C’est devenu une coutume pour moi, depuis 2013, de rendre à chaque 14 mars, un hommage mérité à notre guide spirituel Serigne Sam en revenant sur un aspect particulier de sa vie. Après avoir abordé, dans de précédentes contributions, sa vie et son œuvre, sa dimension mystique, l’étendu de ses enseignements, son rôle en tant que vivificateur de l’Islam au Sénégal et, dernièrement, la porté de ses cassettes et son impact sur la jeunesse. Je décide cette année de m’intéresser à l’homme de science, c’est-à-dire à l’intellectuel qu’était Serigne Sam Mbaye. Je me propose dès lors, dans le cadre de ce texte, de remonter le fil de l’histoire pour retracer la trajectoire scolaire et l’itinéraire de la quête perpétuelle de connaissance de ce grand soufi musulman. Le titre de cette contribution aurait pu être, Baye Sam Mbaye : Un parcours, des dates.
Bref survol biographique
Né à Louga en 1922, Serigne Saam Mbaye est le fils de Sokhna Fatou Thiam, femme pieuse et pleine de vertu, et de Mame Cheikh Ahmadoul Sakhir Mbaye (savant et érudit de haut rang). Serigne Sam porte le nom du frère ainé de Cheikh Ahmadou Bamba, Mame Mor Diarra Mbacké communément appelé « Borom Sam » en référence au village éponyme qu’il avait crée pour se consacrer à l’enseignement du Coran. En tant que fondateur de ce village, Mame Mor Diarra Mbacké était affectueusement appelé « Borom Saam » ou « Serigne Saam » par les fidèles et autres disciples, une appellation qui restera à jamais liée à l’image de Serigne Saam Mbaye finissant par éluder son nom originel.
La généalogie de la famille de Serigne Sam, retracée par le Dr. Thierno Ka dans un article intitulé Vie et doctrine d’Ahmad Sakhir MBAYE le soufi de Louga (1864 – 1946), in bulletin de l’ifan, tome 48 n° 3-4, 1986 – 1987, P. 284 – 304, indique une descendance directe des banu Bakrine. Ceci est d’autant plus vrai que Mame Cheikh Mbaye lui-même, dans son poème intitulé Qālū la anta Sabiyun le réaffirme en ces termes : « Inna banū Bakrine Al- Mah-rūufu madj duhum. Ila dunal hilmou çumal mane çibul hanlii. Walam yazal min’aa khātou sahi doun sanadoun fii kouli dahriin kabiiroun bi nafsi wal halii ». Autrement dit « notre filiation nous relie à la famille de Seydina Aboubacar. La connaissance et la très haute fonction en Islam sont un legs historiquement hérité de nos aïeuls. DIEU a honoré notre famille en la dotant, à chaque époque, de brillants savants qui répondront aux questionnements les plus hermétiques de leurs temps ». Serigne Sam fait sans nul doute partie de cette lignée de savants qu’ALLAH réserve et préserve pour cette famille aux descendances ô combien élogieuse ! Cette descendance de la famille Mbaye de la lignée des qurachïtes est également attestée par d’autres grands érudits à l’instar de Cheikh Moulaye Bousso qui, dans l’un de ses poèmes, s’adresse à son ami Mame Cheikh Mbaye en ces termes « nous nous prenons pour des frères en Dieu, ô famille d’Abu Bakr, des amis et voisins ».
Un parcours, des dates
1922 : Naissance de Serigne Sam Mbaye à Louga d’une grande famille religieuse d’origine arabe (de la tribu des Quraïchites dont est également issu le Prophète PSL) se consacrant essentiellement à l’enseignement du Coran et de la religion musulmane. Le premier ancêtre reconnu de la famille de Serigne Sam Mbaye est, selon l’arbre généalogique dressé par Serigne Sam Mbaye lui-même cité par le Dr. Thierno Ka, Ibrahima Khouraïchi né en 1549. Il est ainsi le premier de la famille à porter le nom MBAYE et il serait alors venu de la Mauritanie pour s’installer dans le Nord du Sénégal.
1929 : Initiation à l’apprentissage du Coran auprès de son grand frère Serigne Moussa Mbaye (décédé très tôt et dont l’un des fils de feu Elh. Djily Mbaye porte d’ailleurs le nom) avant de rejoindre, en 1940, l’un des plus connus de ses « maitres » à savoir Serigne Mbaye Touré. Sa mère Sokhna Fatou Thiam a également beaucoup contribué à sa formation initiale car comme l’indique un hadith prophétique, « al umû mádrasat’il ëweul » autrement dit, la mère est la première école » pour son enfant. Il a mémorisé pour la première fois le Coran en 1934 à l’âge seulement de 12 ans.
