Tout juste annoncée, déjà contestée : une norme inédite sur les aliments halal transformés publiée vendredi par l’Association française de normalisation (Afnor) a été sévèrement critiquée lundi par les autorités musulmanes, qui entendent garder la main sur un dossier aussi sensible que juteux.
L’Afnor, organisme associatif rattaché au ministère de l’Industrie, a rendu public le 15 septembre la première norme française sur le marché halal, en l’occurrence un “guide de bonnes pratiques de fabrication de denrées alimentaires transformées”, au terme de longues tractations.
Cette norme très peu répandue en Europe, dont l’Afnor souligne prudemment le caractère “expérimental” – pendant trois ans – et “volontaire” – non obligatoire -, a été élaborée à la demande d’industriels français de l’agroalimentaire en vue de faciliter l’exportation de certains produits.
La norme définit une méthode de production unifiée “halal” (licite en arabe). Elle ne couvre pas le sujet particulièrement délicat de l’abattage des animaux. Elle ne concerne que la partie aval de la filière: de la matière brute au produit transformé, incluant conserves, plats préparés, charcuterie, confiserie, boulangerie.
Ainsi, un industriel qui fabriquerait des saucisses de volaille halal un jour par semaine doit pouvoir garantir qu’il a nettoyé ses outils pour éviter les contaminations croisées s’il produit des saucisses de porc sur les mêmes chaînes de fabrication les autres jours.
– Méthode ‘cavalière’ –
Selon l’Afnor, le nouvelle norme a été préparée en lien avec le Conseil français du culte musulman (CFCM, représentatif), et avec les organismes de certification liés aux mosquées de Paris, Lyon et Evry, qui ont le monopole de l’habilitation des sacrificateurs halal.
Faux, affirme le CFCM, qui “tient à rappeler qu’il a annoncé publiquement en avril 2015 son retrait des travaux”. “Le CFCM et les mosquées n’ont jamais signifié formellement leur souhait de quitter la commission de normalisation”, contrairement au certificateur musulman AVS, rétorque l’Afnor.
Le CFCM dénonce aujourd’hui une “manœuvre d’ingérence par l’Afnor dans la définition du halal, qui est du ressort exclusif des instances religieuses musulmanes”. Le recteur de la Grande mosquée de Paris (GMP), Dalil Boubakeur, critique, lui, la “prétention” de l’Afnor, “organisme laïc et civil”, à “se parer des attributs de délivrance de licéité cultuelle”.
“Nous ne sommes pas sur une définition du halal, sur une exégèse des textes religieux”, répond auprès de l’AFP Nadine Normand, responsable du département agroalimentaire, santé, action sociale de l’Afnor. “Grâce à cette norme, le fabricant aura des éléments qui l’aideront à organiser sa production pour prendre en compte les exigences de ses clients”, poursuit-elle.
L’enjeu est de taille alors que le marché du halal bat des records dans le monde, où il est estimé à 600 milliards de dollars. Pour la France, il atteignait 5,5 milliards d’euros en 2010, dont 4,5 milliards pour les produits alimentaires, selon une étude du cabinet Solis, spécialisé dans le marketing identitaire.
Le CFCM, qui rassemble les principales fédérations musulmanes dont la Grande mosquée de Paris, ne veut pas être en reste dans ce domaine. Il s’est doté en mars 2016 d’une “charte halal” constituant un “référentiel religieux” unique pour définir le caractère licite, au regard de l’Islam, des produits carnés et de leurs dérivés. Mais cette charte très stricte dans son refus de tout étourdissement de la bête avant abattage est restée dans les tiroirs.
“C’est un sujet complexe”, dit Aslam Timol, président de la commission halal du CFCM, qui veut “essayer de bâtir quelque chose de sérieux avec les opérateurs économiques et les pouvoirs publics”, sans procéder de manière “cavalière” comme, selon lui, l’Afnor l’a fait.
Pour l’anthropologue Florence Bergeaud-Blackler, spécialiste du marché halal et membre de la commission de normalisation de l’Afnor à titre d’observatrice, les responsables du CFCM “font semblant de dénoncer un dispositif auquel ils ont participé et qu’ils n’ont pas dénoncé plus tôt, pour tenter de le contrôler”.
La savante se montre circonspecte devant cette “extension de la normalisation” au domaine religieux. “La France aura sa norme halal, ce qui est quand même préoccupant”, dit-elle.
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