LIBERTÉ DE LA PRESSE – Ce 17 février, le journaliste néerlandais Gerbert van der Aa s’est fait expulsé du Maroc. Arrivé une semaine plus tôt pour travailler sur la migration, il n’a pas eu le temps de terminer son reportage.
“Je suis arrivé à Nador lundi dernier avec un vol depuis les Pays-Bas. Le premier jour, un policier en civil m’a arrêté pour me demander ce que je faisais ici. Il m’a dit que c’était illégal de travailler en tant que journaliste là-bas mais m’a quand même laissé”, raconte au HuffPost Maroc Gerbert van der Aa. “Je suis venu à Nador plusieurs fois en tant que journaliste et je n’ai jamais eu de soucis. Il y a 10 ans, j’ai même demandé au ministère de la Communication à Rabat si je pouvais travailler pour la presse écrite. Ils m’ont dit qu’il n’y avait pas de problème. Il faut seulement une autorisation quand on filme”, ajoute le journaliste qui écrit dans les colonnes de l’hebdomadaire Elsevier.
Quelques jours plus tard, Gerbert van der Aa se rend à Berkane. De nouveau, il est interpellé sur sa présence dans la ville marocaine. Mais cette fois, on lui demande de quitter Berkane. Pour le journaliste, la décision fait suite à ses rencontres avec une association des droits de l’Homme et une association qui s’occupe de migrants retournés au Maroc.
“J’ai été arrêté quand j’étais en visite avec une femme d’affaire hollando-marocaine, une amie. Je n’étais pas là pour une interview mais il m’ont dit de quitter Berkane. Je suis donc retourné à Nador”.
Retour dans l’enclave espagnole de Melilla
De retour à Nador, cette fois, on ne le laisse pas tranquille. Les autorités marocaines le prie de retourner à Melilla, l’enclave espagnole au nord du Maroc. “J’ai demandé si j’étais refoulé. Ils m’ont dit que je pourrais revenir à Nador lundi, aujourd’hui, pour prendre mon vol pour les Pays-Bas. Je devais seulement arrêter de faire mon travail de journaliste”, explique Gerbert van der Aa. Ce 17 janvier, il se rend à la frontière qui sépare l’enclave espagnole du royaume, les choses ne se passent pas comme on le lui a dit et le journaliste se fait refouler. “J’ai appelé l’ambassade, ils ne peuvent rien faire. Je vais rentrer aux Pays-Bas”, ajoute-t-il.
Le néerlandais écrira son article, même s’il n’a pas tous les éléments qu’il aurait souhaité. Mais il reste étonné de ce qui s’est passé, lui qui travaille au Maroc depuis 20 ans et qui a écrit de nombreux articles sur l’économie marocaine et la démocratie. “C’était des choses positives. J’ai également écrit sur la drogue, le Hirak, le Sahara mais jamais de façon négative pour le Maroc. Je suis toujours resté objectif, nuancé.”
“Le pays a changé, ajoute le journaliste. Maintenant, c’est comme une dictature. Avant j’avais beaucoup de confiance et de respect pour le Maroc. C’était, pour moi, un pays qui se développait, il y avait un peu de démocratie”. En 2017, pendant les manifestations du Hirak, Gerbert van der Aa était présent. “Je pensais que le Hirak était le sujet le plus dangereux mais maintenant, je pense que la migration l’est encore plus. J’ai seulement discuté avec quelques migrants. Je n’ai pas filmé. Je n’ai rien fait qui aurait pu vraiment déranger”.
Pour Omar Naji, représentant de la section Nador de l’Association marocaine des droits humains, cette arrestation est la conséquence “d’un dossier tabou”. “Ils ne veulent pas que l’on découvre les graves violations des droits de l’Homme qui ont lieu à Nador et les statistiques erronées et exagérées sur le nombre de migrants qui vivent à Nador”, explique-t-il à notre rédaction. Pendant son court séjour, le journaliste a rencontré l’association deux fois pour discuter des arrestations des migrants dans la ville marocaine. “Nous nous sommes rencontrés jeudi et vendredi. Il nous a ensuite prévenu de son expulsion vers Melilla”.
D’après le rapport dressé chaque année par l’ONG Reporters sans frontières sur la liberté de la presse, le Maroc figurait à la 135ème place du classement en 2018. L’ONG revenait notamment sur la période des manifestations du Hirak, qui a été témoin de nombreuses arrestations et expulsions. Les journalistes étrangers n’avaient pas été épargnés. Le journaliste algérien Djamel Alilat (El Watan), le journaliste britannique Saeed Kamali Dehghan (The Guardian), ou encore José Luis Navazo et Fernando Sanz (Correo diplomatico) avaient été renvoyés chez eux après avoir couvert le Rif. En septembre dernier, Sébastien Sabiron, grand reporter à France Inter, a été expulsé de Tanger pour avoir travailler, lui aussi, sur la migration.