La privation automatique et indifférenciée du droit de vote : Une violation de la Constitution

En instituant l’incapacité électorale d’une durée en principe au moins égale à cinq ans, applicable de plein droit à toute personne condamnée pour une série de délits énumérés aux articles L.31 et L.32 du code électoral, sans que le juge qui décide de ces mesures ait à prononcer expressément ladite incapacité, la loi électorale méconnaît-elle le principe de nécessité des peines (Déclaration des droits de l’Hom

 

La privation automatique et indifférenciée du droit de vote : Une violation de la Constitution

En instituant l’incapacité électorale d’une durée en principe au moins égale à cinq ans, applicable de plein droit à toute personne condamnée pour une série de délits énumérés aux articles L.31 et L.32 du code électoral, sans que le juge qui décide de ces mesures ait à prononcer expressément ladite incapacité, la loi électorale méconnaît-elle le principe de nécessité des peines (Déclaration des droits de l’Homme et du citoyenne, art.8). Ces dispositions seraient-elles conformes à la Constitution ? L’interdiction des droits de vote et d’éligibilité étant une peine accessoire prévue pour les crimes et certains délits ne devrait-elle pas être prononcée pour être valable ? Le défaut de fixation d’une durée de la déchéance constitue-t-il implicitement un relèvement de peine ? Devrait-on encadrer les personnes en détention provisoire à exercer leur droit de vote et d’éligibilité ?

Telles étaient, entre autres, des interrogations formulées en mars 2015 dans ma contribution intitulée: “Éligibilité ou Inéligibilité, le K. WADE : vers l’imbroglio juridique ? les limites du code pénal et du code électoral”. Il faut également rappeler que j’avais bien voulu poser le débat non sans interpeler les techniciens du droit, juriste pénaliste et constitutionnaliste, l’analyste électoral, le parlementaire ainsi que toute la classe politique eu égard à la difficulté de la matière et l’enjeu de la question.

Il est vrai que ces dispositions incriminées subsistent dans notre loi électorale depuis l’adoption du code consensuel de 1992. Mais l’évolution du droit électoral étant essentiellement dépendante de la jurisprudence, nous n’exprimerons aucun regret de n’avoir pas abordé le sujet lors des travaux de la revue du code électoral d’avant 2016.

Aujourd’hui, je me permets de revenir sur ce débat qui est plus qu’actuel du fait de la récente condamnation du Député Barthélémy Diaz, mais également des déclarations de certains partisans de M. Karim Wade qui continuent de croire que leur candidat reste éligible sans jamais apporter le moindre argument juridique.

Dans les deux cas cités, il est avéré que le juge n’a pas prononcé la perte des droits civiques et civils. Pour le cas Karim Wade, bien que la peine prononcée soit supérieure à cinq (5) ans, il ne saurait être légal d’appliquer la peine complémentaire en vertu des dispositions de l’article 35 du code pénal[1] (Loi n° 2000-38 du 29 décembre 2000) lesquelles sont du reste conformes au principe de la nécessité des peines.

Contrairement au délit d’enrichissement illicite pour lequel la déchéance électorale n’est pas expressément prévue, celui qui est coupable de blessures et coups volontaires non qualifiés meurtre, et autres crimes et délits volontaires pourra en outre être privé des droits mentionnés en l’article 34 pendant cinq ans au moins et dix ans au plus (Code pénal, article 294).  S’agissant de M. Diaz, l’application de la peine complémentaire n’est pas obligatoire du moment que la durée de la condamnation est inférieure à cinq ans.

Il y’a lieu de relever que pour chacun de ces cas, la restriction des droits civils et politiques n’a nullement été mentionnée dans les arrêts concluant à la condamnation.

Or la privation du droit de vote énoncée aux articles L.31 et L.32 appliquée de manière générale, automatique et indifférenciée à toute personne condamnée est contraire à la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyenne de 1789 et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques en vertu duquel : « Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l’article 2 et sans restrictions déraisonnables: a) De prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis; b) De voter et d’être élu, au cours d’élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l’expression libre de la volonté des électeurs; c) D’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques de son pays ». Aussi est-il nécessaire de rappeler au terme de l’article 3, al. 4 de la Constitution, « Tous les nationaux sénégalais des deux sexes, âgés de 18 ans accomplis, jouissant de leurs droits civils et politiques, sont électeurs dans les conditions déterminées par la loi. ».

