Au Sénégal, l’élevage joue un rôle très important dans la composition des revenus et des moyens d’existence des familles. Cependant, il est affecté, ces dernières années, par l’émergence de maladies infectieuses telles que la fièvre de la vallée du Rift, la grippe aviaire et la grippe équine. Ces maladies zoonotiques (affectant l’homme et l’animal) menacent non seulement la santé publique, mais entraînent également des conséquences économiques et sociales non négligeables, notamment chez les éleveurs. Elles mettent au défi notre système de santé, caractérisé par une faible souveraineté médicamenteuse. Cette dernière doit être bien questionnée dans la gestion des épidémies zoonotiques dans notre pays.
La présente contribution fait d’abord une brève présentation des zoonoses concernées, passe ensuite en revue l’approche de gestion dans le pays et, enfin, interroge la souveraineté médicamenteuse.
Les zoonoses épidémiques au Sénégal
Ces derniers temps, l’actualité médico-sanitaire du pays est fondamentalement dominée par les informations sur les cas de Mpox (variole du singe) et de fièvre de la vallée du Rift. Bien que le Mpox soit une zoonose, sa présence au Sénégal résulterait d’une contamination à partir d’un cas importé. C’est tout le contraire de la fièvre de la vallée du Rift, dont le virus responsable a une présence endémique dans le pays.
En effet, la fièvre de la vallée du Rift (FVR) est connue depuis longtemps au Sénégal. D’abord, en 1987, une épidémie de FVR avait frappé le Sénégal et la Mauritanie, principalement au niveau des localités situées le long de la vallée du fleuve Sénégal. Puis, en 1993, des souches virales avaient été isolées à partir de petits ruminants et de moustiques dans la zone de Barkédji. Depuis lors, des épizooties surviennent périodiquement dans les zones de la vallée du fleuve Sénégal, au nord, et dans le bassin de l’Anambé, au sud.
Une surveillance active de la maladie y est mise en œuvre par la Direction des services vétérinaires pour détecter précocement la circulation du virus et procéder à une vaccination autour des foyers afin de limiter sa propagation. La fièvre de la vallée du Rift (FVR) est une maladie virale figurant parmi les six zoonoses prioritaires au Sénégal.
Chez les animaux, et principalement les ruminants (bovins, ovins, caprins, etc.), elle entraîne une mortalité élevée des jeunes et des vagues d’avortements inexpliqués chez les femelles gestantes. Chez les bovins, ovins et caprins adultes, la maladie se traduit par de la fièvre, une perte d’appétit, de la diarrhée, une hypersalivation et un écoulement nasal.
Chez l’homme, la FVR est souvent considérée comme une maladie bénigne qui se manifeste par une fièvre d’apparition brutale. Cependant, elle peut évoluer vers des formes graves, avec une létalité non négligeable. En 2025, la FVR a été notifiée au Sénégal le 21 septembre chez l’homme et le 26 septembre chez l’animal. Le rapport de situation (SITREP) du 28 octobre fait état de 331 cas humains confirmés, dont 246 guéris et 28 décès. Chez les animaux, 236 cas ont été confirmés chez les ruminants.
Au-delà de la FVR, le Sénégal fait face depuis des années à la grippe aviaire, une maladie zoonotique hautement pathogène due au virus H5N1. La grippe aviaire apparaît comme une maladie pandémique émergente qui a frappé le monde vers les années 2004 et touchait près de 61 pays en 2007.
Chez les volailles, la maladie entraîne une forte mortalité et se manifeste par des troubles respiratoires graves, ainsi que par des symptômes cutanés, digestifs, nerveux et oculaires. Chez l’être humain, elle se manifeste par de la fièvre, des maux de gorge et de tête, une fatigue générale ainsi que des douleurs musculaires et abdominales.
Entre 2021 et 2023, le Sénégal a connu une série d’épizooties de grippe aviaire touchant principalement les oiseaux sauvages et domestiques, occasionnant une mortalité et une morbidité importantes.
Ainsi, ces deux zoonoses entraînent des pertes économiques importantes pour nos élevages, mais menacent également la santé publique globale. Pour faire face à ces crises sanitaires, l’État du Sénégal adopte un système de gestion des risques axé sur l’approche One Health.
