La responsabilité de l’État de protéger et d’éduquer les enfants (Mamadou SY Albert)

Les pouvoirs publics ont de nouveau décidé d’engager la bataille de récupération des enfants mendiants de la rue. Pendant quelques semaines, l’opinion publique nationale va braquer son regard sur un des phénomènes sociaux urbains les plus marquants des années de crise. L’échec de cette initiative sera à la mesure de la volonté politique superficielle d’éradiquer la mendicité structurante de la société sénégalaise contemporaine.

Enfants mendiants ! C’est désormais une activité économique réservée aux enfants talibés, aux enfants des familles pauvres des centres urbains. L’ampleur du phénomène grossit d’une décennie à l’autre. Ils sont plus de 30 mille enfants dans les écoles coraniques de la capitale sénégalaise. L’écrasante majorité de ces enfants talibés pratiquent au quotidien la mendicité. Cette dernière se conjugue au fil du temps de cette forme de survie économique et d’exploitation de jeunes innocents par la recherche effrénée de l’argent. Des sommes sonnantes et trébuchantes variant en fonction de la générosité des passants, des lieux des résidences des passants.

À côté des enfants issus des rangs de l’école coranique, il existe à l’ombre, une armée de jeunes de la rue publique. Ces enfants ne sont, ni à l’école coranique, ni dans les structures d’accueil des enfants en difficulté. Ils viennent singulièrement des familles pauvres établies à la périphérie des grandes agglomérations. Ils sont autour des marchés publics, des établissements privés de commerce ou des espaces de la restauration. Ils ne tendent pas la main. Eux, ils exercent des activités économiques. Ils sont plutôt des courtiers. Ils portent souvent les bagages des femmes de ménages sortant des marchés, des magasins.

Les jeunes talibés et les enfants de la rue publique ont en commun la rue publique. Si les premiers retournent chez le marabout, les seconds ne savent plus où rentrer. Ils vivent dans la rue. Beaucoup de ces jeunes élisent domicile dans les maisons closes, dans les bordures de mer, dans les lieux à hauts risques sociaux dominés par le banditisme. Entre ces deux groupes de talibé et les enfants errant de la rue, il y a évidemment l’irruption des enfants des familles de mendiants. La mendicité a produit un phénomène sans précédent dans les villes.

Naguère, le mendiant était un handicapé. Il ne pouvait exercer aucune activité physique génératrice de revenus en raison de son état de santé. Ce mendiant mythique qui bénéficie naturellement de la compassion, de la générosité et de la clémence du croyant ou du généreux passant, a fini par céder la place à un autre type de mendiant. Il est le prototype de la crise économique. On mendie pour survivre aux difficultés de la vie. De nos jours, ces sont des familles entières qui jettent des enfants dans la course effrénée à la mendicité. Ces enfants sont devenus eux aussi des mendiants. Ils sont les enfants de mendiants. Le phénomène de la mendicité devient plus complexe. Il touche les enfants talibés, les enfants de la rue et les enfants de familles pauvres contraintes de tendre la main et d’user de l’appât que constituent leurs enfants ou ceux des autres. Le seuil critique est atteint quand on sait que des mendiants louent les enfants des autres pour mendier, moyennant évidemment un gain financier au terme de ce commerce humain. La lutte contre ce phénomène urbain de la mendicité n’est guère une affaire simple. Les pouvoirs publics ne cessent de brandir l’arme de la lutte contre la mendicité, contre l’exploitation des enfants et contre le basculement de pans entiers de la jeunesse dans la mendicité et le banditisme.

L’échec récurrent des politiques publiques dans ce domaine social, par excellence, mérite une réflexion sérieuse. La responsabilité des maîtres coraniques, des parents et des collectivités est fortement engagée. Personne ne peut justifier la privation de la dignité d’un innocent enfant. L’État a une lourde responsabilité insoupçonnée dans le processus de dislocation de la cellule familiale. L’État doit impérativement garantir aux enfants le droit d’aller à l’école et de se former aux métiers. C’est lui et à lui seul que revient la responsabilité de mettre ses enfants dans les conditions sociales permettant à ces couches fragiles de jouir de tous les droits et devenir des citoyens à part entière sans tendre la main. Et, c’est possible.

 

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