Il appert que les dispositions du code électoral susvisées ne sont pas conformes à la Constitution.

Etant donné qu’il y’a un lien étroit entre la privation du droit de vote et le droit d’éligibilité puisque la privation du droit de vote emporte de plein droit l’inéligibilité aux élections législatives comme le stipule le code électoral en son article LO.156, al. 2 : « Les individus dont la condamnation empêche temporairement l’inscription sur une liste électorale sont inéligibles pendant une période double de celle durant laquelle ils ne peuvent être inscrits sur la liste électorale » ; il est donc certain que toute personne condamné pour crime ou en général pour un délit passible d’une peine supérieure à cinq (5) ans d’emprisonnement ne peut être candidat.

Dès lors, il est plus que judicieux de poursuivre notre engagement citoyen pour la préservation des droits de l’homme et la consolidation de la démocratie. Même si le recours introduit par l’opposition devant le Conseil constitutionnel aurait dû prendre en charge cette préoccupation. C’est dommage que notre classe politique mène rarement les combats autour du respect des principes.

A présent, il ne reste que la voie d’action[2] à travers le contentieux des inscriptions sur  les listes électorales. Mais, faudrait-il souligner qu’à Doha, il n’a pas été mis en place une commission administrative d’enrôlement dans le cadre de la refonte partielle des listes électorales.

Au demeurant, il y’a lieu d’invoquer, par delà la jurisprudence de la Cour européenne[3] des droits de l’homme, celle plus éloquente du Conseil constitutionnel français qui, saisi par la Cour de cassation, d’une question prioritaire de constitutionnalité a déclaré l’article L.7 du code électoral[4] contraire à la Constitution dans sa Décision n° 2010-6/7 QPC du 11 juin 2011.

Sénégal, le 21 février 2017

Ndiaga SYLLA, Expert électoral

Email : codelectoral@gmail.com

[1] Code pénal, version 2000

[2] cf. Loi organique n°2008 sur la Cour suprême, article 75.

[3] cf. les arrêts rendus dans les affaires Hirst c. Royaume-Uni et Scoppola c. Italie

[4] Article L. 7 du code électoral : « Ne doivent pas être inscrites sur la liste électorale, pendant un délai de cinq ans à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive, les personnes condamnées pour l’une des infractions prévues par les articles 432-10 à 432-16, 433-1, 433-2, 433-3 et 433-4 du code pénal ou pour le délit de recel de l’une de ces infractions, défini par les articles 321-1 et 321-2 du code pénal »

me et du citoyenne, art.8). Ces dispositions seraient-elles conformes à la Constitution ? L’interdiction des droits de vote et d’éligibilité étant une peine accessoire prévue pour les crimes et certains délits ne devrait-elle pas être prononcée pour être valable ? Le défaut de fixation d’une durée de la déchéance constitue-t-il implicitement un relèvement de peine ? Devrait-on encadrer les personnes en détention provisoire à exercer leur droit de vote et d’éligibilité ?

Telles étaient, entre autres, des interrogations formulées en mars 2015 dans ma contribution intitulée: “Éligibilité ou Inéligibilité, le K. WADE : vers l’imbroglio juridique ? les limites du code pénal et du code électoral”. Il faut également rappeler que j’avais bien voulu poser le débat non sans interpeler les techniciens du droit, juriste pénaliste et constitutionnaliste, l’analyste électoral, le parlementaire ainsi que toute la classe politique eu égard à la difficulté de la matière et l’enjeu de la question.

Il est vrai que ces dispositions incriminées subsistent dans notre loi électorale depuis l’adoption du code consensuel de 1992. Mais l’évolution du droit électoral étant essentiellement dépendante de la jurisprudence, nous n’exprimerons aucun regret de n’avoir pas abordé le sujet lors des travaux de la revue du code électoral d’avant 2016.

Aujourd’hui, je me permets de revenir sur ce débat qui est plus qu’actuel du fait de la récente condamnation du Député Barthélémy Diaz, mais également des déclarations de certains partisans de M. Karim Wade qui continuent de croire que leur candidat reste éligible sans jamais apporter le moindre argument juridique.

