Amadou Makhtar Mbow brise le silence et dit tout ! Il est d’abord retourné à l’Unesco (1974-1987) où son nom restera à jamais graver dans les annales avec le fameux NOMIC (Nouvel Ordre Mondial de l’Information et de la Communication) et ses bisbilles avec les Etats-Unis d’Amérique. Dans l’interview exclusive qu’il a accordée au groupe Sud Communication (Sud Quotidien et Sud FM Sen Radio), le Professeur Mbow revisite les Assises nationales qui avaient sorti Me Abdoulaye Wade, alors président de la République, de ses gonds mais aussi la controverse née de la publication du rapport de la Commission nationale de reforme des institutions (CNRI) qu’il a également pilotée. Ayant toujours répondu à l’appel du peuple, nonobstant ses 96 ans, Mbow, telle une bibliothèque ambulante, nous retrace avec précision le film des douloureux événements de décembre 1962. Entre anecdotes et confidences, il admettra que l’envol du Sénégal a été plombé par la rupture entre Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia et que l’indépendance d’alors n’en est était une. Aujourd’hui, non plus.
«Naissance de l’UPS»
«Nous décidons alors d’adhérer au parti de Senghor. Mais avant de le faire, nous sommes allés quand même voir les autres partis, notamment Lamine Guèye, l’UDS et d’autres. Nous leur avons dit que nous allons dans le parti de Senghor qui était d’accord en faisant un appel pour l’unification des partis politiques. C’est de là qu’est sorti l’UPS. Et nous avons unifié les partis sénégalais. Nous avons voulu unifier les partis de l’Afrique de l’Ouest. La RDA n’est pas venue avec nous. Mais nous avons tenu un congrès à Cotonou, en juillet 1958, et ce congrès constitutif, sans la RDA, a créé le PRA (Parti du regroupement africain) et qui a opté pour l’indépendance immédiate, la fédération africaine, la confédération avec la France disant: «nous ne pouvons pas discuter avec la France tant que nous n’avons pas, nous-mêmes, notre indépendance. Et, notre indépendance, nous la voulions avec la Fédération africaine».
En 1958, le conseil de l’UPS se réunit à Rufisque. Senghor et Mamadou Dia optent pour la communauté. Nous, nous disons non. Nous sommes pour l’indépendance et nous quittons le Congrès pour créer, dans la nuit même, chez Gabin Guèye, à Rufisque, le Parti du regroupement africain Sénégal (PRA/Sénégal) en disant: «nous restons fidèles au mot d’ordre de Cotonou».
Nous quittons le gouvernement. J’étais ministre de l’Education, de la Culture, de la Jeunesse et des Sports ; Latyr Camara était ministre de la Fonction publique ; Jaraf Diouf était ministre des Travaux publics ; Abdoulaye Ly avait été ministre du Commerce mais il avait auparavant démissionné. Nous avons, à notre tour, démissionné et formé le PRA/Sénégal et nous avons continué notre bataille pour l’indépendance du Sénégal. Evidement, nous avons perdu le référendum, mais nous avons continué à lutter.
La visite de De Gaulle à Dakar
Le Général Charles De Gaulle est venu à Dakar en 1958. Je n’y étais pas. Lamine Guèye et le gouvernement dont je faisais partie, l’ont reçu par la voix de Valdiodio Ndiaye. Evidemment, les étudiants sénégalais en France et les étudiants sénégalais à Dakar, qui étaient pour l’indépendance, tiendront une manifestation avec les partis politiques, comme l’UDS d’ailleurs, mais également l’UPS. Le mot d’ordre de Cotonou était l’indépendance. En ce moment, on n’avait pas encore fait la réunion de Rufisque où Senghor et Mamadou Dia vont nous entrainer dans la communauté.
Nous nous sommes réunis à Rufisque pour le conseil de l’Ups. Senghor et Dia disent qu’ils vont opter pour la communauté. Dia expliquera pourquoi. Je rappelle que quand Dia est venu à Cotonou, Senghor devait faire le rapport politique, mais il avait refusé de nous le donner.
