Selon le secrétaire général du Syndicat unique des travailleurs de la santé et de l’action sociale (Sutsas), l’Agence de la couverture maladie universelle doit procéder à plusieurs rectificatifs de son mode de fonctionnement. Le ciblage des bénéficiaires et la mauvaise répartition géographique du personnel technique en sont. Mais le gros handicap demeure l’accumulation de factures au détriment des établissements de santé. 128 millions Cfa pour la seule région de Tambacounda. Une situation qui, dans la durée, pourrait plomber le programme lui-même dont le budget s’établirait pourtant à 25 milliards Cfa…
Entretien réalisé par Abdoulaye Mbow (actunet.sn)
Quel est l’état de la Couverture maladie universelle ?
Difficile de répondre à cette question car si l’on considère la Couverture maladie universelle (Cmu), d’après les responsables, il s’agit pour chaque Sénégalais, où qu’il se trouve sur toute l’étendue du territoire national, de disposer de soins préventifs, curatifs ou réadaptatifs, quel que soit son revenu. De ce point de vue, il est clair que c’est un grand projet, surtout que près de 80% des Sénégalais ne disposaient pas de couverture formelle au début du programme. Seuls les fonctionnaires étaient concernés du fait de l’imputation budgétaire, les travailleurs du privé avec les Institutions de prévoyance maladies (Ipm) sans oublier les retraités avec le Fonds national de retraite (Fnr).
Qu’est-ce qui était prévu au départ ?
Au démarrage, le Gouvernement avait mis l’accent sur trois dispositifs de gratuité, à savoir les enfants de 0 à 5 ans, les groupes vulnérables et le troisième âge. Évidemment, il y a d’autres gratuités comme la dialyse, les traitements antirétroviraux (Arv) rendus plus accessibles ainsi que les césariennes. Il faut aussi rappeler que ce sont les travailleurs de l’informel qui en bénéficient le plus. Mais ils ne sont pas tous des nécessiteux et certains ont de gros moyens. Ce n’est qu’après que nous avons les paysans et d’autres groupes. Pour nous, l’essentiel, c’est la qualité des soins de service à travers les paquets proposés. S’il faut avoir un dispositif de gratuité, il faut également une disponibilité des équipements car s’ils ne sont pas proportionnellement répartis, des malades quitteront une région pour une autre pour des examens que l’on aurait pu faire sur place. Donc, il y a ce problème en plus de celui du personnel technique qui est beaucoup concentré à Dakar et Thiès qui ne constituent pas le Sénégal.
En quoi la Cmu constitue-t-elle un goulot d’étranglement pour les hôpitaux et autres structures de santé ?
La Cmu ne devait pas constituer un goulot d’étranglement pour les structures de santé. Elle est un moyen qui permet à celles-ci de pouvoir bénéficier de flux financiers. Mais paradoxalement et de manière chronique, il y a des faits qui plombent les structures de santé. Au moment où nous parlons, au niveau de la région de Tambacounda, il nous a été signalé une ardoise de 128 millions CFA concernant une partie des créances de 2015 en plus des factures impayées de 2016 sans parler d’une partie de 2017. Au niveau de la Cmu, on dira que soit les factures ne sont pas arrivées, soit il y a un problème dans le circuit. Cela ne peut pas être une explication tangible parce que tout simplement la Cmu déclare urbi et orbi qu’elle n’a pas de problèmes de moyens financiers, surtout que de 17 milliards de francs Cfa, on en est à 25 milliard CFA. Donc, nous pensons qu’une facture, même si elle arrive en retard ou si elle est douteuse, ne doit pas bloquer tout le paiement d’une région.
C’est-à-dire ?
On devrait considérer cette facture comme une facture contentieuse, la payer et ensuite l’examiner. Ensuite, nous ne pouvons pas comprendre que la Cmu dise qu’il y a une région qui est restée des mois sans lui adresser une facture. Ce qui est la règle dans le fonctionnement de chaque poste de santé, c’est la récupération du ticket modérateur plus le bénéfice tiré du médicament. Si donc vous demandez à la structure de santé de presque tout faire gratuitement, de donner du médicament gratuitement en lui promettant de lui rembourser ses dépenses, si les établissements doivent tourner pendant un ou deux mois sans recevoir le plus petit sous en termes de remboursement, il y a forcément problèmes. C’est pourquoi certains postes de santé sont presque dans l’agonie. Ce qui dénote de problèmes structurels au niveau même de la Cmu.