Dans les deux cas cités, il est avéré que le juge n’a pas prononcé la perte des droits civiques et civils. Pour le cas Karim Wade, bien que la peine prononcée soit supérieure à cinq (5) ans, il ne saurait être légal d’appliquer la peine complémentaire en vertu des dispositions de l’article 35 du code pénal[1] (Loi n° 2000-38 du 29 décembre 2000) lesquelles sont du reste conformes au principe de la nécessité des peines.

Contrairement au délit d’enrichissement illicite pour lequel la déchéance électorale n’est pas expressément prévue, celui qui est coupable de blessures et coups volontaires non qualifiés meurtre, et autres crimes et délits volontaires pourra en outre être privé des droits mentionnés en l’article 34 pendant cinq ans au moins et dix ans au plus (Code pénal, article 294).  S’agissant de M. Diaz, l’application de la peine complémentaire n’est pas obligatoire du moment que la durée de la condamnation est inférieure à cinq ans.

Il y’a lieu de relever que pour chacun de ces cas, la restriction des droits civils et politiques n’a nullement été mentionnée dans les arrêts concluant à la condamnation.

Or la privation du droit de vote énoncée aux articles L.31 et L.32 appliquée de manière générale, automatique et indifférenciée à toute personne condamnée est contraire à la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyenne de 1789 et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques en vertu duquel : « Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l’article 2 et sans restrictions déraisonnables: a) De prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis; b) De voter et d’être élu, au cours d’élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l’expression libre de la volonté des électeurs; c) D’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques de son pays ». Aussi est-il nécessaire de rappeler au terme de l’article 3, al. 4 de la Constitution, « Tous les nationaux sénégalais des deux sexes, âgés de 18 ans accomplis, jouissant de leurs droits civils et politiques, sont électeurs dans les conditions déterminées par la loi. ».

Il appert que les dispositions du code électoral susvisées ne sont pas conformes à la Constitution.

Etant donné qu’il y’a un lien étroit entre la privation du droit de vote et le droit d’éligibilité puisque la privation du droit de vote emporte de plein droit l’inéligibilité aux élections législatives comme le stipule le code électoral en son article LO.156, al. 2 : « Les individus dont la condamnation empêche temporairement l’inscription sur une liste électorale sont inéligibles pendant une période double de celle durant laquelle ils ne peuvent être inscrits sur la liste électorale » ; il est donc certain que toute personne condamné pour crime ou en général pour un délit passible d’une peine supérieure à cinq (5) ans d’emprisonnement ne peut être candidat.

Dès lors, il est plus que judicieux de poursuivre notre engagement citoyen pour la préservation des droits de l’homme et la consolidation de la démocratie. Même si le recours introduit par l’opposition devant le Conseil constitutionnel aurait dû prendre en charge cette préoccupation. C’est dommage que notre classe politique mène rarement les combats autour du respect des principes.

A présent, il ne reste que la voie d’action[2] à travers le contentieux des inscriptions sur  les listes électorales. Mais, faudrait-il souligner qu’à Doha, il n’a pas été mis en place une commission administrative d’enrôlement dans le cadre de la refonte partielle des listes électorales.

Au demeurant, il y’a lieu d’invoquer, par delà la jurisprudence de la Cour européenne[3] des droits de l’homme, celle plus éloquente du Conseil constitutionnel français qui, saisi par la Cour de cassation, d’une question prioritaire de constitutionnalité a déclaré l’article L.7 du code électoral[4] contraire à la Constitution dans sa Décision n° 2010-6/7 QPC du 11 juin 2011.

Sénégal, le 21 février 2017

Ndiaga SYLLA, Expert électoral

Email : codelectoral@gmail.com

[1] Code pénal, version 2000

[2] cf. Loi organique n°2008 sur la Cour suprême, article 75.

[3] cf. les arrêts rendus dans les affaires Hirst c. Royaume-Uni et Scoppola c. Italie

[4] Article L. 7 du code électoral : « Ne doivent pas être inscrites sur la liste électorale, pendant un délai de cinq ans à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive, les personnes condamnées pour l’une des infractions prévues par les articles 432-10 à 432-16, 433-1, 433-2, 433-3 et 433-4 du code pénal ou pour le délit de recel de l’une de ces infractions, défini par les articles 321-1 et 321-2 du code pénal »

1 COMMENTAIRE

Comments are closed.