«L’administration publique est le pilier central qui produit la corruption passive» (Mouhamadou Mbodji in Memoriam).
Le rapport de l’Ofnac a été rendu public le 24 mai dernier (ndlr : 2016). Comment l’avez-vous accueilli ?
C’est une nouvelle expérience sur un sujet difficile. Cette question n’est pas difficile en soi, c’est comment nous la percevons, sa centralité dans le fonctionnement de l’Etat et de la société : la corruption et les modes d’enrichissement illicite de l’élite. Senghor n’a jamais abordé frontalement le problème, Abdou Diouf l’a tenté dès le départ et a dû faire face à une résistance extraordinaire des gens de sa propre famille politique. Résultat des courses : même le bureau du juge en charge des dossiers a été incendié. Diouf a gelé les lois sans les abroger…
Et Macky Sall les a ressuscitées…
Abdou Diouf, comme Macky Sall, était déterminé à aller dans la bonne direction. Mais le niveau de résistance auquel le premier a fait face, le second le retrouve aujourd’hui dans son propre camp. Sur l’Ofnac, Macky Sall n’est pas soutenu. On a une société corrompue, un Etat corrompu, et on n’a pas une force émergente, massive qui soutient cette initiative. Il n’y a que la société civile qui a soutenu cette réforme, en accompagnant Abdou Diouf et Macky Sall. Alors, dans un contexte hostile à une réforme, la stratégie d’implantation de la réforme doit tenir compte de cette contrainte. On ne peut pas faire comme si on était dans un pays normal, en faisant un rapport, on va chercher le gars dans l’après-midi…
Nafi Ngom, présidente de l’Ofnac, a-t-elle bien agi ?
Quand on fait un premier exercice, on se retrouve face à ce niveau de résistance. La dame a entendu tous les noms d’oiseaux, notamment sur les réseaux sociaux, de manière non justifiée. Malgré l’équation des moyens, j’estime que l’Ofnac a réussi à sortir un premier rapport. (…) La loi dit que dès que le rapport est déposé chez le procureur, vous êtes dessaisi. Pourquoi aller dans les médias après ?
La loi autorise l’Ofnac à rendre public ledit rapport «par tous moyens appropriés», pour reprendre le texte.
D’accord. Mais la loi dit aussi qu’on est dans un Etat de droit. Elle dit que dans sa méthode, elle ne fait pas le principe du contradictoire. Dans le rendu sur le Coud, c’est un audit, comme font l’Ige et la Cour des comptes.
Un audit ou plutôt une enquête ?
Ils ont demandé la comptabilité et tous les comptes, c’est ce que l’on a vu dans le rapport et entendu dans les explications aux média… Je ne reproche rien, je constate. Je vais vous dire ce que j’ai constaté et ce que je propose. C’est positif.
Allez-y !
Il faut sauver la réforme sur l’Ofnac et le préserver des tentatives de destruction par les voyous gagnants qui contrôlent le système de gouvernance publique. C’est la première responsabilité du chef de l’Etat. Il n’est pas question de réexaminer le rapport qui relève exclusivement de la responsabilité de l’Ofnac et qui a été déjà remis au procureur. Mais il faut commencer à discuter pour concilier les positions en prévision du prochain rapport.
En quoi faisant ?
Un atelier de conciliation est nécessaire. C’est quoi la doctrine de l’anti-corruption au Sénégal ? Comment concilier le travail de tous les organes engagés dans ce champ ? L’Ofnac est le dernier arrivé, il essaie quelque chose certes. Il n’a pas de leadership à assumer ni à affermir. Il doit être le pivot dans une démarche systémique car la corruption est une réalité systémique. Et dans les théories de lutte contre la corruption, la plus populaire et la plus acceptée est le système national d’intégrité (Sni). Quand la corruption atteint un niveau critique dans notre pays, cela veut dire qu’elle fonctionne en réseau, en système. Chacun a son groupe à lui, et vous le voyez dans la presse… La réforme est bonne, l’enjeu est énorme pour sauver plus d’argent et le réinvestir dans le secteur public. Les victimes, ce sont les jeunes qui n’ont pas d’emploi, les femmes qui comptent sur le service public de la santé, l’éducation… Dans des moments comme ceux-là, on laisse la procédure suivre son cours, et à la période la meilleure, aller vers un atelier de conciliation. Cela ne veut pas dire rencontrer les gens incriminés, ils ne sont pas concernés ! Cela veut dire rencontrer tous les organes qui travaillent sur la corruption.
