Avec le Pse, le Sénégal aspire à l’émergence à l’horizon 2035. Mais la présidente du Réseau d’appui aux initiatives de développement économique (Rapide), Soukeyna Touré Dagnogo, pense que celle-ci ne sera pas possible tant qu’on continuera au Sénégal de prendre trois repas par jour. Pour elle, on ne peut pas parler de développement ou d’émergence sans les femmes, et celles-ci perdent beaucoup de temps à préparer le déjeuner au lieu d’aller travailler.
Entretien réalisé par Cheikh NDONG
Quels sont les objectifs de votre réseau et sa vision ?
Nous avons créé ce réseau en 2008 à la suite d’une conférence qui s’est tenue à Marrakech avec l’Association des femmes entrepreneures mondiales. J’ai copié ce réseau au Sénégal et nous sommes membres du Réseau mondial. Nous travaillons plus avec le monde rural. Dans le monde rural, nous avons des femmes capables. Le problème des femmes est souvent lié à la formation. C’est pourquoi, nous insistons beaucoup sur le volet de la formation, mais aussi, sur le volet recherche de partenariats et création de projets. Depuis 2008, nous travaillons avec presque l’ensemble des régions du Sénégal. Nous avons un réseau qui compte plus de 25.000 membres à travers le Sénégal. Nous travaillons sur le secteur agricole, de l’élevage et de la transformation des produits halieutiques. En plus de cela, je pousse les femmes à voyager parce que je trouve qu’elles sont trop renfermées au Sénégal. À cet effet, nous leur faisons participer à beaucoup de formation au niveau international, mais aussi à des conférences et séminaires internationaux. C’est dans ce cadre que nous allons participer dans les prochains jours au salon de l’Agriculture de Paris où nous allons faire participer une vingtaine de femmes avec quelques Maires du Sénégal. Il y a également le Salon des collectivités qui se tient au États-Unis. Là également, nous amenons des Maires. à cela s’ajoute le fait que j’organise des formations à Marrakech, à Tanger et Casablanca. La vice présidente du réseau est Marocaine et nous travaillons avec l’Association des femmes entrepreneures marocaines. Ce qui permet d’avoir un esprit d’échange et de renforcer la coopération Sud-Sud. J’ai un slogan : «Apprendre à prendre à charge». Je jette souvent des pierres aux politiciens en leur disant que vous ne rendez pas service aux femmes parce que vous ne leur apprenez pas à se prendre en charge. Au niveau du Réseau nous accompagnons les femmes qui veulent investir en prenant en charge une partie de leur financement. En dehors du Rapide, j’ai créé le Réseau d’appui aux initiatives de développement local (Raid) dont je suis la présidente. C’est un réseau qui regroupe 200 membres dont 50 collectivités locales et 50 partenaires au développement.
Récemment vous avez organisé le salon de l’emploi et de l’entreprenariat… Quel est l’objectif poursuivi à travers cette activité ?
Là, c’est une autre association. C’est une association qui fait partie du Réseau parce qu’en fait c’est un Link. Il y a le Rapide, le Raid et “Ma Cité d’abord”. Quand on parle de cité on pense à la commune. C’est un réseau de jeunes que nous avons créé. On a commencé avec Dakar et nous sommes actuellement dans tout le Sénégal. Nous avons 10.000 à 15.000 jeunes pour l’entreprenariat et toutes les couches sociales sont représentées. Il y a les étudiants, les éleveurs, des agriculteurs et des gens chômeurs. Je crois qu’avec ce brassage on peut avoir des résultats. J’ai organisé ce salon avec des partenaires étrangers au niveau de l’Ucad. En fait, c’était une Assemblée générale et nous allons organiser la seconde édition au mois de juillet. À cette occasion, les jeunes des différentes localités ont présenté leurs projets. On leur apprend la citoyenneté, les Tic et la création d’entreprises en plus de l’entreprenariat. Nous leur disons qu’il faut croire en soi et ne pas tout attendre du gouvernement. Il faut que les jeunes comprennent que tout est possible. Impossible n’est pas Sénégalais. Je leur donne mon cas en exemple : j’ai quitté le Sénégal à l’âge de 13 ans. Je suis partie en Europe, j’ai fait l’école catholique, le lycée et l’université. Après l’université je suis aussitôt revenue au Sénégal. Quand je suis rentrée j’ai eu la chance de travailler avec les Américains à 800 Km de Dakar. À l’époque j’avais 21 ans. Par la suite j’ai été affectée aux états unis, mais j’ai fini par démissionner pour créer ma propre entreprise à moins de 30 ans. Je m’en suis sortie seule jusqu’à présent. C’est pourquoi je pousse les jeunes à prendre exemple sur mon cas. À part les étudiants, il y a les artistes, notamment les rappeurs, qui sont membres du Réseau également. Nous avons une bonne dizaine de rappeurs comme Da Brains, Ngaka, Blindé, qui d’ailleurs est le président de «Ma Cité d’abord» au niveau de la banlieue.
