Regrettant la conduite actuelle des affaires du régime du Président Macky Sall, la Professeure Amsatou Sow Sidibé prévient que si l’on n’y prend garde, le Sénégal risque une décrépitude profonde pour ne pas dire dégénérative.
Quelle est votre réaction par rapport à l’affaire qui vaut au maire de la Médina la prison aujourd’hui ? L’affaire Bamba Fall est une résultante des échauffourées à la maison du Ps. Je pense que la violence n’est jamais souhaitée. Au contraire, elle est toujours à condamner. Et à ce propos, il faut se demander combien de types de violences y a t-il eu dans cette affaire et qui en a été à l’origine ? Il y a deux types de violences. D’abord, le fait d’attaquer directement par un effet physique – ce que nous condamnons – et il y a un autre type de violence : c’est le fait de refuser à des personnes militantes de s’exprimer, et donc de faire valoir la démocratie. Cette violence est également condamnable. Je crois qu’il faut sérier les deux. Alors il faut se poser la question de savoir ce qui s’est passé jusqu’à ce que ces militants aillent attaquer les autorités de leur parti. Je veux dire que quand c’est seulement M. Bamba Fall, je me pose la question de savoir si la décision judiciaire qui a été prise de le retenir en prison n’est pas excessive par rapport à ce qui s’est passé. Parce que même si comparaison n’est pas raison, j’ai l’habitude de comparer. Je vois ce qui se passe dans d’autres démocraties comme par exemple en France, où la justice a condamné l’auteur de la gifle sur le Premier ministre Manuel Valls à seulement quelques mois de prison avec sursis. Je crois qu’on utilise trop facilement la prison au Sénégal, et c’est là où se trouve le danger. La prison doit être remplacée dans beaucoup de cas d’hypothèse par des solutions alternatives. Mais cette affaire Bamba Fall nous donne l’impression que l’État et la justice aujourd’hui font une politique de deux poids deux mesures. Vous le pensez quand vous le dites ainsi ? Est-ce que les violences que l’on observe au sein de l’Apr sont traduites par des emprisonnements ? Et pourtant, ce sont des violences qui sont graves et qui déstabilisent l’ordre social, sans conséquence judiciaire ! Et cela m’amène à poser la question de savoir si ça ne traduit pas une volonté d’affaiblir des adversaires politiques. En tout cas, j’ai l’impression que c’est fait pour ça. Si mon impression est réelle, ce qu’on en tirerait comme conséquence, c’est que le Sé- négal serait dans une situation d’instrumentalisation grave du pouvoir judiciaire. C’est dom- mage ! C’est le lieu de revenir sur les cas d’Aïda Ndiongue et de Karim Wade. Deux cas où la justice a laissé les Sénégalais sur leur faim. J’insiste pour Aïda Ndiongue que nous connaissons depuis fort longtemps comme femme entrepreneur qui, pendant des décennies, a su faire fortifier ses activités dans le cadre de l’entreprise et a pu réaliser des milliards de Cfa dans des marchés qu’elle a obtenus. Mais, cet argent lui est aujourd’hui arraché. C’est une manière de vouloir casser Mme Ndiongue. Quelle serait la conséquence découlant d’une telle dé- marche ? La conséquence, malheureusement, c’est qu’on décourage les initiatives privées d’envergure dans notre pays. Or, ça va à l’encontre des stratégies de développement de l’entreprenariat. Et ce qui est drôle, c’est que ça entre en conflit avec les objectifs même de l’émergence. Annoncés à tort et à travers. Les pratiques que nous observons aujourd’hui sur le plan judiciaire sont incom- patibles avec l’émergence. Parce que les initiatives sont tuées dans l’œuf. Malheureu- sement… Irez-vous jusqu’à dire que l’affaire Khalifa Sall c’est aussi une politique du «deux poids deux mesures» ? J’avoue franchement que je ne maîtrise pas son dossier. Mais, c’est malheureux, on est en- core dans le contexte de sus- picion quant à l’impartialité des procédures judiciaires qui sont engagées contre les leaders de l’opposition. Et donc, on retrouve toujours et encore cette problématique de l’instrumentalisation politicienne de la justice de notre pays. Cette crise que nous observons au plan politique nous donne encore l’impression qu’on veut détruire pour mieux affaiblir des forces émergentes qui sont censées porter le processus de renouvèlement de la classe politique. En tuant en même temps la vitalité même de la démocratie sénégalaise. Or, ce qui se passe au sein de l’Apr en termes de violence est inouï et est beaucoup plus grave que ce qu’on observe ailleurs. Ça fait peur parce que c’est récurrent et ce n’est pas puni. Donc, la justice gagnerait à organiser la société sénégalaise avant que ça ne soit trop tard. Cet engouement pour