Une gestion des risques axée sur l’approche One Health
Pour mieux lutter contre les zoonoses émergentes ou réémergentes, la quadripartite constituée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA), l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) préconise l’approche One Health. Cette approche promeut une collaboration inclusive, multisectorielle et multidisciplinaire, impliquant la Primature, les départements ministériels (santé humaine, animale et environnementale), la société civile, le secteur privé, les organisations à base communautaire, ainsi que les partenaires techniques et financiers.
À travers cette directive, il a été mis en place au Sénégal un Haut Conseil national de sécurité sanitaire One Health et ses instances de gouvernance, avec notamment des groupes techniques de travail (GTT) comme « Zoonoses », « Surveillance épidémiologique » et « Gestion des urgences sanitaires ». Ainsi, le pays s’est considérablement amélioré dans la préparation, la prévention, la détection, la riposte et le rétablissement face aux situations d’urgence sanitaire. La coordination multisectorielle a également été renforcée à travers des réunions régulières et un soutien mutuel constant entre le niveau central et les structures déconcentrées.
Cette approche est également déclinée au niveau local, sous la houlette des gouverneurs de région, qui ont constitué des équipes régionales de gestion des incidents regroupant l’ensemble des parties prenantes locales. Ces équipes régionales sont appuyées par les équipes de gestion des incidents du niveau central. Ces équipes pluridisciplinaires et multisectorielles permettent une gestion efficace et coordonnée des urgences sanitaires, favorisant une meilleure gouvernance — tant sur le plan des ressources humaines, logistiques que financières — et une mobilisation accrue des compétences et savoir-faire pour une gestion plus efficiente des crises sanitaires.
Pour les épidémies de grippe aviaire (2021, 2022 et 2023) et de fièvre de la vallée du Rift (FVR) en 2025, la riposte a été menée selon cette approche. Elle s’est opérationnalisée à travers la mise en place d’un système de gestion des incidents aux niveaux central et déconcentré.
Dans le cadre de la grippe aviaire, un arrêté interministériel interdisant l’importation de produits et de matériels avicoles usagés avait été pris. En outre, un Comité national de prévention et de lutte contre la grippe aviaire (CONAGA) avait été mis en place. Ce dernier avait élaboré un plan national de prévention et de lutte contre la grippe aviaire. Ce plan comprend des exercices de simulation, une communication sur les risques, la mise en place de protocoles de surveillance et des mesures de biosécurité. Il recommande également une collaboration étroite avec la Mauritanie, avec laquelle le Sénégal partage de vastes zones agroécologiques accueillant chaque année des oiseaux migrateurs sauvages. Sur le plan vaccinal, il n’existe pas encore de vaccin disposant d’une autorisation de mise sur le marché pour la grippe aviaire hautement pathogène au Sénégal. Néanmoins, l’option vaccinale peut être envisagée en fonction de l’ampleur des foyers et du nombre de cas chez les volailles.
Dans le cadre spécifique de la riposte contre la FVR, menée selon l’approche One Health, les interventions concertées ont permis de mettre en œuvre plusieurs actions intégrées : la surveillance épidémiologique des cas humains et animaux, des investigations conjointes, la lutte antivectorielle (contre les moustiques), la surveillance écologique des vecteurs (moustiques, petits mammifères), la vaccination du bétail, la prise en charge des cas humains et animaux, l’élimination sécurisée des carcasses, ainsi que la communication sur les risques et le renforcement de l’engagement communautaire.
Cependant, la véritable pertinence de l’approche One Health réside aussi dans le renforcement sectoriel, notamment celui du secteur de la santé animale, qui constitue un maillon essentiel et un levier de création de valeur ajoutée dans la gestion sanitaire collective. Le renforcement des capacités des services vétérinaires permettra d’asseoir des actions de prévention à travers la vaccination, la détection précoce et la prise en charge rapide des cas, afin de limiter la propagation des épizooties et la contamination humaine. Ce qui interroge fortement la souveraineté pharmaceutique vétérinaire du Sénégal.