1940 – 1941 : Mais c’est chez Serigne Mbaye Touré de Louga, grand maitre coranique et enseignant réputé pour son érudition, qu’il parfait son apprentissage coranique. C’est sous la bannière de ce dernier qu’il récite pour la première fois, au complet, le Saint Coran avant de s’envoler à Coki avec son frère et ami de tous les jours Elh. Djily Mbaye. Les deux hommes se vouaient un amour profond et un respect mutuel perceptibles à chacune de leur rencontre.
1941 – 1946 : Le Daara de Coki a été ouvert en 1939 par Serigne Cheikh Ahmed Sakhir Lô, sur instruction de Mame Cheikh Mbaye Kabir dont il fut son disciple et homonyme. L’étape de Coki a été cependant très décisive pour Serigne Sam Mbaye car, il lui fallait non seulement approfondir ses connaissances coraniques notamment dans le domaine de l’écriture et de la jurisprudence islamique (Fiq). C’est à Coki où Serigne Sam a appris pratiquement toutes les œuvres liées à cette séance difficile à maitriser (Laqdari, Hansmawiyu, Ibn Hanchir, Muqadimatu Hanzzia, Rissala etc.). Le Nahu (la grammaire) n’était pas non plus laissé en rade au cours de sa formation à Coki, une formation assurée par le maitre des lieux lui-même Serigne Mod Sakhir Lô. Sur instruction de son père, Serigne Sam quitte Coki en 1946 pour aller se parfaire à Saint-Louis auprès de grands maitres soufis.
1946 – 1949 : C’est avec une tête bien pleine que Serigne Sam quitte ainsi Coki en 1946, peu avant le rappel à Dieu de Serigne Mame Cheikh Mbaye Kabir, pour rallier la ville de Saint-Louis qui était considérée comme l’un des bastions les plus denses en matière de pensée et de connaissance religieuse. Il y fréquente de grands savants parmi lesquels : Elh. Tidiane Niang, Oustaz Abdoul Hamid Sall, Serigne Dame Sarr, Serigne Alioune Datt, Serigne Ahmad Diakhaté de Guet Ndar, Serigne Modou Fall Khalil (qui avait une parfaite maitrise du livre de Fiq dénommé Qalil ce qui lui a valu ce surnom), Serigne Ahmed Fall avant de terminer son apprentissage auprès d’un grand érudit maure du nom de Mouhamed Fall. Serigne Sam suit en cela le parcours de Imam Malick qui, dit-on, a fait son apprentissage de la science islamique auprès de 95 maitres.
1949 – 1951 : Par coup de chance ou de destin, Serigne Sam réussit en 1949 un concours de recrutement d’enseignants de l’Université des Sciences Islamique de la Mauritanie pour y être recruté comme professeur. Seuls deux sénégalais, à l’époque, avaient eu la chance de réussir ce concours. Mais Serigne Sam déclina très tôt le poste qui lui était proposé pour se consacrer encore une fois à l’apprentissage auprès de grands Sheikh maures. Il séjourna ainsi pendant deux ans en Mauritanie pour se consacrer uniquement à la recherche et à l’apprentissage des différentes branches de la science islamique dont le Tazaouf (soufisme) en particulier. C’est là-bas où il commence véritablement à s’intéresser au soufisme et à beaucoup lire là-dessus. Au terme de son séjour mauritanien, Baye Sam rentre au bercail et s’installe encore à Saint-Louis pour entamer des études en français.
1951 – 1952 : Serigne Sam revient au Sénégal à la fin de l’année 1951 après deux ans passés en Mauritanie. A son retour, il s’installe à Saint-Louis pour une deuxième fois même si les objectifs étaient différents. Il se consacre cette fois-ci à l’étude de la langue française ce qui le pousse à s’inscrire dans le système formel d’enseignement. Vu son niveau et des capacités intellectuelles, il obtient très rapidement son CEPE (Certificat d’Etudes Primaires Elémentaires) en 1952 avant d’obtenir une bourse d’études qui le mènera vers la Tunisie. Une étape aussi très importante dans le cursus scolaire de Baye Sam.
1952 – 1956 : Avec l’aide d’un de ses frères, en l’occurrence Serigne Babacar Mbaye, Serigne Sam obtient de la part de l’Etat du Sénégal une bourse d’études de l’université Constantine de Tunis après diverses tracasseries administratives. Il parvient toutefois à relier Tunis après une longue escale en Algérie dans un contexte marqué par la guerre de libération menée par l’ALN. Il vécu de plein fouet cette guerre avant de réussir à traverser pour atterrir en Tunisie. Une fois à Tunis, non seulement la classe qu’il devait fréquenter était bondée de monde mais aussi il était très en retard par rapport aux programmes de l’année. Il insiste toutefois auprès de la direction pour rejoindre ses camarades ce qui lui a été permis. Ironie du sort, Serigne Sam sort major de sa promo au terme des examens de fin d’année ce qui lui a valu les félicitations unanimes de ses enseignants, camarades et parents. Il resta ainsi pendant 3 ans dans cette Université qu’il quitte après l’obtention d’une licence en Arabe. Il rentre de nouveau au pays à la fin de l’année 1956.
