Pendant les 5 ans qu’a duré l’actuelle législature, l’Assemblée nationale s’est toujours tristement distinguée. Rixes, insultes, injures, propos déplacés, perturbations de séances, tout y est passé, à cause d’un manque de culture étatique. Les honorables ont tout simplement dépité le peuple.
La 12ème législature qui tire à sa fin aura remporté le triste prix de celle la plus nulle de l’histoire du Sénégal. Et le constat n’est pas loin de faire l’unanimité, puisque les observateurs, les citoyens simples et même des parlementaires reconnaissent cet état de fait. Pour se convaincre de la véracité d’une telle affirmation, il suffit de se rapporter aux nombreux clashs qui ont jalonné son fonctionnement depuis 2012. Certes, des hémicycles ont tout le temps été transformés en ring, même dans les prétendues grandes démocraties, mais c’est généralement sur des questions de fonds ou des positions idéologiques. Au Sénégal par contre, les conflits à l’Assemblée sont dignes d’une borne fontaine.
L’un des cas les plus retentissants reste la bagarre qui avait opposé des députés de l’opposition à ceux de la majorité, au sujet du groupe parlementaire, les Libéraux et démocrates. C’était le 2 novembre 2015. Le Parti démocratique sénégalais et ses alliés qui ne voulaient plus de Modou Diagne Fada comme président de leur groupe parlementaire ont essayé de le déboulonner, en vain. La majorité a décidé de reconnaître Fada, alors que le Pds avait porté son choix sur Aida Mbodji. Pour ne pas laisser passer la ‘’forfaiture’’, les Libéraux, aidés par d’autres collègues, ont décidé de perturber le fonctionnement de l’Assemblée nationale. ‘’Au moment des travaux de la commission avec le ministère de l’Environnement, quatre députés, Oumar Sarr, Thierno Bocoum, Decroix et Aïda Mbodj, se sont introduits dans la salle avec des sifflets. Ils ont tenté de bloquer les travaux. Ce qui est déplorable pour un parlementaire. Mais au moment où je vous parle, on les a fait sortir et les travaux se poursuivent’’, racontait Abdou Mbow, en direct à la RFM.
Mais en vérité, les choses n’étaient pas aussi simples qu’il les avait présentées. C’était plutôt du pugilat au sein de l’hémicycle. ‘’Les travaux sont bloqués depuis 9 heures. On assiste présentement à des cris, des bagarres et insultes’’, raconte Me El Hadji Diouf. Les images filmées avec les téléphones prouveront que c’était une rixe entre représentants du peuple (enfin !). En témoigne la veste d’Oumar Sarr du PDS mise en lambeaux. L’homme a d’ailleurs passé un sale quart d’heure, dit-on. Celui qui se fait appeler l’avocat du peuple va raconter la scène à sa sortie.
D’après Me Diouf, la partie de la majorité a d’abord envoyé des éléments de la sécurité pour les faire sortir. Quand ils ont parlé avec eux, ils ont compris qu’ils n’ont pas le droit de chasser des députés de l’Assemblée. Ils se sont alors retirés. Mais leurs adversaires n’ont pas abdiqué. ‘’Ils ont mis en avant des femmes pour nous attaquer. Mais nous ne nous battons pas avec des femmes. Ce sont des poltrons (qui n’ont pas osé être en première ligne). Ils ont par la suite ciblé certaines personnes, particulièrement Omar Sarr et Aïda Mbodji, pour les blesser. Nous nous sommes interposés pour les arrêter. Woré Sarr, étouffée par la chaleur et se sentant mal, a piqué une crise. C’est à ce moment que nous avons arrêté’’, relate-t-il.