En gros, cette démarche mène à quoi ?
Il faut refonder la base doctrinale de l’anti-corruption dans notre pays. Les juges sont concernés au premier plan. A un séminaire récent, on leur a demandé : pourquoi vous classez les rapports ? Dans le même groupe, j’ai eu des réponses totalement différentes. D’où la nécessité de renforcer ces échanges. Le Sni, c’est de dire : ceux qui produisent la corruption et ceux qui permettent de lutter contre sont institutionnellement identifiables. Il faut leur donner une base d’action commune pour faire reculer le phénomène. L’administration publique est le pilier central qui produit la corruption passive. Il y a le secteur privé national et international, pilier essentiel. Si ces deux piliers ne produisent plus de corruption, l’Ofnac n’aura plus de travail. Il ne faut pas donc que l’on se trompe dans l’analyse sur l’agencement des priorités. L’Ofnac est le pivot animateur du Système national d’intégrité… Mais il faut écouter aussi les autres acteurs. C’est en cela que la nécessité d’obtenir un consensus sur une doctrine claire de l’anti-corruption me semble essentielle. Par exemple, est-ce qu’on maintient le principe du contradictoire si on met à côté des investigations sur la corruption des éléments d’audit ? Ce principe, c’est les prémisses du droit de la défense.
Vous préconisez une sainte alliance…
Si chacun veut jouer solo, on bloque le pays, on bloque la réforme, et ce n’est pas intelligent. Nous avons mis, nous du Forum, seize ans pour porter cette réforme, et personne ne nous y a aidés, avec Abdou Diouf, Mamadou Lamine Loum, etc. Nous y avons mis notre énergie, des ressources, toute notre crédibilité pour la faire passer. Nous continuons de la défendre et nous ne la laisserons à personne. Qu’on nous comprenne bien ! La Cour des comptes doit être dans le Sni, de même que la Centif, l’Ige. Il faut une synergie des acteurs pour créer une mutualisation des efforts et des ressources. L’argument du manque de moyens brandi par l’Ofnac pourrait être comblé par une démarche comme celle-là. Si l’Ige fait un audit classique et trouve au bout du compte des éléments de corruption, elle peut transférer à l’Ofnac qui mobilise des enquêteurs. On ne dépensera pas beaucoup d’argent ! Le travail de sensibilisation de l’Ofnac peut être confié à la société civile qui l’a toujours fait d’ailleurs alors que l’Ofnac n’existait pas. L’Ofnac n’a pas besoin de s’engager dans des champs déjà balisés pour montrer qu’il existe.
Il demande un peu plus de moyens.
Quand on demande des moyens, il faut peut-être restreindre ces champs là, et se concentrer sur les investigations dans l’administration publique, dans le secteur primaire. Il faut que l’Ofnac opère un repositionnement stratégique. Voilà les questions de fond. Si on a le cadre doctrinal, on peut après élaborer la stratégie quinquennale en partant des mesures de la corruption sur tous les segments. Le Maroc vient de le faire, avec une équipe globale qui travaille en synergie de tous les acteurs, en intégrant même la question du «Doing Business». Je ne cois pas à un champion isolé, dernier arrivé de la chaîne, qui peut tout régler ! Il faut modestement jouer sa partition et laisser tous les autres joueur la leur.
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