la violence – pour acquérir le pouvoir – que l’on observe dans l’Apr doit être jugulée si on ne veut pas que le Sénégal sombre dans une violence qui sera extrêmement difficile à juguler. Cette politique de deux poids deux mesures risque d’être une patate chaude entre les mains du pouvoir. Alors, il faut que la justice joue son rôle, garde son indé- pendance, et refuse d’être instrumentalisée dans un cadre politicien. Et dans ce cas, les auteurs des violences seront sanctionnés de la manière la plus objective pour le bien du Sénégal. Que savez-vous des mon- tants décidés comme “cau- tion” pour les élections ? Le montant des cautions au Sé- négal est exorbitant. C’est une exception dans le monde. Soixante-cinq millions Cfa pour la présidentielle là où en France on demande environ 1,5 mil- lions Cfa. Aucun pays prati- quement en Afrique n’exige ce genre de caution. Pour les lé- gislatives, c’était 20 millions Cfa. Ce n’est acceptable dans aucun pays de démocratie. Il faut permettre aux citoyens de choisir leurs représentants. Si on impose des sommes aussi importantes, cela signifie tout simplement qu’il n’y a pas suffisamment de réflexion autour du comment faire pour que les candidatures ne soient pas aussi pléthoriques ? Ici, on croit que c’est l’argent qui doit tout régler. Et là, je dis que c’est une crise de valeurs qui est en train de détruire le Sénégal. L’argent ne peut pas tout régler. En plus, d’où vient cet argent ? C’est de l’argent facile. Il faut qu’on nous dise d’où vient cet argent facile ? Quand l’argent a été travaillé, à la sueur du front, on ne joue pas avec. Et je dis que le Sénégal a intérêt à revoir la question de la caution parce qu’il ne faut pas qu’on donne l’impression que l’argent de la caution est de l’argent sale. Quel serait le montant juste que vous proposeriez ? Nous allons en discuter. Mais 20 millions Cfa, ce n’est pas raisonnable. Pour que le peuple choisisse ceux qui le représen- tent à l’Assemblée nationale, ils demandent 20 millions qu’ils vont ensuite garder dans leurs caisses pour se les partager. Toujours dans le cadre de la gabegie. C’est inadmissible. Elle doit être réduite de manière drastique. Oui, mais com- bien exacte- ment ? Pour les légis- latives, la cau- tion ne doit même pas at- teindre un million Cfa. Je me réfère aux États qui se disent une démocratie. La France par exemple, pour la présidentielle, c’est un million Cfa. La caution ne doit pas être faite pour enri- chir les caisses de l’État. Or c’est ce qui est en train de se passer. Constatez-vous la gabegie actuelle qui spécifie ce ré- gime ? Ah ça, oui, il y a… de la gabegie ! C’est une des raisons que nous avons évoquée pour dire “Non” au Référendum. Ils avaient parlé de 3 milliards. Or, tout le monde sait que c’était plus que cela. De l’argent qui aurait pu servir à acheter des appareils de radiothérapie. Il faut prioriser et on ne le fait pas. Il y a des milliards pour le Hcct. Vous croyez que c’est normal ? Des milliards là où des malades sont en train de mourir parce qu’il n’y a même pas de matériel pour s’occuper de leur santé ? Mais, cette ga- begie, si l’on n’y prend garde, risque encore une fois de placer le Sénégal et les Sénégalais dans une situation de décrépitude profonde. Comment se porte aujourd’hui votre mouvement, Car/Leneen ? Car/Leneen est en train de cheminer et tend toujours à valoriser la personne humaine, à la mettre au centre de ses préoccupations. Pour que les valeurs soient restaurées, pour le bien- être des Sénégalais. Nous nous battons pour ça du matin au soir, parce que tant que cette crise des valeurs ne disparaîtra pas, le Sénégal aura toujours des problèmes pour régler les besoins les plus élémentaires d’une personne humaine. Quelssont vos objectifs pour les élections législatives qui viennent ? Nous sommes un parti qui se respecte ; si Dieu Le veut, nous participerons. Quelle explication donnezvous à la hausse subite du prix des denrées de première nécessité ? Cette hausse s’explique par le non respect des engagements. L’État sénégalais ne fait rien pour améliorer le panier de la ménagère. Il semble dépendre de l’économie internationale. Nous n’avons aucun garde-fou au plan local et nous ne pro- duisons pas. Or, sans la pro- duction nous n’irons pas loin. Quand l’agriculture nous offre des produits, nous ne cherchons même pas à les transformer en créant des industries. Au contraire, nous tuons les industries. Or, sans cette production, nous ne pouvons pas avancer. Aujourd’hui, c’est terrible. Tout est cher. Ce qui coûtait mille francs est à 1300 à 1400 francs…Cfa
Par Charles Senghor
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