Un an après…   Par Me Mame Adama Gueye

Il y a un an le Président de la République soumettait au référendum son projet de réformes constitutionnelles dont l’objectif déclaré était de renforcer l’Etat de droit et de consolider la démocratie.

Un an après force est de constater que les faits donnent raison à ceux qui avaient préconisé de voter Non. L’Etat de droit est chahuté, la démocratie malmenée et l’indépendance de la Justice gravement menacée. Partisan du Non, j’avais publié un texte pour expliquer les raisons de mon choix. J’ai le plaisir de le partager à nouveau avec vous.

Les raisons fondamentales de voter NON (Par Maître Mame Adama Gueye)

Entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2012, le candidat Macky Sall a signé la Charte de gouvernance démocratique des Assises Nationales et s’est engagé à réduire le mandat de 7 à 5 ans et à appliquer cette réduction à son mandat s’il était élu.

Ces deux engagements ont déterminé beaucoup de sénégalais à lui accorder leur confiance. Le Président Macky Sall a réitéré son engagement à neuf reprises au Sénégal comme à l’étranger.

Après quatre ans de tergiversations, le Président Macky Sall s’est renié en prétextant qu’il ne pouvait passer outre ce qu’il considère comme étant une décision du Conseil Constitutionnel. Ce faux prétexte a été magistralement balayé par le Manifeste historique de 45 Professeurs de droit et de sciences politiques en ces termes : «Pour justifier pourquoi il entend se conformer à l’avis du Conseil Constitutionnel, le Président de la République a invoqué l’article 92 de la Constitution aux termes desquels « les décisions du Conseil Constitutionnel ne sont susceptibles d’aucune voie de recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles ». La convocation de cette disposition relève d’un subterfuge juridique utilisé pour accomplir un dessein politique personnel. La référence à l’article 92 n’est pertinente que si on est dans le cadre d’une décision. Ce qui n’est juridiquement pas le cas en l’espèce.

« Non, Mr le Président, le Conseil n’a pas rendu une décision, mais un avis consultatif qui ne vous lie pas.

« Le Conseil a beau chercher à donner à son avis les allures d’une décision, il a été obligé, dans le dispositif, de faire tomber le masque en disant « ….par ces motifs, est d’avis ». Si c’était une décision, le Conseil aurait dit « ….par ces motifs, décide »

La complaisance manifeste du Conseil Constitutionnel n’aura pas suffi à masquer le reniement d’un Président de la République incapable d’assumer ses choix.

Ce motif seul suffit pour voter NON, en ce qu’il caractérise une rupture de la relation de confiance indispensable entre un Chef de l’État et les citoyens. En choisissant de se renier le Président de la République a perdu non seulement le respect des citoyens qu’il est chargé de diriger, mais également cette légitimité morale indispensable pour assurer un leadership de qualité.

Dans la foulée de ce wax waxeet historique, le Président de la République, après avoir décidé sans aucune concertation du contenu du projet de réforme a encore décidé tout seul de fixer au 20 mars la date du référendum dans une précipitation inexplicable.

Les objectifs déclarés du projet de réformes sont le renforcement de la démocratie et la consolidation. Pour les tenants de ce projet, si le OUI devait l’emporter notre vie en serait changée et le Sénégal entrerait dans une nouvelle ère de prospérité.

Au delà des slogans, il importe d’évaluer le projet de réforme à l’aune des critères de pertinence, de crédibilité, de bonne foi et de cohérence.

  1. Sur la pertinence

Plusieurs points du projet de réformes ne sont pas pertinents soit parce qu’il s’agit de questions déjà prises en charge soit parce qu’ils ne sont d’aucun apport qualitatif.

Les nouveaux droits afférents à l’environnement et au patrimoine foncier brandis comme une avancée décisive figurent déjà dans la Constitution. En effet l’article 8 de celle-ci consacre entre autre le droit de propriété et le droit à un environnement sain.

Le droit à un environnement sain a été reconnu dans la cadre de l’agenda 21 qui est un plan d’action pour le vingt et unième siècle adopté par 173 chefs d’État au sommet de Rio. La loi n° 2001-01 du 15 janvier 2001 portant code de l’environnement procède de la mise en œuvre des principes et mesures énoncés dans l’agenda 21.

Les droits sur le patrimoine foncier qui ont été longtemps régis par un décret français de 1932, sont maintenant régis par la loi n° 2011-07 du 30 mars 2011 portant régime de la propriété foncière.

Les prétendus droits sur les ressources naturelles relèvent davantage de la pétition de principe que de droits concrets conférés aux citoyens sur les dites ressources.

Le projet prétend renforcer la citoyenneté « par la consécration de devoirs du citoyen ». C’est enfoncer une porte ouverte que d’affirmer une telle prétention dès lors que les devoirs des citoyens résultent déjà de l’arsenal juridique existant. Au demeurant la Constitution proclame déjà clairement « le respect et la consolidation de l’État de droit dans lequel l’État et les citoyens sont soumis aux mêmes normes juridiques sous le contrôle d’une justice indépendante et impartiale »

En termes de modernisation du rôle des partis politiques, l’article 4 du projet de loi prévoit : « Ils (les partis politiques) œuvrent à la formation des citoyens, à la promotion de leur participation à la vie nationale et à la gestion des affaires publiques ». Prétendre à travers cette disposition moderniser les partis politiques relève du leurre.

Il en est de même du point de la réforme visant au renforcement des droits de l’opposition et de son Chef. En effet la Constitution consacre dans son préambule la reconnaissance de « l’opposition comme un pilier fondamental de la démocratie et un rouage indispensable au bon fonctionnement du mécanisme démocratique ». Le projet n’apporte rien de plus si ce n’est le statut d’un chef de l’opposition déjà invoqué par le Président Abdoulaye Wade.

