnelles, donnant lieu à d’improbables situations. En septembre 2019, lorsque Simone Gbagbo part en campagne dans plusieurs localités du pays et s’annonce à Mama, village d’origine de Laurent Gbagbo, elle se voit empêchée de pénétrer dans la maison familiale. « Laurent s’opposait à sa venue et ça a été vécu comme une humiliation pour elle », relate un intime. Une de plus pour cette fille de gendarme que les Ivoiriens ont longtemps cru invincible.

Aujourd’hui, diminuée physiquement par son diabète et les années de prison, l’ex-première dame, âgée de 71 ans, n’a plus le mordant d’autrefois. Ses prises de position lors de la dernière présidentielle n’ont jamais été suivies par le reste du parti. Déjà divisé en deux, le FPI aurait désormais en son sein un troisième courant, incarné par Simone Gbagbo. « Elle a aidé certains jeunes à gravir les échelons et elle est suivie par plusieurs parlementaires. Une frange du parti la soutient », note un membre du FPI. « Si, à son retour, Laurent choisit le divorce, les deux Gbagbo y perdront, c’est certain », estime le politologue Sylvain N’Guessan. L’une des forces de Laurent, c’est Simone. Notamment parce que, d’un point de vue ethnique, elle incarne dans leur parti la branche Akan, une importante communauté originaire de l’est de la Côte d’Ivoire, ce qui est loin d’être négligeable.

Même si Simone Gbagbo, deuxième vice-présidente du FPI, n’a perdu ni sa popularité, ni sa légitimité interne, son étoile politique pâlit à mesure que se dessine le retour au pays de Laurent Gbagbo, qu’elle a contribué à faire roi. L’absence de la « Dame de fer » ivoirienne de la liste des candidats aux législatives qui doivent se tenir le 6 mars « est un indice », signerait sa « mort politique », croit savoir un responsable de l’opposition. L’ancienne députée d’Abobo (commune d’Abidjan) n’a pas voulu y retourner. Etre parlementaire est « impensable quand on a été première dame », dit son entourage. Et certains de ses compagnons de route la trouvent désormais « encombrante ». Une fin de cycle se juge aussi à ces petites méchancetés.

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