De la souveraineté pharmaceutique vétérinaire
La souveraineté pharmaceutique désigne la capacité d’un pays, ou d’un groupe de pays, à maîtriser pleinement ses politiques pharmaceutiques, la production et l’approvisionnement en médicaments, ainsi que sa capacité à répondre aux besoins de santé de sa population en matière de médicaments essentiels.
Lors de l’inauguration de la Fondation africaine de technologie pharmaceutique (APTF), créée en juin 2022 par la Banque africaine de développement (BAD) à l’initiative des États membres de l’Union africaine, le président de la BAD, Akinwumi Adesina, soulignait :
« L’Afrique doit se doter d’un système de défense sanitaire fondé sur trois grands piliers : la relance de l’industrie pharmaceutique africaine, le renforcement des capacités africaines de fabrication de vaccins et la mise en place d’infrastructures de soins de santé de qualité. »
De même, lors de la cérémonie d’inauguration du vaccinopôle de Diamniadio, le 13 décembre 2024, Son Excellence Bassirou Diomaye Faye avait souligné l’importance de créer un écosystème africain de l’industrie pharmaceutique permettant d’atteindre l’autonomie en vaccins, tests de diagnostic et médicaments. Il avait également décliné l’ambition du gouvernement d’asseoir une souveraineté pharmaceutique et sanitaire qui permettra à notre pays de couvrir, d’ici 2035, au moins 50 % de ses besoins en vaccins et médicaments par une production locale.
Dans cette optique, le Sénégal dispose de ressources suffisantes pour la production de vaccins et d’antibiotiques vétérinaires, notamment à travers des partenariats public-privé. La mise en place d’une stratégie souveraine de production de médicaments vétérinaires aurait des effets économiques en matière de création d’emplois et de réduction du coût des médicaments. Elle permettrait ainsi de garantir le développement de l’élevage et la santé publique globale. Fondamentalement, il est temps de définir une politique de souveraineté pharmaceutique vétérinaire.
Cette politique est d’autant plus fondée que la souveraineté pharmaceutique est désormais intégrée dans l’agenda national de transformation Sénégal 2050 et dans la stratégie nationale de développement du Sénégal (2025-2029). Dans le cadre de cette stratégie nationale, plusieurs objectifs ont été déclinés pour atteindre la souveraineté pharmaceutique :
- (i) produire 30 % des besoins nationaux en médicaments, notamment en accompagnant les acteurs locaux dans la fabrication de molécules prioritaires identifiées ;
- (ii) renforcer la régulation pharmaceutique ;
- (iii) instaurer un cadre réglementaire attractif pour encourager l’investissement ;
- (iv) mettre en place des laboratoires de recherche dans les domaines médical et pharmaceutique ;
- (v) instaurer un cadre juridique pour la phytothérapie ;
- (vi) intégrer l’approche One Health dans les politiques de santé publique.
L’élaboration d’une politique nationale de souveraineté pharmaceutique devrait prendre en compte la fabrication de vaccins et médicaments vétérinaires pour faire face aux défis de l’émergence et de la réémergence des maladies zoonotiques. Elle se positionnera comme un pilier déterminant de la mise en œuvre de l’approche One Health au Sénégal.
Conclusion
L’examen de la gestion des zoonoses émergentes et réémergentes au Sénégal montre l’importance de la prise en charge des vaccins et médicaments vétérinaires par les autorités. Le Sénégal, malgré son potentiel, ne produit pas encore de vaccins contre les zoonoses (grippe aviaire et fièvre de la vallée du Rift) qui ont frappé le pays ces dernières années. Cette situation ne devrait pas perdurer dans le cadre d’une gestion durable de ces urgences sanitaires et d’une orientation vers la souveraineté pharmaceutique.
En phase avec les orientations politiques, l’élaboration d’une stratégie nationale de souveraineté pharmaceutique devrait contribuer à l’amélioration de la mise en œuvre de l’approche One Health, à la sauvegarde de la santé publique et à la résilience de notre système de santé.
Pour une meilleure efficacité, la stratégie doit impérativement prendre en compte la souveraineté en produits vétérinaires (vaccins et médicaments). Cela permettra également de renforcer les services vétérinaires, de garantir le développement de l’élevage et la souveraineté alimentaire.
Dr Gérôme SAMBOU, Vétérinaire
Spécialiste en gestion intégrée des risques sanitaires / One Health