J’étais dans la délégation sénégalaise avec Abdoulaye Ly. Pr Assane Seck devrait y être, mais à la dernière minute, il y a eu quelqu’un de sa famille qui était malade. La majorité était pour l’indépendance immédiate. On s’est réuni et on a dit à Mamadou Dia: «Senghor refuse de nous donner le rapport politique qu’il a fait mais nous sommes pour l’indépendance immédiate». Mamadou Dia répond: «je suis la majorité».
Il a défendu qu’il était pour l’indépendance immédiate à Cotonou. Après, parait-il que Senghor lui a dit : «Mamadou, j’ai promis à De Gaulle et à Pompidou de voter pour la communauté». Dia dit à Senghor que ce n’est pas possible. Senghor lui dit : «rentrons dans la communauté et au bout de quelque temps, on demande à sortir».
Quand on a fait Cotonou, ils ont obtenu de De Gaulle qu’on mette dans la nouvelle Constitution qu’on peut sortir de la communauté. Senghor a dit à Dia que nous ne sommes pas prêts pour l’indépendance. On demandera l’indépendance quand on sera prêt. Dia lui a répondu: «dans combien de temps ?» Senghor aurait dit : «dans 25 ans !».
Je n’étais pas là, je ne peux pas te dire comment ça s’est passé. Mais, quoi qu’il en soit, quand ils sont venus, ils ont fait la fédération avec le Mali. De Gaulle a dit: «on construit maintenant des gouvernements autonomes, la France s’occupe de la défense et des affaires étrangères, tout le reste dépend de la communauté. Il devait y avoir un gouvernement de la communauté en France qui n’a pas été créé. Bref, le Mali est constitué et c’est la fédération du Mali qui va demander l’indépendance. Et c’est Mamadou Dia qui ira signer l’indépendance. De Gaulle n’a pas voulu donner l’indépendance à la fédération malienne, il a voulu donné l’indépendance aux Sénégalais et au Soudan. Evidemment, on a eu l’indépendance. Il y a eu l’éclatement de l’indépendance parce que les Soudanais voulaient donner la présidence du Mali à Lamine Guèye or, Senghor et le Sénégal voulaient la présidence du Mali.
Mais quand de Gaulle était venu, il y a longtemps, Senghor et Dia étaient absents. Mamadou Dia lui, avait le glaucome. Il était parti se soigner en France. Ils ont laissé donc les seconds couteaux s’arranger avec De Gaulle.
«L’indépendance n’a jamais été une indépendance»
«Nous, nous étions dans l’opposition. Il y avait, à mon avis, une divergence politique profonde entre Mamadou Dia et Léopold Sédar Senghor. Les orientations n’étaient pas les mêmes. Mamadou Dia est allé en Russie ou quelque part dans un pays du bloc de l’Est. N’oubliez pas que nous sommes en pleine guerre froide et on reprochait certainement à Mamadou Dia de vouloir s’approcher des soviétiques. Mais en réalité, l’indépendance n’a jamais été une indépendance. Il faut être honnête et dire les choses telles qu’elles sont. On nous a donné l’indépendance, mais il faut reconnaitre que toutes nos orientations allaient dans le sens des intérêts français et des intérêts français qui existaient ici au moment de la colonisation même à l’heure actuelle, nous en sommes encore là.
Il faut être honnête. Evidemment, est-ce qu’on pourrait choisir une autre voie ? Certains diront non, d’autres diront oui. Nous, nous disions, qu’il fallait quand même rompre avec le système colonial, c’était notre option quand nous étions en France. Nous nous disions: «nous n’aurons justes que des relations amicales et cordiales avec la France. Je l’ai fait d’ailleurs à l’Unesco. Mais nous disons que la colonisation c’est fini ! Il faut en finir avec toutes les structures nées de la colonisation. Il faut que nous prenions nos responsabilités, il faut que nous essayions de bâtir notre nation, nous-mêmes, par nous-mêmes, avec nos moyens».
Où se situe l’échec ?
«Je ne veux pas situer de responsabilités. Je peux simplement redire une chose. C’est que nous, nous sommes revenus en politique avec Senghor en 1966. C’est le PRA qui va négocier avec Senghor, pas moi. Des bruits courraient, des rumeurs dans les années 1964 faisant état d’un coup d’état au Sénégal. On a même cité les noms d’officiers, mais je ne les cite pas, parce qu’en réalité ils n’ont pas fait de coup d’Etat.
