AVIS D’INEXPERT : L’actualité, ce n’est pas que la politique…

Quelque part, le journaliste Adama Sow a raison. Dans sa chronique quotidienne sur sa page Facebook, édition du 19 octobre 2017, il se demande «si mes confrères ne sont pas aussi décalés que les politiciens ? «Faram Facce», sur Tfm, ça s’étripe sur… des questions de mandat en 2024 ! Et l’actualité sociale ? Et Aïcha Diallo ? Et les urgences dans les hôpitaux ? Pape Ngagne, tu devrais consacrer ce numéro entièrement à ces préoccupations de l’heure et éviter les sujets politiques trop loin du vécu des Sénégalais.» Ill y eut une époque – et celle-là n’est pas encore du tout révolue à moins qu’elle ne soit à son apogée – où la presse fonctionnait presque à la politique.

Qu’elle soit écrite ou télévisée ou radiodiffusée, elle semble faire sa prospérité sur les sujets et débats politiques. «C’est la politique qui vend», dit-on dans certaines rédactions renvoyant à leurs frustrations les journalistes des deks «Culture», «Société» et autres. Et le «Sport» n’est pas «ostracisé» tant qu’il s’agit de Lions, de Tanière, de Sadio Mané, de Diao Baldé Kéïta et tutti quanti. Imaginez-vous qu’un artiste sénégalais soit rentré d’une cérémonie de remise d’une distinction internationale sans que cet exploit ne soit appelé à la «une». Même pas une oreillette ; ne parlons pas du «ventre» – si si, un journal a un ventre, des oreillettes et même de la «gueule» quand sa «une» est aguicheuse.
Autrement dit, il n’y a pas que la politique.

Croire le contraire ou l’appliquer, c’est conforter le sentiment de jeunes journalistes et étudiants en journalisme et même journalisme qu’il n’y a de journalisme valable et valorisant que celui spécialisé dans le traitement des faits politiques. Certaines fois, quand un stagiaire arrive dans une rédaction, son souhait est de travailler au desk politique.

C’est ce service qui vous permet de rencontrer et faire la connaissance des hommes politiques qui font l’actualité, qui font la une des journaux, qui mènent les grands débats – politiques, bien sûr. Et les «culturels» (entendez les journalistes culturels dont je fus et le reste dans l’âme et dans l’intérêt professionnel et personnel) de se désoler avec leurs textes considérés, pour ainsi dire, comme des «bouche-trous», juste pour remplir un espace dédié ou qui peine à se remplir alors que le journal doit être bouclé. Et ce n’est le lendemain, à l’heure de la critique et de l’autocritique, qu’on avoue que tel texte «culturel» aurait mérité ne serait-ce qu’un appel en «une».

Et ça frime d’être journaliste et d’avoir des amis hommes politiques, de les avoir dans son carnet d’adresses (la richesse de ce répertoire fait le bon journaliste), d’être reçu chez eux et être leur commensal.

Et les «culturels» dans tout ça ? A eux, les artistes un peu ou tout à faits «farfelus», les intellectuels aériens et autres animateurs de cette culture que l’académicien Jean d’Ormesson dans son roman «Histoire du Juif errant» définit comme étant «une vague nébuleuse, incertaine et fragile qui charrie à la fois tant de sottises et de grandeur (…)». Et pourtant, quelle chance de croiser ces «inadaptés» ! J’ai souvent dit et avec beaucoup de conviction que la rencontre avec un politicien n’est jamais désintéressée ; en revanche, celle de l’homme de culture et de l’artiste est gratuite, enrichissante aux points de vue, intellectuel et professionnel.

Dans la plupart des cas, un homme politique ne va au journaliste politique que par le service conscient ou inconscient que ce dernier puisse lui rendre. Mes années de fréquentation et de rencontres assidues avec des artistes me font dire que ces acteurs culturels donnent sans rien – ou si peu – attendre comme les hommes politiques, tous tant qu’ils sont.

Hou la la ! Me voilà bien éloigné du prétexte initial de cette chronique inspiré (le prétexte, s’entend) de la remarque navrée d’Adama Sow, déplorant que des journalistes et autres animateurs d’émissions de radio et de télévision privilégient la politique plutôt que les sujets pertinents de l’heure.

Par ces temps où l’émotion nationale est en verve autour du scandale d’une adolescente morte dans un hôpital à l’accueil et à la capacité d’écoute exécrables, quel journaliste devrait avoir idée d’inviter à débattre de ce serpent de mer d’un «troisième mandat en 2024 pour Macky Sall» ? Ceux que le sujet intéresse et les constitutionnalistes qualifiés, douteux ou dilettantes ont déjà débattu de la question avec une abondance telle que les uns marchaient sur les brisées des autres. En un mot comme en cent, avoir le sens des priorités et de la hiérarchie des sujets fait partie de ce professionnalisme qui est la marque des bons journalistes.

Post-scriptum : Savez-vous d’où vient le mot «clochard» caractérisant les individus en loques, errant et mendiant ? Eh bien, d’après le «cyberprêtre», abbé Roger Gomis, sur sa page facebook, les clochards étaient employés par les prêtres à sonner les cloches et en contrepartie recevaient une aumône en espèce et/en espèces au titre de leurs prestations.

Facebookers aussi sont le ministre Oumar Youm et le président de la République Macky Sall. Et même sur sa page le ministre Youm a promis à un internaute l’ayant interpellé sur cette affaire d’évoquer au chef de l’Etat le calvaire des 1017 agents de santé restés cinq mois sans salaire.

C’est cela communiquer à travers de canaux populaires, rapides, efficaces, directs… Quant au président, en plus de sa page facebook, il est servi par le site web de la présidence de la République dont un des objectifs serait de couper l’herbe sous les pieds des fakes (fausses informations circulant sur les réseaux sociaux).
L’Enquête n° 1897 des samedi 21 et dimanche 22 octobre 2017