Le Professeur Aly khoudia Diaw, étudie ici la “valeur” de hommes politiques au Sénégal.
« Politiciens sénégalais, du berceau à la tombe, deniers publics rék »
Le procès de Khalifa Sall n’a pas encore révélé tous ses secrets. Mais de ce qu’il nous est donné d’entendre durant ce début de procès, c’est que la caisse d’avance ou les fonds politiques de la ville de Dakar, c’est selon, était (en) a servi à beaucoup de personnalités politiques, personnalités de la musique, et même à des chefs religieux. En tout cas des personnalités de premier rang. Vous et moi ne seront pas convoqués au tribunal car on ne savait même pas que cela existait. Et même si on savait, il n’est pas sur qu’on en bénéficie car nous n’en faisons pas partie.
C’est donc une affaire de politiciens et de personnalités. De même, en regardant la marche de l’opposition du vendredi, j’ai fais le constat que peut être d’autres sénégalais avaient fait, c’est à dire que finalement ce sont les mêmes qui défilaient contre Diouf, qui ont défilé contre Wade et qui défilent aujourd’hui contre Macky. Les mêmes acteurs, encore et toujours. Mais déjà on peut bien se poser un certain nombre de question, notamment sur la vraie valeur des hommes politiques qui nous dirigent et qui sollicitent nos suffrages à chaque occasion.
Il faut le dire très clairement, ils ne sont pas mauvais. Parmi eux on trouve des chanceux, genre Diouf, des guerriers qui ont accédé au pouvoir à force d’endurance et de persévérance comme WADE, des martyrs comme Macky. On trouve aussi des personnalités politiques avec de réelles chances qui leurs ont valu des tracasseries judiciaires pour briser leur envol, c’est l’exemple de Idrissa, de Karim et de Khalifa, mais aussi des jeunes qui peuvent nous valoir beaucoup de satisfaction à l’avenir comme Malick Gakou, Thierno Bocoum, Ousmane Sonko, etc. Mais il faut aussi savoir que nous sommes au Sénégal et dans cette partie du territoire des humains, pour certains acteurs, la politique est un métier, un moyen de promotion économique et sociale extraordinaire, un moyen de s’enrichir rapidement et à peu de frais.
Oui les politiciens sénégalais n’ont inventé ni la poudre ni la boussole, ils n’ont inventé aucune formule mathématique, aucun algorithme et n’ont créé ne serait-ce que le plus petit emploi. Ils n’ont jamais rien su faire de leurs propres mains. Et ils sont dans toutes les obédiences c’est-à-dire qu’ils sont socialistes, libéraux, communistes et capitalistes à la fois. Et c’est cela le drame. Parce qu’avec une telle conception de l’idéologie, la transhumance devient facile. Parce que pour pouvoir prétendre diriger un pays, il faut savoir faire ses preuves personnelles dans le domaine du management et de l’entreprenariat, ou en termes simples, justifier d’une méritocratie, c’est-à-dire être méritant au moins de quelque chose.
Savoir construire sa propre voie avant d’indiquer la voie aux autres, avoir les capacités de monter et de gérer sa propre entreprise avant de parler d’entreprenariat, bref « se laver d’abords avant de demander aux autres de le faire ». A la suite d’Emile Durkheim, je dirais que « les rapports que les sénégalais entretiennent avec la classe politique sont des rapports négatifs, parce que simplement ces rapports ne changent pas la structure fondamentale de la société, ils les laissent en l’état ».
Le Sénégal est le seul pays au monde ou un politicien peut, de sa naissance à sa mort ou du berceau à la tombe, ne vivre que de deniers publics, jusqu’à la fin de sa vie : écoles publique, fonction publique, responsabilités publiques, logement public, véhicule du service public, salaire du service public, prise en charge médicale par le service public et même au moment de vous transporter à votre dernière demeure, c’est un corbillard de l’administration publique qui vous y dépose.
La détresse des sénégalais est énorme, nos femmes meurent chaque jour de cancer par manque de soins, nos professeurs d’université qui ont consacré toute leur vie à l’éducation et qui nous ont valu aujourd’hui un état et une nation meurent de détresse à cause de la précarité qui les guettent, nos jeunes diplômés sont si désemparés que la drogue, la délinquance et l’exil forcé sont devenus leur seul refuge, nos pères succombent juste après la retraite car la relève générationnelle fait défaut parce que simplement en face nous avons des politiciens qui ont perdu le sens des priorités, le sens de la dignité et la juste mesure des choses. Il faut oser se dire les choses en face, ce pays là, malgré des efforts certains, ne marchent pas comme cela devrait.
