Un spectaculaire et très médiatique coup de filet dans la mouvance d’extrême droite allemande a mis en lumière l’existence d’un complot visant à organiser un coup d’État dans le pays. L’accusation, grave, a été portée le 7 décembre par le parquet fédéral du pays. Mercredi au matin, vingt-cinq membres et soutiens présumés d’un groupe terroriste ont été arrêtés dans sept des seize länder, ainsi qu’en Autriche et en Italie. Une opération à laquelle s’ajoutent 150 perquisitions menées dans onze régions et impliquant 52 prévenus: il s’agit de la plus importante offensive judiciaire menée contre l’extrême droite depuis des décennies, réalisée avec le concours de 3000 policiers.
Le groupe incriminé «s’était fixé pour objectif d’éliminer l’ordre étatique existant en Allemagne, l’ordre fondamental libéral et démocratique, en recourant à la violence et à des moyens militaires», a confirmé dans l’après-midi le procureur général, Peter Franck. Huit des meneurs ont été placés en garde en vue, dont ses deux figures principales: le prince Henri XIII de Reuss, issu d’une lignée de souverains de Thuringe, et Rüdiger von P., un ex-lieutenant-colonel de la Bundeswehr.
Familiers des théories conspirationnistes
Le premier, propriétaire d’un château à Bad Lobenstein, dans le centre du pays, était la vitrine politique du mouvement et pressenti pour devenir le nouveau chef d’État allemand. Le second, dont l’identité n’est pas encore dévoilée, était le représentant de sa branche militaire, chargé de recruter des hommes en vue du putsch. Les deux hommes, ainsi que leur entourage, étaient familiers des théories conspirationnistes, elles-mêmes nourries par le mouvement américain d’extrême droite QAnon, a précisé le parquet général: selon eux, l’Allemagne serait dirigée par les membres d’une clique appartenant à un État profond malfaisant (deep state).
Ainsi, ces «Reich Burger» (citoyens du Reich qui refusent de payer l’impôt et d’obéir à la police) œuvraient depuis novembre 2021 à renverser cet État qu’ils jugent illégitime. Leur première mission était de prendre le Bundestag de force, à l’image des émeutiers américains du Capitole, le 6 janvier 2021. Les putschistes pensaient être aidés dans leur tâche par une société secrète baptisée «l’Alliance», constituée par les États vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale, en particulier la Russie, détaille le parquet général. La compagne du prince Henri XIII, une certaine Vitalia B., de citoyenneté russe, aurait été chargée d’approcher les relais du Kremlin. L’ambassade de Russie à Berlin a démenti tout «lien avec une quelconque organisation terroriste ou illégale en Allemagne».
L’Allemagne n’était pas sérieusement menacée d’être renversée
En vue d’exercer le pouvoir, les prévenus regroupés dans un «conseil» avaient déjà constitué un mini-gouvernement, notamment constitué des cabinets de la justice, de la santé et des affaires extérieures, ajoute le parquet. Pour qualifier l’opération, la Frankfuter Allgemeine Zeitung hésitait mercredi entre la «farce» et «l’effroi». «L’Allemagne n’était pas sérieusement menacée d’être renversée», rassurait le quotidien conservateur. L’affaire a néanmoins fait frémir la coalition au pouvoir, menée par le SPD, les Verts et le FDP (libéraux). La ministre de l’Intérieur, Nancy Faeser, a comparé «la menace terroriste» d’extrême droite à un «abîme».
Ses relais dans la mouvance antivaccins, ainsi que dans l’armée et la police, sont connus de longue date. Mercredi, une perquisition a notamment visé une caserne abritant les commandos spéciaux (KSK), une formation d’élite de la Bundeswehr. Fourmilière réputée de néonazis, cette dernière avait déjà été réformée il y a deux ans.
Mais parmi les nombreuses ramifications – américaine, russe, militaire – attachées à ce «conseil», l’une a particulièrement attiré l’attention du gouvernement, celle qui mène au parti d’extrême droite AfD. Soupçonnée de dérives extrémistes, cette formation a réalisé, contre toute attente, un très bon score lors de récentes élections dans l’ouest de l’Allemagne. Le prince septuagénaire Henri XIII est issu de Thuringe (ex-RDA), la région abritant la frange la plus radicale de l’AfD et son leader Bjorn Hocke. Parmi les personnes interpellées, mercredi, figure une ancienne députée fédérale du parti, Birgit Malsack-Winkemann, violemment antimigrants.
Le retour récent à la vie civile de cette dernière – en tant que juge à Berlin – avait créé une polémique au sein de la magistrature et chez certains dirigeants écologistes. Ces derniers soupçonnent l’extrême droite de vouloir coloniser la magistrature. En 2018, l’AfD ainsi que le mouvement antimigrants Pegida avaient encouragé leurs membres à se présenter aux élections des jurés populaires, et Birgit Malsack-Winkemann était pressenti pour devenir ministre de la Justice du gouvernement putschiste.
«Le fait qu’une ancienne députée soit apparemment impliquée dans cette enquête m’inquiète beaucoup», a commenté le chef de la fraction SPD au Bundestag, Rolf Mützenich, accusant l’AfD d’avoir déjà collaboré à une agression contre l’institution. «Cette affaire montre dans quel bourbier se trouve l’AfD», a renchéri son homologue du FDP, Christian Dürr. Désormais, la menace pèse d’une mise sous surveillance du parti par les services de renseignement allemands. La présidence de l’AfD a réagi sobrement aux accusations. «Nous condamnons les tentatives (déjouées mercredi, NDLR) et nous y opposons fermement. Il s’agit maintenant d’attendre les résultats de l’enquête», a-t-elle déclaré dans un communiqué. Pour sa part, l’ex-députée «putschiste» n’a fait aucun commentaire. Elle a été exclue du tribunal de Berlin.