En 1967, quand je suis affecté, on est venu me chercher, on m’a demandé de venir servir à l’Ecole normale supérieure pour former les professeurs de premier cycle de l’école de l’enseignement secondaire, aussi bien du point de vue historique, géographique et pédagogique. Un beau jour, un des amis de mon oncle, Mix Guèye, m’interpelle: «Il y a un de ses amis, Jean Alfred Diallo avait voulu me connaître». Il est arrivé au Sénégal comme capitaine et comme commandant du génie militaire français à Bargny et il avait suivi mon parcours comme ministre de l’Education sous la loi Cadre. C’est moi qui avais créé les collèges d’enseignement général. Pourquoi ? D’abord j’ai créé les collèges parce que quand je suis devenu ministre en 1957, le concours d’entrée en 6ème a lieu en juin. Il y a eu beaucoup d’élèves admis en 6ème. J’ai demandé à l’inspecteur d’académie, il me dit: «on ne peut admettre que selon les disponibilités dans les lycées et collèges qui existaient». Or, il n’y avait que les lycées Faidherbe et Peytavin à Saint-Louis (technique), les Collèges Maurice de Lafosse, le lycée Van Vo Dakar, le Collège Blanchot à Saint-Louis. Ça ne faisait pas la moitié des élèves qui avaient la moyenne.
J’ai dit qu’il faut qu’on les recrute tous. Je suis allé en France pour recruter les bons instituteurs pour les affecter dans les 6ème et des Professeurs.
Jean Alfred Diallo me dit: «je sais que vous êtes dans l’opposition. J’ai dit au président (Senghor) que le pays ne peut plus continuer comme ça». Il me dit ensuite: «il y a des ministres qui sont non seulement incompétents mais aussi corrompus. J’ai dit au président que les gens compétents sont à l’extérieur, dans l’opposition».
Je lui ai répondu: «Jean Alfred, si Senghor veut discuter, il n’a qu’à discuter avec l’opposition et avec le PRA, pas avec moi. Je ne suis pas l’opposition».
Par la suite, le PRA s’est réuni. Il y avait évidemment des points de vue différents. Il y en a qui étaient d’accord avec Senghor, d’autres non. Mais nous nous sommes réunis en Conseil national. Senghor a fini par s’adresser au PRA. Je ne cache pas que j’ai rencontré Senghor à l’époque et je lui dis: «je ne discuterais pas avec vous des problèmes politiques. Vous allez le faire avec le PRA/Sénégal dont je suis membre».
Senghor a dû appeler Abdoulaye Ly qu’il avait mis en prison. Sur les raisons de l’arrestation de Abdoulaye Ly, j’ai demandé à ce que son communiqué soit signé par tous les membres du Bureau politique. J’ai dit à Senghor nous mettra tous en prison ou ne mettra personne en prison. Abdoulaye Ly qui état le secrétaire général du parti, a voulu épargner les autres.
Senghor l’a appelé et a discuté avec lui jusqu’à ce qu’on soit d’accord qu’il y ait une négociation. Je n’ai pas fait partie de la délégation du Pra/Sénégal qui a négocié avec Senghor. On a constitué une délégation avec Abdoulaye Guèye et d’autres. On a négocié et Senghor était d’accord avec nous sur, d’abord, qu’on change l’orientation politique. Malheureusement, ça ne s’est pas fait et ça a abouti aux événements de 1968».
Ce que les Sénégalais ignorent des événements de 1968
«En 1968, il y a eu quelque chose que les Sénégalais ne savent pas. Il y a eu une délégation militaire qui est allée voir Senghor. Un de mes neveux en faisait partie pour régler les problèmes et dire à Senghor qu’il faut discuter avec le syndicat pour lever la grève.
En réalité, quand Senghor est arrivé, parait-il, il leur a dit: «vous prenez le pouvoir, faites ceci, faites cela». Ils ont répondu: «Non Président ! Nous ne sommes pas venus pour prendre le pouvoir. Vous êtes le Président, c’est vous qui avez le pouvoir, mais nous demandons de faire ceci, ceci, cela pour sauver le pays».