Certes nous avons de très bonnes politiques publiques mises en œuvre par l’administration sénégalaise, mais la gestion politique et la gestion du capital humain posent problèmes. J’ai eu l’occasion de le dire, il y’a trop de contentieux sociaux. Les fonctionnaires s’appauvrissent de jour en jour et la précarité gagne les ménages et les personnes, et de plus en plus, solliciter quelqu’un est devenu intolérable. Dans ce pays il semble que la méritocratie ne revienne qu’aux masses laborieuses, paysans, éleveurs, pécheurs, entrepreneurs privés, fonctionnaires à équidistance des partis qui n’ont que leur savoir et leur force de travail à vendre. Et c’est dans ce climat tendu que nous entendons que le président de la république, de grands musiciens, de grands marabouts, ont reçu des fonds indus.
Nous sénégalais, devons sérieusement revoir notre option, nos choix sur les hommes politiques qui prétendent nous diriger. En attendant d’avoir un bon profil parmi les politiciens d’aujourd’hui, je pense qu’il faut commencer à chercher « quelqu’un qui incarne un leadership transformationnel et qui est capable de signer un pacte avec le peuple ». Alors cherchons, mais surtout cherchons bien et à mon avis lorsque nous parlons de leadership transformationnel, il s’agit d’une personne capable d’opérer des ruptures extraordinaires, et pour opérer des ruptures extraordinaires, il faut être un « homme premier » au sens hégélien du terme.
Nous cherchons, nous sénégalais, quelqu’un qui, une fois président de la république n’est plus chef de parti, nous cherchons quelqu’un qui ne considère pas le parti qu’il a participé à créer comme son patrimoine propre, nous cherchons un président qui n’est plus chef de la magistrature, et qui n’a aucun moyen d’instrumentaliser la justice, nous cherchons un président qui n’abuse plus du délit d’offense au chef de l’état pour emprisonner ses adversaires politiques, nous cherchons un président qui n’est plus patron de l’IGE et qui profite de ses décrets pour en nommer au lieu de laisser libre cours à la méritocratie. Nous cherchons un président qui ne nomme pas ses fils ou ses frères parce que simplement il a le pouvoir du décret. Nous cherchons un président qui place l’intérêt du peuple sénégalais au dessus de tout et qui ne s’agenouille pas devant la France. Nous cherchons un président qui considère tous les sénégalais aux mêmes pieds et qui soit à équidistance des intérêts partisans de clans ou de parti. Nous cherchons un grand homme, un grand monsieur, nous cherchons un homme qui préfère l’éternité à l’intérêt immédiat, un homme qui reste dans l’histoire plutôt qu’un homme qui se contente du présent. Nous cherchons un homme pieux, honnête et intègre, d’une capacité de dépassement et de pardon extraordinaire qui le place en position de référence pour les simples d’esprits que nous sommes.
WEBER parle « d’idéal – type », Emile Durkheim parle de « ravitailler moralement la société », mes étudiants qui sont habitués à mon discours vous diront que je parle de quelqu’un qui incarne « un leadership transformationnel ». Ce profil, je ne suis pas sûr de le trouver dans la classe politique actuelle. A un journaliste qui lui demandait ce qui expliquait sa longue carrière et présence sur la scène politique française, Jacque Chirac répondit en disant ceci : « En politique, il faut de l’espoir, de l’endurance et de la persévérance. Le temps fera le reste. »
Nos hommes politiques ne peuvent même plus susciter l’espoir, ne sont pas endurant et ne peuvent pas être persévérant car ils trouveront un prétexte quelconque avant pour transhumer. Alors cherchons du coté de nos entrepreneurs privés, cherchons dans notre privé national, cherchons parmi nos grands hommes d’entreprise, qui sont des centaines, voir des milliers et que personne n’entend, cherchons dans la diaspora, cherchons parmi nos femmes leaders et entreprenantes, car eux ou elles, au moins, sont déjà dans le domaine de la méritocratie.
Et une fois qu’on l’aurait trouvé, forcément on lui fera signer un pacte avec le peuple. Eh oui, que voulez vous, nous sommes au Sénégal, pays le plus avancé en matière de « wakhe – wakhete » politique.
Dans la vie de tous les jours il arrive que l’on se trompe de décision, de choix, parfois de perception et même d’appréciation. Il faut simplement éviter de se tromper tout le temps. Et justement au Sénégal on commence par trop se tromper sur le choix de nos dirigeants.
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