Le Centre initiatique des komians Adjoua Messouma d’Aniansué, fondé en 1992, joue sa survie. Ne bénéficiant d’aucune aide publique et n’exigeant pas de participation financière des élèves, il espère trouver un mécène pour pouvoir poursuivre ses activités, voire s’étendre.
Au son des tam-tams et des grelots, une dizaine de jeunes filles tout de blanc vêtues, le corps enduit de kaolin, dansent dans une cour d’Aniansué, en Côte d’Ivoire : elles sont appelées à devenir komians, des féticheuses.
Dans la culture Akan, qui concerne 25 millions de personnes essentiellement dans l’est de la Côte d’Ivoire, mais aussi au Ghana voisin dans le célèbre royaume Ashanti, les komians sont consultées pour leurs connaissances des plantes médicinales. Elles le sont aussi pour leur “pouvoir” à conjurer le mauvais sort et à prédire l’avenir. Sans leur intervention, aucune intronisation de roi, comme de chef, ne peut avoir lieu.
“La komian a un rôle sanctificateur. Elle participe à la cohésion et à la stabilité de nos régions”, explique à l’AFP Pascal Abinan Kouakou, ministre ivoirien de la Modernisation de l’emploi et lui-même petit-fils de l’ancienne et célèbre komian, Akua Mandjouadja. Des milliers de femmes en Côte d’Ivoire et au Ghana exercent comme féticheuses. Un métier qui n’a rien d’héréditaire ou d’improvisé : il faut être formée.
Il n’existe qu’une seule école de formation : le Centre initiatique des komians Adjoua Messouma d’Aniansué (Cikama), fondé en 1992 et reconnu par arrêté ministériel en 2014. Il admet une vingtaine d’élèves chaque année et les forme pendant trois à sept ans à la connaissance des plantes médicinales, au règlement des litiges familiaux, mais aussi aux danses traditionnelles notamment. “On nous dit qu’on va nous aider. Mais jusqu’à présent, depuis 1992, personne ne m’est venu en aide”, déplore Adjoua Messouma, la fondatrice de l’école, auprès de l’AFP. “C’est pour cela qu’actuellement j’ai envie d’arrêter, parce que parfois je reçois plus de 22 élèves, tous à ma charge”, ajoute-t-elle.
Maris jaloux
Bâtie sur 1600 mètres carrés à côté d’une plantation de bois de teck, l’école des féticheuses dispose de deux sanctuaires où trônent de nombreuses statuettes. Au centre de sa grande cour, entourée de maisons, se dresse un grand manguier. Mais les murs ocre n’ont pas été repeints depuis bien longtemps et la plupart des installations se sont dégradées au fil du temps.
Outre les élèves en formation, qui vivent généralement sur place, l’école accueille en consultation de nombreux malades ou patients, souffrant de cancers, d’infertilité, de troubles mentaux, d’épilepsie… et désireux d’être soignés par des komians. Des “maris jaloux” viennent aussi y consulter “pour la stabilité dans leur couple”, ou des femmes pour un “mari volage”, explique Mme Messouma.
À la sortie d’une consultation, une commerçante, Yvonne Ezan, explique : “On m’a diagnostiqué une appendicite que je veux soigner à l’aide de plantes.” “Aidez-nous! On dort à la belle étoile. On n’a pas de dortoirs alors qu’on reçoit des dizaines de malades chaque mois…”, dit Adjoua Messouma, drapée dans son pagne multicolore.
Une fois formées, les féticheuses diplômées peuvent s’installer dans leur village et y exercer, tout en conservant parfois une autre activité, comme vendeuse au marché. “Sans les komians, sans nos feuilles médicinales, certains ne seraient rien”, affirme la fondatrice de l’école, qui figure en bonne place dans le livre de l’écrivain et photographe espagnol Jordi Esteva Viaje al pais de las almas (Voyage aux pays des âmes), consacré au monde animiste en Afrique.
Détracteurs
La place des komians dans la société moderne est toutefois remise en cause par des détracteurs, en particulier les églises évangéliques, qui dénoncent avec toujours plus de force, des pratiques ancestrales obscures. “Aujourd’hui, on nous voit comme le diable incarné”, déplore Léonie Kouamé, 22 ans, qui a mis en veilleuse ses études universitaires pour “étudier et communier avec les génies” et devenir komian.
Une vingtaine de féticheuses de la sous-préfecture d’Amélékia, entre la grande ville Abengourou et Aniansué, ville plus modeste, ont tiré la sonnette d’alarme. Elles ont perdu l’un de leurs grands soutiens, l’écrivain ivoirien Jean-Marie Adiaffi, Grand prix d’Afrique noire 1981, décédé en 1999. “Depuis sa mort, nous n’avons plus d’avocats”, constate la komian Eba Kouakou, la soixantaine, le corps orné de dizaines de gris-gris.
Jean-Marie Adiaffi, attaché à la modernisation des religions africaines, avait lancé le mot “bossonisme” pour qualifier la religion des komians. Les “bossons” (génies) sont les divinités, des rivières, des montagnes ou des forêts sacrées et incarnées par des statuettes. La population les adore dans la plupart des villages africains.
Pour le ministre Pascal Abinan Kouakou, devenu récemment le président du conseil régional de l’Indénié (Est), où les komians sont légion, “si on ne prend garde, les komians, cette culture inhérente à notre société, risque de disparaître”. Il déplore l’“absence de politique nationale pour promouvoir ce patrimoine culturel” et a promis d’inscrire l’école d’Aniansué dans “un circuit touristique qui permettrait à l’établissement de bénéficier de retombées (économiques) et de se développer”.
Au milieu de disciples, la komian Eba Kouakou affirme, déterminée: “Nous n’avons pas peur (…) et nous ne sommes pas prêtes à abandonner”. Et de conclure : les komians ne vont “jamais disparaître.”