Pensez-vous qu’avec l’Acte 3 de la décentralisation la problématique du financement des collectivités locales a été correctement prise en charge ?
Je pense que oui. Souvent j’aime “jeter des pierres” à des Maires parce qu’il y a parmi eux qui sont contre ou pour la réforme. J’ai l’habitude de dire aux Maires que le Maire aux États-Unis est d’abord un business man. C’est le Maire qui cherche des partenaires pour le financement de ses projets, il agit comme un chef d’entreprise. Tout au début c’était un peu difficile, mais je pense que le Président Macky a vu juste. L’essentiel c’est de pousser les collectivités locales à se prendre en charge. Je voyage beaucoup avec les Maires, je les pousse à voir ce qui se fait de mieux ailleurs. Récemment nous étions à Dallas aux États-Unis. Je leur fais rencontrer des entrepreneurs. Avec l’Acte 3, les collectivités locales vont essayer d’avoir leurs propres partenaires, créer des emplois au niveau de la commune et faire bénéficier à leurs populations de ces projets. Certains ont compris. C’était très difficile, mais je pense que les choses commencent à changer.
Les maires sont-ils dans cette dynamique ?
En tout cas les Maires qui sont avec moi sont dans cette dynamique. Avec nous, ils ont appris à se prendre en charge dans le cadre de nos voyages. On leur apprend à parler, à négocier… On joue en réalité un rôle de coach. Je pense que nos Maires pourraient arriver à ce stade.
Quelle appréciation faites-vous de la gouvernance économique du Président Macky Sall ?
Vous me poussez à parler de politique. On a la chance d’avoir un jeune. Je précise que je ne fais pas de politique. Au Sénégal on a l’habitude quand quelqu’un dit du bien du Président ou d’une autorité politique, on dit qu’il a été acheté. Encore une fois, je précise que le Président Sall ne me connaît pas, il ne m’a jamais rencontré et je n’ai jamais cherché à le rencontrer. Toutefois, on a la chance de l’avoir très jeune. Je pense qu’il faut l’accompagner, même si on est contre. Le Président Wade a beaucoup fait, mais je salue la vision du Président Sall. Il y a des choses qui sont en train de bouger et je pense qu’elles pourraient aller mieux si tous les Sénégalais se donnaient la main pour l’accompagner.
Le Président Sall disait dans son programme Yonnu Yokkuté que sa priorité c’est les jeunes, les femmes et le monde rural. Pensez-vous qu’il a tenu cette promesse ?
Je pense que c’est un peu prématuré de faire un bilan en ce qui concerne les femmes. La question qu’on doit se poser c’est de savoir est-ce qu’il a des gens qui l’accompagnent ? Je dis souvent que le Président Macky Sall est seul, mais il peut y arriver. Il en est à son premier mandat. Je pense qu’il peut y arriver, c’est ma vision. Il doit continuer de mettre l’accent sur le monde rural, mais surtout l’agriculture. C’est le monde rural qui est l’avenir de demain. Prenez l’exemple du Maroc, vous y allez et vous croirez que vous êtes en Europe. Je pense que le Président Sall a vu juste parce qu’il voyage et il voit ce qui se passe ailleurs. Je pense qu’il faut juste changer les mentalités, et à ce niveau, il nous reste beaucoup de choses à faire.
A moins de deux ans de la fin de son premier mandat, sur quel secteur doit-il mettre l’accent pour espérer un second mandat ?
Je pense qu’il doit mettre l’accent sur l’agriculture. En plus, il faut changer les mentalités. Le Président Sall parle d’émergence, mais on ne peut pas émerger tant qu’il y aura trois repas au Sénégal. Quand on parle de développement c’est les femmes. Donc le jour où les femmes cesseraient de préparer le repas de midi, il y aura émergence.
Vous proposez quoi ?
Le petit déjeuner et le diner. Ce qui fait que toute la journée les gens sont au travail. Les femmes consacrent beaucoup de temps pour le ravitaillement au marché et préparer le repas de midi. Si ce temps était consacré au travail, il serait possible d’atteindre l’émergence. Donc il faut cesser de préparer trois repas par jour et aller travailler.
Vous parlez comme si l’emploi était à portée de main alors que les gens ne trouvent pas du travail…
Il faut chercher. Il y a du travail. Il ne faut que les gens attendent tous de l’État. Ce n’est pas possible… L’État ne peut pas tout faire ! Il faut l’accompagner et ne pas lui jeter des pierres. Je donne mon exemple : je travaille mais je n’attends rien de L’État. Si je me mettais à attendre le soutien de l’État avec toutes les femmes qui sont avec moi, rien de ce qu’on est en train de faire ne sera possible. Je suis une citoyenne et m’engage à accompagner l’État dans ses missions régaliennes.
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