À côté des actes, il y a les gros mots. Pendant le marathon budgétaire pour l’année 2016, le député par ailleurs Grand Serigne de Dakar, Abdoulaye Makhtar Diop, a proposé à ce que le budget du ministère de l’Economie, des Finances et du Plan soit voté sans débat. Me Diouf s’y est alors opposé, regrettant qu’une telle démarche puisse prévaloir pour des ministères stratégiques. L’avocat a eu gain de cause, mais a jugé trop courtes les 3 minutes que lui a accordées le président de l’Assemblée pour dérouler son argumentaire. C’est à ce moment qu’intervient sa collègue Aissatou Diouf. “Kii tekiwul dara (c’est un vaurien, celui-là)’’, lance-t-il en direction de Me Elhadji Diouf. Prompt qu’il est en matière de réponse, l’avocat lui rétorque en wolof : ‘’Sama ñetti jabar yëp ñoola daq. Danga ñaaw, danga salte (mes trois femmes sont plus belles que toi. Tu es vilaine et sale). Piquée au vif, la dame réplique : ‘’Espèce de violeur, doo nitu dara (vaurien)’’. Et Me Diouf de riposter à nouveau, toujours en wolof : ‘’Man jongama yu rafet laa am, yu siwilise… (J’ai de belles femmes, grâcieuses)’’, non sans la traiter de ‘’sale prostituée de Fatick’’. Ce fut alors une pluie d’injures entre eux devant le ministre Amadou Ba, médusé. Une attitude qui a outré Moustapha Niasse qui n’a pas caché sa colère et sa déception. ‘’C’est honteux, c’est dégradant, c’est vil. Lorsqu’un député insulte, c’est tout le peuple sénégalais qu’il insulte. L’Assemblée nationale est l’institution qui représente le peuple’’, sermonne-t-il.
Amath Suzanne, El Hadji Diouf, Aïssatou Diouf, Barth, Moustapha Niasse
Seulement, il n’avait encore rien entendu. Car, en matière de propos déplacés, Amath Suzanne Camara ne saurait avoir un concurrent. Lui qui n’est même pas parlementaire s’est permis d’insulter la mère d’un député, au sein de l’hémicycle. Devinez qui a été sa victime ? L’éternel Me El Hadji Diouf. Encore lui ! C’était en janvier 2016, lors du passage du Premier ministre à l’Assemblée nationale, dans un contexte où l’avocat s’opposait à l’intervention militaire en Gambie. Lorsque le chef du gouvernement s’est dirigé vers le pupitre, Me Diouf s’est mis à l’interpeller. Ce qui n’a pas été du goût de l’enseignant ‘’apériste’’ qui a sorti de sa bouche des insanités qu’il n’est pas question de reprendre. Il se fera d’ailleurs évacué manu militari.
Moins ordurier, mais non moins révélatrice de ce qu’est l’actuelle législature, la bronca qui a eu lieu le 23 mars dernier, lors du passage du gouvernement à cette présente Assemblée. Le Premier ministre, interpellé sur l’affaire Khalifa Sall, s’est demandé ‘’pourquoi un maire, un député devrait être libre de faire tout ce qu’il veut, de commettre des infractions, sans frais’’. Des propos qui ont provoqué l’ire de Barthélémy Dias qui a rappelé au PM qu’il doit informer le peuple et non se transformer en juge. Moustapha Niasse le président de l’institution lui signifie alors qu’il n’a pas la parole. ‘’Vous ne pouvez pas intervenir, vous violez le règlement intérieur’’.
Mais Dias fils n’en a cure. Il continue de plus belle. ‘’Ici, ce n’est pas le tribunal pour la mairie de Dakar, nous sommes à l’Assemblée nationale’’, renchérit-il. Face à l’instance du maire de Mermoz, le patron de l’AFP se fâche et fait dans la menace. ‘’Si j’applique le règlement, les forces de l’ordre peuvent faire sortir tout député qui perturbe les séances de l’Assemblée nationale. Mais je crois que j’ai suffisamment d’autorité pour faire régner l’ordre. Kufi cëpi cëpi, fii nga may fekk (quiconque veut semer le trouble me trouve sur son chemin)”, prévient-il. Ils sont donc nombreux, les cas de perturbations accompagnés de piques ou remarques acerbes qui ont émaillé le long de cette législature.
D’ailleurs, l’Assemblée est tellement connue en la matière que même lorsque le gouvernement se donne en spectacle, ce n’est pas au palais de la République, en conseil des ministres, mais bien à l’hémicycle. Fatou Tambédou a attendu le passage du PM devant les députés pour tempêter sur le ministre Diène Farba Sarr qu’il accuse d’avoir fait main basse, pendant trois ans, sur le budget alloué à son département. Elle a également reproché au ministre de lui avoir manqué de respect. ‘’En m’apprêtant à venir à l’Assemblée, vous (Diène Farba Sarr) m’avez dit au téléphone de surseoir à venir à l’hémicycle. Que ça soit la première et la dernière fois que vous me dites de ne pas venir à l’Assemblée nationale’’, tempête-t-elle.
Autant d’exemples qui devraient amener les électeurs à voir de près les personnalités qui leur sont proposées pour leur servir de représentants. À défaut, la prochaine législature pourrait être pareille, pour ne pas dire pire : une Assemblée d’invectives et d’insultes des dépités du peuple.
BABACAR WILLAN
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