1957 – 1962 : Rentré au pays en 1956, Serigne Sam est recruté en 1957 comme moniteur (maitre d’externat) par le gouvernement sénégalais pour enseigner le français au lycée Faidherbe de Saint-Louis (actuel lycée Elh. Oumar Tall) situé sur l’ile Nord, juste derrière le célèbre hôtel Rognât Nord. Il profite de ce recrutement pour parfaire son niveau de français et surtout certifier ses connaissances avec des diplômes reconnus par le système formel de l’enseignement. Ayant obtenu son CEPE en 1952, il s’inscrit directement en classe de troisième dans ce lycée où il a été recruté comme maitre d’externat pour passer et réussir son Brevet d’Etudes du Premier Cycle (BEPC). L’obtention de ce diplôme n’a été qu’une source supplémentaire de motivation pour Baye Sam Mbaye qui désire désormais avoir tous les diplômes dispensés par le système formel du secteur éducatif sénégalais. Après le BEPC, cap sur le Bac !
1959 : Intellectuel dévoué et rompu à la tâche, Serigne Sam vise maintenant le baccalauréat après l’obtention de son BEPC, toujours en tant que moniteur au lycée Faidherbe de Saint-Louis. Il y passe et réussit sa première partie de baccalauréat en 1959. A l’époque, le bac était subdivisé en deux grandes parties : une première partie que l’élève passe en classe de première en composant sur les matières littéraires et une deuxième partie pour les autres matières en classe de terminale.
1960 – 1965 : Serigne Sam passe la deuxième partie de son baccalauréat français en 1960, ce qui lui ouvre les portes de la nouvelle capitale sénégalaise Dakar où il sera affecté, en tant que fonctionnaire de l’Etat, comme surveillant général au collège franco-arabe de Dakar (actuel collège franco-arabe Serigne Fallou Mbacké de Point E) en 1963. Mais avant de rejoindre Dakar, Serigne Sam a enseigné, entre 1963 et 1965, en tant qu’instituteur plein, à Saint-Louis juste après l’obtention de son baccalauréat français. C’est par la suite qu’il sera nommé surveillant général de l’école franco-arabe de Dakar.
1965 : Nommé surveillant général au collège franco-arabe de Dakar, Serigne Sam nourrit l’ambition de faire des études universitaires vu sa proximité avec l’université de Dakar et surtout sa grande volonté de faire aussi ses preuves dans le système de l’enseignement formel. C’est ainsi qu’il prépare sérieusement et réussite haut la main, l’examen spécial d’entrée à l’université en 1969. Il s’inscrit alors au département arabe de la faculté des Lettres et Sciences humaines de l’université de Dakar où il décroche respectivement une Licence en Arabe en 1972, une Licence en français en 1974 et une maitrise en Lettres Modernes en 1976. Il a passé tous ces examens en tant que professionnel puisqu’après l’obtention de sa maitrise en français en 1976, il avait été recruté comme professeur de français au lycée Blaise Daigne de Dakar.
1976 – 1982 : Serigne Sam ne va pas durer au lycée Blaise Diagne où il avait été recruté comme professeur de français puisqu’un an plus tard, il sera nommé directeur du collègue Franco-arabe de Dakar. Rappelez-vous qu’il était, 10 ans avant, surveillant général dans ce même collège. En 1976 donc, Serigne Sam y revient en tant que directeur. Mais cette nouvelle fonction qui le place au summum de l’établissement n’est rien d’autre qu’une source supplémentaire de motivation qui doit le guider vers le l’excellence à laquelle il aspire depuis toujours. Il nourrit encore l’ambition de faire une thèse de doctorat. C’est ainsi qu’il s’inscrit en troisième cycle (DEA et doctorat) à la faculté des Lettres et Sciences Humaines en 1978 tout en étant directeur dans ce collège.
1982 – 1985 : En 1982, Serigne Sam Mbaye soutient sa thèse de doctorat troisième cycle portant sur le soufisme de Cheikh Ahmadou Bamba avec la mention « Très honorable » en plus des félicitations unanimes du jury de soutenance. Il devient alors Docteur Ès-Lettres en arabe de la faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université de Dakar. Après la soutenance de sa thèse de troisième cycle, Serigne Sam est nommé proviseur au lycée Malick Sall de Louga qui venait d’être ouvert dans la capitale du Ndiambour. Il assura cette fonction jusqu’en 1985 date à laquelle il a été recruté comme professeur au département d’arabe de l’Université de Dakar.