Le Sénégal est un pays assez singulier dans la mesure où nous sommes un pays attaché à certaines valeurs démocratiques. Les militaires n’ont jamais considéré qu’ils doivent prendre le pouvoir. Ils ont d’abord une éducation africaine qui les y écarte. Ensuite, ils ont une éducation moderne qui les y écarte. Nous ne sommes pas des aventuriers, c’est ça notre avantage. Les gens sont éduqués de telle sorte, il y a eu peut-être quelques uns qui ont été tentés par l’aventure, je le sais (éclats de rire) mais qui n’ont pas réussi à entrainer leurs camarades dans l’aventure. Quoi qu’il en soit, Senghor demande à Alfred Diallo de lui faire une proposition. Alfred Diallo, lui demanda d’écarter des gens du gouvernement. J’ai la note dans mes archives quelque part. Jean Alfred Diallo a agi de façon très diplomatique. Il n’a pas dit qu’ils étaient venus dire à Senghor de ne pas changer les choses. Il a dit : «vous m’avez dit de vous faire des suggestions, voici les suggestions». Jean Alfred Diallo était un homme de grande qualité humaine mais les gens ne le connaissent pas.
Selon certains, l’envol du Sénégal a été plombé par cette rupture entre Senghor et Mamadou Dia ? Est-ce votre avis ?
Ça a certainement joué un rôle. Les points de vue étaient différents sur la façon de percevoir le Sénégal. Il faut reconnaitre que Mamadou Dia était un homme très têtu, il croyait au pays, il a fait des erreurs. Ce sont ces erreurs qui l’ont perdu. Ces erreurs, c’est le renvoi des fonctionnaires en 1959. Moi, j’ai été suspendu en 1959. Mais Senghor m’a envoyé son chef de cabinet pour me dire qu’il n’en était pour rien, que c’était Mamadou Dia. Pourtant, j’étais un proche de Mamadou Dia quand nous étions dans le gouvernement. Il était un grand patriote, il a peut-être commis des erreurs, comme tout le monde en commet. Mais, je crois qu’il y a eu plusieurs évènements qui ont contribué à créer la situation».
L’école sénégalaise d’hier à aujourd’hui
«Au Sénégal, il y a du tout. Il y a des meilleures personnes du monde, comme on trouve également des gens qui ne sont pas bien du tout dans ce pays. Mais, ce pays avait des valeurs. Il y a des choses qu’un sénégalais ne pouvait pas se permettre de faire en regardant les autres sénégalais en face.
Notre génération avait été élevée comme ça, peut-être qu’il y a eu d’autres qui l’ont commencé. Parce que les gens s’entraidaient. Nos pères nous avaient appris, nous, qu’on n’était pas seul au monde, qu’on ne pouvait pas manger alors que nos voisins n’avaient pas mangé. On nous élevait pour que jamais, on nous mente. On nous élevait dans la solidarité, dans la responsabilité. Mêmes gosses, nous étions responsables dans nos familles. Nous étions responsables vis-à-vis de nos voisins. Moi, je le crois avoir transmis à mes enfants. Quand je suis allé en France pour la première fois, en 1940, à mon retour, ma tante me dit: «Makhtar, tu es allé jusqu’en France. Mais, est-ce que tu es allé une seule fois chez ton grand-père ?».
En 1941, je suis allé au village natal de mon père, de mon arrière grand-père, du côté de mon père à Ngaye. Et, depuis ce temps, je suis lié aux gens de Mekhé, de Ngaye».
Relations et amour pour Haïti
«J’ai épousé une haïtienne. Haïti est un pays extraordinaire. J’ai connu ma femme à Paris, à la Sorbonne, elle était étudiante en histoire comme moi. Son père était ambassadeur à Bruxelles. Nous nous sommes connus, nous avons noué des relations amicales et nous sommes fiancés, nous nous sommes mariés. Son père était un universitaire et un diplomate à Bruxelles. J’étais comme un fils pour mon beau-père parce qu’il n’avait que des filles. Son parcours me rappelait un peu le mien. Mon beau-père a été mis en prison pendant 5 ans par son propre cousin, par le ministre de l’Intérieur, parce qu’il était consul général d’Haïti à Saint Domingue. Il avait dénoncé le ministre de l’Intérieur qui trafiquait les Haïtiens comme des esclaves avec des Planteurs de la République dominicaine.
