L’État prisonnier du marché international (Mamadou SY Albert)

 

Le développement du Sénégal constitue probablement la question fondamentale à laquelle l’État post-colonial ne parvient pas à trouver une réponse à la hauteur des besoins et des attentes légitimes du privé national et de la société sénégalaise. Le pouvoir républicain ne se doute guère de travers de son modèle de développement de l’émergence à l’horizon 2035. Pourtant, l’émergence tant espérée pourrait aggraver le sous-développement du Sénégal. La présence massive du privé international dans les secteurs moteurs de la croissance constitue un couteau à double tranchant. Il peut construire les routes, les ports et participer à l’exploitation des ressources naturelles et à la transformation des produits de l’agriculture. Il peut aussi à terme détruire des pans entiers du tissu social, culturel et économique du Sénégal. Il pourrait ainsi détruire les bases du développement du Sénégal.
L’émergence économique est le nouveau cap décliné par la seconde alternance. Sept ans après l’arrivée du Président de la République Macky Sall au pouvoir, l’émergence économique semble se traduire très fortement par la présence massive des opérateurs privés internationaux dans l’économie sénégalaise. Turcs, Marocains, Chinois, Américains se disputent ainsi une place dans les grands travaux routiers, de mise en place des aéroports, des ports internationaux et régionaux. Ils se disputent également l’exploitation des ressources énergétiques, minières, naturelles et la transformation des produits de l’agriculture. Le marché sénégalais a le vent en poupe dans les places financières internationales.
Pendant ce temps de la ruée des nouveaux acteurs économiques internationaux dans le continent africain, les opérateurs privés traditionnels occidentaux, singulièrement les partenaires français, se repositionnent confortablement dans les secteurs porteurs de la croissance et/ou consolident des postures stratégiques acquises depuis des décennies par des principaux pays partenaires techniques, financiers et politiques. L’émergence économique dessine les lignes d’un futur économique du Sénégal dans lequel les opérateurs privés internationaux occuperont certainement, au cours des prochaines années, une place centrale dans la conduite de l’économie sénégalaise et des affaires publiques. Le Sénégal sera à la fois partenaire stratégique de la France, mais également ouvert au marché international et à la finance du développement.
Ce choix politique du modèle de l’émergence économique est dicté par le libre-échange commercial et le libéralisme économique international. Le Sénégal y est de plein pied. Aucun pays africain n’échappera à l’influence de ce modèle relativement partagé par les bailleurs de fonds et les institutions de la finance internationale. Il faudra accepter l’autre facette de ce modèle de l’émergence économique, notamment l’aggravation du sous-développement économique et des conflits sociaux, culturels et politiques.
Contrairement à ce que le pouvoir républicain pense naïvement, le développement d’un pays africain, dans le contexte actuel de la mondialisation et de la victoire du libre-échange intégral, ne peut se mesurer ni à l’accès du privé international au marché national, ni à la réalisation de grandes infrastructures routières, portuaires, aéroportuaires ou des boulevards de la communication. Dans le premier cas de figure, il est admis que l’ajustement structurel a plombé le développement de l’Afrique. Les crises sociales et économiques ont rythmé le continent durant les décennies des années 1980. Dans le deuxième cas, les grosses œuvres en matière de facilitation de circulation des personnes et des biens ont servi plus à piller des continents que développer l’économie.
L’ouverture du marché national à l’extérieur et les investissements en matière de transport international peuvent être à l’origine de l’aggravation du sous-développement et de la misère des populations. Tout est fonction, en réalité, de l’existence d’un secteur économique public et privé national dans le processus de mise en place d’infrastructures ou d’exploitation des ressources nationales. L’autoroute à péage a-t-elle réellement amélioré les conditions de vie des populations des départements de Dakar, de Pikine, Guédiawaye et de Rufisque ? Le taux de chômage des jeunes a-t-il baissé en raison de l’impact des grands travaux amorcés à Dakar et à l’intérieur du Sénégal depuis la première alternance politique à nos jours ? Ces questions au cœur du développement n’intéressent guère en priorité, ni l’État, ni le privé international. Ce qui intéresse ce privé international à la recherche de marchés, ce n’est point de mettre fin au sous développement. Il a pour priorité absolue l’exécution de marchés internationaux susceptibles de faciliter les échanges internationaux en direction du Sénégal et du reste de l’Afrique de l’Ouest. Ces grands travaux feront naturellement l’affaire du grand capital international. L’ampleur du sous développement et de la paupérisation risque alors de croître au Sénégal. Les entreprises sénégalaises seront les premières victimes de cette présence du privé international. Beaucoup de ces opérateurs privés nationaux mettront des travailleurs au chômage. D’autres fermeront boutique ou se convertiront dans d’autres domaines. L’État sera prisonnier du marché international.

 

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