1985 – 1992 : Serigne Sam a enseigné à l’université de Dakar de 1985 à 1992 et les nombreux témoignages recueillis auprès de ses anciens étudiants qui sont aujourd’hui un peu partout dans les différentes sphères de l’administration publique sénégalaise (notamment dans les domaines de l’enseignement et de la recherche) sont forts éloquents. Il est décrit comme un professeur méthodique, rigoureux, généreux au propre comme au figuré, pieux, disponible, gentil et surtout, comme une source intarissable de savoirs.
Un intellectuel combattu
Le recrutement de Serigne Sam au département d’arabe n’a pas fait que des heureux puis qu’il était également combattu par certains de ses collègues réputés « jaloux, absentéistes et sévères » qui faisaient tout pour que les étudiants échouent au département d’Arabe. Tout le contraire de Serigne Sam qui, non seulement dispensait sérieusement ses cours, mais aussi donnait beaucoup de conseils à ses étudiants. Comme il avait coutume de le dire « la grandeur est écrasante » et certains de ses collègues n’étaient, sans nul doute, pas prêts à accepter en leur sein un intellectuel de sa trempe. C’est la raison pour laquelle, quand il a terminé la rédaction de sa thèse d’Etat en 1992 il n’a pu la soutenir faute de jury, dit-on. Cette thèse d’état était un approfondissement de celle soutenue en 1982 et portait toujours sur le soufisme de Cheikh Ahmadou Bamba. Malgré cela, il continua à dispenser des cours au département d’arabe de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar jusqu’en 1992 date à laquelle il a pris sa retraite professionnelle pour se replier dans son Louga natal afin de se consacrer essentiellement à l’enseignement religieux, de diriger les prières dans sa mosquée et surtout à l’animation de beaucoup de conférences et autres causeries, aussi bien au niveau national qu’international. Il est rappelé à Dieu, un certain samedi 14 mars 1998 à l’hôpital Principal de Dakar. Une journée commémorée chaque année par le Dahira Tarqiya Ila Lahi Tahla Raayaty Xadimu Rasul de Keur Massar sous l’égide de Serigne Papa Sall Moom Baay Saam.
Au demeurant, j’ai voulu à travers cette contribution, attirer l’attention de tous ceux qui réclament l’héritage de Serigne Sam, qu’il était quelqu’un qui, malgré sa dimension mystique et son appartenance à la famille du grand soufi de Louga qu’était Mame Cheikh Mbaye Kabir, s’était beaucoup investi dans la recherche et l’acquisition de savoirs. Sa vie et son œuvre méritent aujourd’hui plus que jamais d’être vulgarisées afin qu’elles servent de modèles à toute la jeunesse sénégalaise, dans un contexte où le manque de repères et la paresse intellectuelle, sont souvent pointés du doigt pour expliquer ce qui semble être un dérèglement social (le sociologue que je suis, parlerait lui d’anomie) auquel nous devons tous faire face.
Un modèle pour la jeunesse
Quoiqu’il en soit, il faut convenir avec moi que Serigne Sam a montré la voie à suivre. Celle de la persévérance, de l’endurance, de dévotion, de détermination et surtout de l’abnégation car, malgré toutes les persécutions dont il a fait l’objet au département d’arabe, il a su toujours tenir bon jusqu’à son dernier souffle sur terre. Pourtant la vie lui a, à plusieurs reprises ouvert ses portes, mais il a toujours décliné tous les postes qu’ont lui proposait dans l’administration que cela soit une fonction ministérielle ou diplomatique. Tout ce qui l’intéressait lui, c’est l’enseignement, la recherche, la formation et les conférences qu’il animait un peu partout à travers le monde. C’est pourquoi quand on lui a privé de soutenir sa thèse d’état au département d’arabe aux motifs d’indisponibilité du jury, il a tout simplement publié ses conclusions sous formes d’œuvres traduites des Qasidas de Cheikh Ahmadou Bamba. C’est d’ailleurs l’une des principales raisons pour lesquelles il a passé et obtenu une maitrise en linguistique générale.
Au demeurant, je ne peux conclure cette contribution sans pour autant dénonce avec la toute la rigueur qui sied, qu’il est inadmissible aujourd’hui qu’il n’y ait aucune trace des productions universitaires de ce grand intellectuel non seulement au département d’arabe mais aussi à l’Université de Dakar qu’il a énormément servi avec dévotion et détermination tout au long de sa vie.
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- Abdoulaye CISSE, Sociologue.
Psychologue – Conseiller à Kolda