Il a alors démissionné de son poste, il est revenu à Haïti, a fondé son parti et s’est mis à attaquer ce ministre de l’Intérieur. Il est arrêté et mis en prison. Mais sa chance, c’est que le chef de la prison qui était un colonel avait beaucoup d’admiration pour lui. Quand ma femme allait le voir en prison, ce n’était pas au parloir, c’était au bureau du commandant du camp.
La famille de ma femme était une famille d’intellectuels, des gens qui ont toujours combattu au côté du peuple. Ma famille est très liée aux gens de mon village».
Ma famille avant tout
«Quand on est venu me chercher pour présider les assisses nationales, avant de répondre, j’avais consulté tout le monde. J’ai consulté ma femme, mes enfants parce que je me suis dit que tout ce que j’engage dans ma vie, a des répercussions sur ma famille.
Mes enfants, je les ai toujours mis au courant. J’ai toujours élevé mes enfants en leur disant: «votre père fera tout ce qu’il peut pour vous, mais c’est par votre propre travail que vous arriviez à quoi que ce soit».
Wade, moi et les assises nationales
«Avant d’accepter d’être président des Assises, je suis allé voir Abdoulaye Wade. J’ai consulté les membres de ma famille, j’ai consulté Abdoulaye Wade. J’ai consulté aussi des amis qui me sont chers comme Mamoudou Touré, Cheikh Hamidou Kane etc. parce que ce sont des gens avec lesquels j’ai été de très grands liens et tous m’ont dit d’accepter. Quand je suis allé voir Wade, il était avec quatre personnes de son parti. J’étais seul. Je lui ai dit: «Abdoulaye, je suis venu te consultait pour te dire pourquoi j’ai accepté de présider les Assises nationales et je te demande de venir aux Assises». Je lui ai dit: «Abdoulaye, Dieu a beaucoup fait pour le Sénégal. Au lieu de passer notre temps à vous battre les uns et les autres, pourquoi ne pas se mettre ensemble, faire l’analyse de la situation du pays depuis l’indépendance, voir pourquoi depuis l’indépendance, on n’a pas pu résoudre les problèmes essentiels, comme donner du travail aux populations, permettre à chacun de vivre décemment».
Et il me répond: «Non, moi, je ne viens pas aux Assises parce que ces gens-là ne me reconnaissent pas» ; et il avait raison. Les gens ne le reconnaissent pas. Je suis parti et j’ai donné mon accord pour présider les Assises. Au bout de quelques temps, Wade m’a appelé pour me dire: «Makhtar, j’ai besoin de te voir». Je ne vous dirai pas ce qu’il m’a dit, mais ce n’est que de bonnes choses. Je lui ai posé la question de savoir: si depuis que je préside les assises, est-ce qu’il a entendu une seule personne dire qu’elle ne te reconnait pas. Je lui ai dit: «tu n’as pas lu mon discours ?». Dans le discours, j’ai dit que je reconnaissais le gouvernement en place, nous ne ferions rien dans les Assises qui puisse contribuer à porter préjudice à son gouvernement mais nous sommes des Sénégalais, d’un pays libre et indépendant, que nous avons le droit et même le devoir, de réfléchir sur les problèmes de notre pays et que nous le ferons. Il m’a dit OK. C’est tout !
La suite, on la connaît ?
Oui ! La suite, on l’a connaît. J’ai accepté de présider la Commission nationale de régulation des institutions (CNRI). Je l’ai présidée, c’est moi-même qui ai choisi les membres. Je les ai proposé au Président et il les a accepté. Nous avons donné des résultats et nous pensons, je pense, que c’est l’une des meilleures Constitutions qu’on ait faites pour le Sénégal. Maintenant, d’autres peuvent avoir des points de vue différents. Mais, ce que je peux dire, c’est que malgré que nous nous venions des horizons très divers, nous avions réussi à nous mettre d’accord sur le contenu de la Constitution.
Vous n’avez pas de regrets que ce travail soit rangé dans les tiroirs. Pis, que le conseiller juridique du Président de la République déchire même votre «Constitution» en soutenant que vous avez outrepassé vos compétences ?
J’ai simplement publié la lettre que le président de la République nous avait envoyée. Mais, je ne polémique pas. Il est jeune. La vie lui apprendra beaucoup de choses, ce conseil du Président (Professeur Ismaïlia Madior Fall, Ndlr).
