Que se passe-t-il dans la tête de Vladimir Poutine? Pour tenter de répondre à cette question, nos confrères d’HLN ont interviewé le chercheur Niels Drost et le biographe Philip Short. Le premier a analysé des centaines de discours du président russe et le second a rencontré tous les membres de son entourage proche. Pour eux, une chose est certaine: ce mardi sera un jour important pour le président russe.
Le biographe Philip Short a presque vécu dans la tête de Vladimir Poutine pendant huit ans. Il a discuté avec tout son entourage. Selon lui, le président russe a décidé d’appliquer la “théorie du fou” que pratiquait l’ancien président américain Richard Nixon pendant la guerre du Vietnam en se comportant de manière complètement irrationnelle et imprévisible.
“Poutine applique aussi cette théorie, mais de manière beaucoup plus sophistiquée. Qu’il soit, ou devienne, fou est une spéculation courante, mais totalement déconnectée de la réalité. En fait, Poutine agit toujours en fonction de ce qui lui semble le plus important à l’instant T. C’est le cas également avec l’Ukraine. L’économie lui échappe? Pas grave, il résoudra ça plus tard. Il est prêt à sacrifier des personnes, des ressources et même toute son industrie pour atteindre son objectif.”
Discours important
“Demain sera déjà un jour très important. Poutine prononcera son discours annuel devant le parlement russe”, explique le chercheur Niels Drost à nos confrères. “Il devra trouver un équilibre entre un message visant à entretenir le courage des Russes, expliquer pourquoi la guerre est plus longue et plus dure que prévue et continuer à critiquer l’Occident.
“Se mettre en colère est un signe de faiblesse”
“Poutine fait de son mieux pour garder la guerre à l’intérieur de l’Ukraine. Pour moi, c’est la meilleure preuve qu’il est toujours aussi rationnel: il sait pertinemment que la guerre est impossible à contrôler lorsque davantage de pays sont directement impliqués. C’est aussi précisément la raison pour laquelle il a menacé d’utiliser des armes nucléaires au début de la guerre. Il a rappelé aux Américains et au monde le danger d’une guerre qui s’étend. En d’autres termes, la menace était utile, pas l’usage effectif. Il sait très bien que s’il franchit cette étape, la Russie disparaîtra également. Il a des émotions, mais il les cache 99% du temps. Il m’a dit un jour qu’il essayait toujours de réprimer la colère. ‘C’est un signe de faiblesse’. Mais en même temps, son pouvoir a évolué. Il est devenu téméraire et impitoyable, en partie grâce aux succès des guerres qu’il a déjà menées, en Tchétchénie et en Syrie, et grâce à la facilité avec laquelle il a annexé la Crimée en 2014″, avance Niels Drost.
Modification de son discours
L’année écoulée a obligé Vladimir Poutine à modifier sa stratégie de communication. “Le meilleur exemple est son discours du Nouvel An: normalement tout le monde sort et fait la fête, mais cette fois, les boîtes de nuit de Moscou ont éteint la musique. C’est dire l’importance de ce discours”, explique M. Drost. “Normalement, il s’agit d’un événement chaleureux et joyeux où le président souhaite une bonne année aux Russes depuis la Place Rouge. Cette fois-ci, il se tenait droit, avec des soldats en uniforme derrière lui, leur disant que la guerre était une lutte existentielle contre l’Occident. Une façon d’encourager sa population, en affirmant que leur survie était en jeu.”
L’ennemi des États-Unis
Et même si Poutine se retrouve avec des milliers de morts sur les épaules et un conflit enlisé, il n’est pas question de négocier la paix. “Il s’est enfermé dans son raisonnement selon lequel cette guerre est une guerre contre l’Occident tout entier, les États-Unis en tête. Aujourd’hui, il veut prouver deux choses: qu’il sera l’homme qui restaurera le pouvoir de la vieille Russie et qu’il peut prendre ce à quoi il a droit – ou pense avoir droit – sans que l’ennemi juré, les États-Unis, puisse l’arrêter”, explique Philip Short.
“Il ne peut pas se permettre de ne pas sortir victorieux de la guerre”, ajoute-t-il. “Mais qu’est-ce qu’une victoire pour Poutine? Le minimum dont il se contentera sera de conserver le Donbass et le pont vers la Crimée – le statu quo après un an de guerre, donc.”
Une guerre d’usure
“Poutine pourrait abandonner la guerre”, estime Drost. “Il contrôle les médias d’État et pourra tourner l’histoire en sa faveur. Mais en même temps, je pense qu’il se dirigera tout de même vers une guerre d’usure, car il a un intérêt personnel à conquérir l’Ukraine. Il veut qu’on se souvienne de lui comme du grand dirigeant qui a réunifié le Saint Empire russe. Voilà pourquoi c’est si crucial, tant qu’il n’aura pas ça, il ne s’arrêtera pas.”
Le fait que Poutine continue le conflit, malgré un relatif échec, s’explique aussi par un trait de caractère fondamental qu’il tient de sa jeunesse lorsqu’il pratiquait le judo. “On n’abandonne pas un combat tant qu’il n’y a pas de vainqueur, c’est profondément ancré en lui. Je serais surpris qu’il fasse taire les armes cette année. Le temps plaide pour lui. Il y a des élections présidentielles aux États-Unis en 2024 et si Biden continue à jeter des milliards de dollars pour fournir des armes aux Ukrainiens, certains de ses électeurs vont l’abandonner. Et si les États-Unis en font moins, les dirigeants européens seront également moins enclins à offrir beaucoup plus d’armes à Zelensky. Poutine est si habile politiquement qu’il sait parfaitement comment exploiter ces jeux politiques”, conclut Philip Short.