La constitutionnalisation des principes de la décentralisation relève du remplissage tant ces principes sont définitivement ancrés et ont été concrétisés jusqu’à leur troisième génération. Il apparait ainsi que cinq points du projet de réformes sont des redites qui n’apportent rien de nouveau. D’autres points ne constituent pas des avancées. Il en est ainsi des points 3, 9,11 et 12.

La création du Haut Conseil des Collectivités Locales qui ajoute à l’embouteillage institutionnel va engendrer des coûts colossaux qui ne se justifient que par la volonté de satisfaire un allié majeur et de caser la clientèle politique. Le Sénégal a d’autres urgences.

L’élargissement des pouvoirs de l’Assemblée Nationale prévu par le point 9 serait plus pertinent si la disposition verrouillant la possibilité pour les députés de déposer des propositions de loi était réformée afin de faire de l’Assemblée Nationale un acteur majeur de la conception des lois et non une simple chambre d’enregistrement des projets de lois élaborés par l’Exécutif.

L’augmentation du nombre des membres du Conseil Constitutionnel de 5 à 7 membres aurait présenté de l’intérêt si le mode de désignation garantissait la diversité dans sa composition. La désignation par le Président de la République des deux membres supplémentaires sur une liste de quatre proposée par le Président de l’Assemblée Nationale confirme le caractère exorbitant des prérogatives du Chef de l’Exécutif. À cet égard, il n’est pas sans intérêt de rappeler que dans le programme Yoonu Yokkuté du candidat Macky Sall, il était prévu un Conseil Constitutionnel de 7 membres dont les trois sont désignés par le Président de la République, les 2 par l’Assemblée Nationale (1 par la majorité parlementaire et 1 par l’opposition parlementaire) et les 2 autres par la Conseil Supérieur de la Magistrature.

Il apparait au total que 9 des 15 points manquent de pertinence ou n’ont pas de caractère consolidant.

  1. Sur la crédibilité et la bonne foi

Mesuré à l’aune de la crédibilité et de la bonne foi, le projet de réformes ne mérite aucune considération. En effet un texte n’a aucune valeur en tant que tel. Sa crédibilité résulte des valeurs et de la bonne foi, démontrées par son initiateur. Que peuvent valoir des réformes proposées par un Président de la République qui trahit sa parole maintes fois réitérée ?

Force est de constater qu’entre le Président de la République et des franges importantes du peuple la confiance est rompue. Cette rupture de confiance constitue un motif d’autant plus rédhibitoire que les actes posés par le Président de la République sont aux antipodes des objectifs assignés au projet de réformes

  1. Sur la cohérence

Le projet de réformes est sensé renforcer la démocratie et consolider l’État de droit. Tous les actes posés par le Président de la République et son camp faussent la démocratie et violent l’Etat de droit. Voilà les faits qui le démontrent à suffisance. Le Président a décidé seul du contenu des réformes et de la date du référendum. À postériori, il s’était engagé à discuter avec toutes les parties prenantes, il ne l’a pas fait et s’est donc dédit.

Le Président de la République et son camp ont lancé la campagne électorale avant l’ouverture officielle de celle-ci en violation de la loi. Le Président de la République et son camp se sont accaparés la RTS pour promouvoir à outrance le Oui en faisant totalement fi des recommandations de la CNRA qui a fini par avouer son impuissance.

Le Président de la République et son camp usent de la corruption pour convaincre nos concitoyens de voter Oui, faussant ainsi l’expression libre du suffrage qui constitue un principe élémentaire de la démocratie. Le Président de la République et son camp mènent leur campagne avec les moyens de l’État en violation des principes de l’éthique républicaine. Au regard de ce qui précède, il n’est pas permis de croire à la sincérité de la volonté du Président de la République et son camp de renforcer la démocratie et de consolider l’État de droit.

Ce manque de sincérité et ce déficit de volonté politique du Président de la République résultent de manière significative des choix opérés dans la sélection des propositions à soumettre au référendum. Le Président de la République a totalement occulté les propositions majeures porteuses de transformation et de rupture et a préféré nous soumettre des « réformettes » sans consistance.

Les sénégalais qui se sont exprimés lors des consultations menées sur des bases scientifiques par la CNRI souhaitent une refondation du pays qui passe nécessairement par la mise en œuvre de réformes substantielles et transformatrices parmi lesquelles on peut citer :

– L’incompatibilité des fonctions de Chef de l’État et de chef de parti ;

– La réduction des pouvoir exorbitants du Président de la République par la mise en place d’un système d’équilibre des pouvoirs ;

– Le renforcement des pouvoirs de l’Assemblée nationale ;

– Le renforcement de l’indépendance de la Justice avec la réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature et l’instauration de l’autonomie financière ;

– L’indépendance des corps de contrôle ;

– La consécration de la neutralité, de l’impartialité et de l’apolitisme de l’Administration ;

– L’appel à candidature pour les postes de direction.

Il suffit de rapprocher ces réformes des « réformettes » discrétionnairement proposées par le Président de la République pour constater que le projet de réforme soumis au référendum relève du bluff.

La seule manière de sanctionner le reniement du Président de la République et l’inconsistance de ses réformettes est de voter massivement NON pour lui imposer un rapport de force politique permettant de créer les conditions de mise en œuvre des réformes majeures porteuses des ruptures dont notre pays besoin.

Auteur: Me Mame Adama Gueye – Contributions

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