Pour le primo-arrivant au Maroc, la question de la monnaie devient rapidement un sujet central. Ici, 10 000 francs CFA se transforment en 152 ou 153 dirhams marocains. Le taux de conversion n’est pas toujours maîtrisé lors des premières interactions sociales, notamment financières. L’arrimage conversationnel est plus simple lorsqu’on arrive d’Europe, par exemple : un euro vaut environ dix dirhams.
Nos compatriotes venant de France, de la toute proche Espagne, située à une quinzaine de kilomètres du Maroc, ou d’autres pays méditerranéens s’adaptent plus facilement que ceux arrivant directement du pays. Ils disposent généralement d’euros : il leur suffit d’ajouter un zéro pour obtenir une estimation en dirhams. Cette différence de référentiel produit parfois des scènes assez cocasses.
Ainsi, un vendeur d’accessoires vestimentaires (bonnets, gants, ceintures), installé devant notre hôtel à Casablanca, propose en ouverture de négociation un prix de 250 dirhams (environ 16 000 francs CFA), pour finalement conclure la vente d’une ceinture à 50 dirhams (environ 3 500 francs CFA). Rien de choquant pour qui a l’habitude du marchandage à Sandaga ou au marché HLM. Mais dans l’esprit du primo-arrivant, les connexions émotionnelles et rationnelles liées à la conversion ne sont pas encore totalement établies. Cinquante dirhams peuvent alors paraître dérisoires, même lorsqu’il s’agit d’une ceinture de dépannage.
Dans la construction d’un État, depuis l’Antiquité, le fait de battre monnaie figure parmi les principes essentiels, au même titre que la frontière, l’armée ou le pouvoir politique. Alors que la question de la sortie du franc CFA demeure un serpent de mer, à la fois insaisissable et d’une acuité persistante, l’exemple du dirham marocain ne doit pas être perçu comme une oasis illusoire dans un désert miné par la quête de solutions. Le Dirham est une monnaie à la fois ancienne et moderne, dont les origines remontent à l’Antiquité, faisant d’elle un objet d’étude privilégié pour les numismates.
Après un saut temporel jusqu’au XXᵉ siècle, coïncidant avec le retour d’exil de Mohammed V, père de Hassan II et grand-père de Mohammed VI, l’indépendance se profile. D’où la nécessité de créer une nouvelle monnaie pour remplacer le franc marocain : le dirham est ainsi réintroduit à partir d’octobre 1959.
Pour nous autres Ouest-Africains, cette longue histoire du dirham marocain, et surtout la solidité de sa version contemporaine, fondée sur une politique monétaire prudente de Bank Al-Maghrib, un ancrage stratégique à un panier euro/dollar (60/40), ainsi qu’une certaine flexibilité du régime de change, devrait constituer une source de réflexion féconde en vue d’une politique monétaire plus maîtrisée, condition indispensable de tout développement.