Moi, je crois que nous avons fait notre devoir, nous avons donné une Constitution, le reste ça intéresse le Président de la République et le peuple sénégalais.
Votre nom est lié au NOMIC à l’Unesco, aux Assises nationales, à la CNRI. Qu’est ce qui n’a pas marché pour que les gens ne vous suivent pas dans votre volonté de changer les choses ?
Ah non ! En ce qui concerne le NOMIC (Nouvel ordre mondial de l’information et de la communication, Ndlr) je ne peux pas dire que les gens ne m’ont pas suivi quand même. Il est vrai que certains pays ont été convaincus sur les propositions que j’ai faites mais, en réalité, il y a eu beaucoup de choses qui ont changé en ce qui concerne l’information. N’oubliez pas que quand on fait le Nomic, le Sénégal n’avait pas un journal indépendant et libre. Et c’est Sud qui était le premier. Et nous vous avons quand-même aidé dans le cadre du PIDC (Programme international de développement de la communication).
Nous avions essayé de changer les mentalités. On a eu des acquis en ce qui concerne le NOMIC.
L’information joue un très grand rôle dans le monde, d’ailleurs on l’appelle même le quatrième pouvoir dans beaucoup de pays. Malheureusement, nous avons constaté que l’information est souvent manipulée par tous les pouvoirs, politique, syndical, religieux, professionnel, entre autres. Tout le monde veut manipuler l’information en fonction de ses intérêts et non pas en fonction de la réalité de telle sorte que l’information qu’on diffuse dans le monde n’est pas toujours correcte, même si on ne peut pas dire qu’il n’y pas d’information correcte. Il y en a mais, quand-même, il y a beaucoup de désinformation.
A l’époque, il n’y avait que les 4 grandes agences de l’information (Afp, Tass, Upi et AP). Quand je disais aux journalistes que j’ai participé à nos événements, quand c’était rapporté, on donnait les noms des journalistes qui signaient des dépêches pour rendre compte des évènements auxquels j’étais mêlé. Quand je leur disais: «mais ce que vous avez raconté, vous savez que c’est faux !» Il y en a qui me répondaient: «j’ai envoyé une dépêche correcte. Ça a été modifié au desk principal, c’est-à-dire chez les patrons». En parlant du NOMIC, j’ai voulu juste normaliser. Il y a eu des réunions avec des agences de presse, des journalistes et j’ai proposé, étant à l’Unesco, une réunion pour définir une déontologie de la presse, à Paris. J’ai dit qu’on fixe les règles c’est-à dire qu’un journaliste a la responsabilité de ce qu’il écrit et que plus jamais, on ne change une dépêche qu’envoie un reporter. Et que le journaliste doit assumer sa responsabilité. C’est tout !
Pourquoi, les Américains vous ont-ils combattu ?
Les Amériques ! Il y a plusieurs choses. Je crois que les grandes puissances ont toujours tendance à vouloir dicter aux dirigeants des instances internationales quelques unes de leur volonté. Je ne l’ai jamais accepté dans ma vie. Il y a eu des faits, je ne les dirais jamais. Je dois garder des réserves.
Personne dans le gouvernement du Sénégal ne m’a amené à prendre une décision que je ne voulais pas. Au contraire ! J’ai toujours insisté pour qu’on ne fasse pas de mauvais coups. Quand je suis redevenu ministre de l’Education en 1966, j’ai dit à Senghor : «Président, il faut laisser tous les membres du PAI que vous avez condamnés, revenir au Sénégal». Il a accepté. J’ai su que dans le gouvernement, certains ne voulaient pas qu’il accepte.
Vous avez parlé du NOMIC, des Assises, de la CNRI. J’ai un défaut, mais c’est mon défaut et je l’accepte. Il ne faut jamais obliger aux gens d’accepter ce qu’ils ne veulent pas accepter. Mais si vous voulez réunir tout le monde, il faut avoir la patience d’écouter tout le monde et de ne pas considérer qu’on a un point de vue et que ce point de vue est le seul juste. J’ai toujours donc obtenu le consensus même avec le Nomic. Tout le monde a voté y compris les Etats-Unis.
A chaque fois que je présidais quelque chose j’ai toujours eu la patience parce que je respecte tout le monde.
A suivre…
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