Pour l’année 2016, mise à part la région de Tambacounda, y a-t-il d’autres localités qui sont touchées par ce problème de non-paiement de factures ?
On a aussi signalé le même problème au niveau de Pikine. A Rufisque, Thiès, Sédhiou, Kaolack, Fatick, Louga, Matam, Kolda…, la plupart des hôpitaux connaissent les mêmes difficultés liées aux factures impayées de la Cmu. Le plus souvent, sur une assez longue durée, quand les gens crient leur ras-le-bol, on leur fait une avance sur un ou deux mois… Mais il est évident que cela ne règle pas la situation. La question du remboursement est une problématique majeure sur laquelle la Cmu doit se pencher davantage parce que nous pensons qu’elle ne peut pas avoir d’excuses. D’ailleurs, au niveau de notre syndicat, nous avions préconisé le prépaiement et c’est cela la pertinence de ces couvertures.
Que faudrait-il faire à ce niveau ?
Il faut au moins tout faire pour payer à la fin de chaque mois. Si cela n’est pas fait, il y a forcément des difficultés surtout en ce qui concerne le renouvellement du stock de médicaments, un volet qui pose assez souvent des difficultés dans les relations entre le personnel de santé et les populations. L’autre question concerne les Sénégalais qui, à défaut d’avoir une assurance maladie, pourraient ou devraient au moins être affiliés à une mutuelle. En tout cas, nous pensons que l’Etat a les moyens de faire en sorte que tous les Sénégalais soient dans une assurance à défaut de disposer d’une couverture formelle. Dans la même dynamique, certains font état de doublons entre la Cmu et des directions rattachées au ministère de la Santé ? Ce n’est pas un problème de doublons. Dans la relation, il y a ce qu’on appelle l’offre qui est la disponibilité des soins au niveau du territoire national. A côté, il y a le financement de la demande sociale. C’est ce qui justifie les dispositifs de la gratuité. Par contre, c’est au niveau du ciblage que l’on rencontre des difficultés. Si une personne âgée, avec un statut de fonctionnaire, a la paresse de chercher une imputation budgétaire et qu’elle présente directement sa pièce d’identité pour bénéficier du paquet, cela reste un problème. En effet, sa couverture peut lui servir alors que l’autre couverture doit servir aux autres personnes âgées qui n’ont aucune couverture. De ce point de vue, l’on a des problèmes par rapport au ciblage. C’est la raison pour laquelle, nous avons demandé la carte ‘’Sésame’’ pour une discrimination positive. C’est également valable pour les enfants de 0 à 5 ans car ce n’est pas rationnel de dire que tous les enfants de cet âge ne doivent pas payer. Et pour cause, parmi eux, il y a certains dont les parents ont une imputation budgétaire qui peut les couvrir ou un autre moyen sans parler de parents nantis qui peuvent payer pour leurs enfants. La question du ciblage pour cette catégorie est d’une grande pertinence aux yeux du Sutsas.
En gros, que préconisez-vous pour une meilleure prise en charge des structures de santé ?
C’est une question assez complexe. Mais je dirai que la Cmu n’est pas la propriété de l’agence. Elle n’appartient même plus au Président de la République qui en a eu pourtant l’initiative. Donc, tout faire afin que tout le monde soit traité dans les meilleures conditions reste un objectif assez noble. Sous cet angle, la précipitation n’a pas de sens. Le plus important, c’est d’avoir des groupes disposant de soins de qualité. Il ne sert à rien d’établir des statistiques pour se glorifier d’avoir tant de personnes couvertes alors que qualitativement ou quantitativement, cette couverture fait défaut. Le ministère de la Santé est en train de travailler sur la stratégie nationale des financements de la santé. Cela rencontre notre préoccupation parce que depuis près de 2 mois, le Sutsas travaille sur ce programme pour que le secteur dispose de financements de qualité par la rationalisation de l’offre et de la maîtrise de la demande.
Abdoulaye Mbow (actunet.sn)
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